Mixte. On parle beaucoup autour du film de culture rave, de techno… des termes très généraux qui veulent un peu tout et rien dire. Pouvez-vous définir plus spécifiquement la musique que l’on entend dans “Sirāt” ?
Kangding Ray. Il faut distinguer le style de musique et le milieu de la fête qui est représenté, et qui est la free party. La techno est présente dans cette culture et ce style de vie, mais aussi dans d’autres endroits très différents, comme des clubs, ou même des choses très commerciales. La free party est l’expression la plus brute, la plus indépendante et la plus hors système de cette musique. Les travellers sont attachés à ces distinctions car ils ne veulent pas être assimilés à des modes de vie plus mainstream. Quant à ma musique, je dirais que c’est une techno un peu cinématique, expérimentale, peut-être aussi brute, parfois sombre, parfois chargée de lumière.
Óliver Laxe. Le voyage que j’ai voulu proposer au spectateur est un voyage où la musique au début est beaucoup plus tribale, ancrée dans la terre avec le kick, puis suivie d’une chute dans la nuit, d’une chute dans l’obscurité. Ces couches de bad trip que l’on ajoutait allaient ensuite rester, alors que le kick allait partir. C’est une musique un peu tribale, qui peut se rapprocher des musiques traditionnelles que l’on retrouve partout dans le monde, et qui ont pour moi un lien évident avec la teuf. Donc à mesure que le film avance, on glisse vers l’ambient, on laisse la techno de côté. Il y a moins de mélodie, en même temps qu’il y a moins de narration.
M. Il y a un motif mélodique très simple et récurrent dans le dernier acte, qui peut évoquer celui que les humains jouent aux extraterrestres dans Rencontres du troisième type, dans une version mineure et sombre : comme une série de notes qui fait communiquer deux mondes.
K.R. Oui, et qui nous sert aussi justement à passer de la techno à cette deuxième texture plus spirituelle et éthérée.
M. L’abandon progressif du kick a-t-il une valeur symbolique ? Qu’est-ce que c’est au fond le kick : le battement du cœur ?
O. L. Bien évidemment, et on connecte à ce rythme parce qu’on l’a dans notre intériorité. La musique de David, dans des tracks comme Sirāt ou Desierto, a une forte mélancolie. Il me parlait quand on travaillait de la sensation “afterglow”, c’est ça ?
K.R. Oui, c’est le nom qu’on donne à cet état qui vient après la transe, et qui est un mélange de mélancolie, de bonheur profond, de dénuement. C’est un peu le umami des émotions, il y a tout dedans.