M. Comment es-tu passée de sportive à actrice ?
S. Y. J’ai toujours voulu faire un métier artistique. Quand j’ai arrêté la gymnastique en 2012, j’ai senti qu’il fallait que je me lance. Je me suis sentie tout de suite très à l’aise, dans les textes et l’utilisation de mes émotions. Je me suis inscrite au Cours Florent, où j’ai passé deux ans dans le cursus normal, puis j’ai été prise en classe libre (la classe “reine”, gratuite et très sélective, ndlr), et la même année au Conservatoire national. Ça n’a pas été facile au début : j’étais sportive d’élite, et tout à coup il fallait repartir à zéro. J’avais arrêté les études à 15 ans. Je me suis sentie un peu seule.
M. Pendant toutes ces années au Cours Florent puis au Conservatoire, c’est étonnant que tu n’aies pas plus tourné. On a l’impression que ta carrière commence d’un coup, très fort à 25 ans. Que s’est-il passé entre 20 et 25 ans ?
S. Y. Quand je suis arrivée au Cours Florent, je sortais d’une drôle d’ellipse dans ma vie. Mon corps avait changé d’un coup. J’avais besoin de rattraper le temps perdu, de vivre l’adolescence dont j’avais été privée. J’ai eu mon premier petit copain, mon premier baiser, ma première fois… Tout ça est arrivé tard ! Ça a été les trois plus belles années de ma vie. J’ai pris le temps de redescendre. Et puis, en entrant au Conservatoire, j’ai eu la chance de rencontrer mon agent. Et grâce à elle, le cinéma est arrivé…
M. Le premier film, c’est Climax. Comment as-tu rencontré Gaspar Noé ?
S. Y. De manière un peu précipitée. J’ai reçu un coup de fil : “Gaspar Noé commence un film demain, il cherche une comédienne pour une scène un peu compliquée.” Ça m’a fait un peu peur… Gaspar était en train de tourner à Ivry-sur-Seine avec des danseurs. Je suis arrivée là-bas, et c’était trop bizarre. Tout le monde dansait. J’ai dit bonjour à Gaspar, il m’a lancé : “Vas-y, intègre la choré”. Tous les danseurs avaient des identités très marquées, certains spécialisés en électro, d’autres en krump, des physiques très forts… Je me sentais un peu intimidée, c’était le chaos !
M. Comment s’est passée la suite du tournage ?
S. Y. Le lendemain du tournage de la scène de danse, Gaspar m’a demandé de revenir pour une impro dans son bureau dans le 10e arrondissement de Paris. La ref’, c’était Isabelle Adjani dans Possession, la scène du métro. Il m’a dit : “Tu attends un enfant, mais tu n’en veux pas”. C’était parfait, parce que, moi, dire “Bonjour” ça me panique. Par contre, les cris, la bave, ça, j’adore ! Y aller à fond, c’est mon credo. C’était génial. Je pleurais, je frappais les murs, je cassais les chaises, je me roulais par terre. Le lendemain, c’était parti, on commençait le tournage et ça s’est très bien passé.
M. Tu as une scène assez violente, où tu reçois des coups dans le ventre en plan-séquence, et tu pleures énormément. Ça n’a pas été dur ?
S. Y. Non, j’adore pleurer. C’est un état qui, bizarrement, me met très à l’aise, qui fait partie de moi. J’ai beaucoup aimé aussi l’exercice du plan-
séquence. C’était un peu comme une performance sportive.
M. Tu as eu le sentiment que le film t’a fait changer de statut ?
S. Y. Je ne sais pas. Il y a eu une prénomination au César du meilleur espoir qui ne s’est pas concrétisée et qui m’a un peu surprise parce que c’était un film très choral. Ça a peut-être fait naître une curiosité chez les gens, mais je pense que c’est avec Les Sauvages qu’on m’a identifiée comme une vraie actrice. Il y avait du texte, il y avait des choses à jouer.