Veste en laine et soie, Veston en laine et soie rebrodé de sequins, Short en denim, Boots en cuir et satin, Louis Vuitton. Collier « Rivière Vendôme » en or blanc orné de diamants, Boucheron.

Ancienne gymnaste de haut niveau, Souheila Yacoub a décidé de changer le cours du destin en embrassant une carrière au cinéma. Un grand écart assumé et plutôt réussi, puisque la jeune femme est actuellement à l’affiche de deux films français attendus, Entre les vagues d’Anaïs Volpé et En Corps de Cédric Klapisch.

On l’a découverte en 2019 dans Climax de Gaspar Noé, se débattant parmi une horde de danseurs déchaînés et perchés sous LSD. Seule véritable actrice au casting, elle détonnait par ses capacités physiques (dans les scènes de danse) et par la force de son jeu, emportant le spectateur avec elle dans sa descente aux enfers. Trois ans plus tard, Souheila Yacoub peut se vanter d’avoir ajouté d’autres grands noms du cinéma français à son CV : Philippe Garrel, Rebecca Zlotowski, Cédric Kahn et, tout dernièrement, Cédric Klapisch. Un palmarès qui ferait pâlir de jalousie quelques étudiant.e.s du Conservatoire, qu’elle a d’ailleurs intégré après le Cours Florent. Pourtant, son nom n’a pas percé immédiatement, effacé par des premiers rôles plus “Césars friendly”, de ces films et séries très commentées. Nous la rencontrons alors que son tour semble venu – elle tient sa première tête d’affiche avec Entre les vagues d’Anaïs Volpé sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2021 et dont la sortie est prévue le 16 mars prochain. L’actrice de bientôt 30 ans nous détaille un parcours hors normes, entre élite sportive (elle a été capitaine de l’équipe nationale suisse de GR), racines éparpillées et rencontres déterminantes.

Mixte. Dans quel environnement as-tu grandi et comment la gymnastique rythmique est-elle arrivée dans ta vie ?
Souheila  Yacoub. J’ai grandi à Genève avec ma mère et ma sœur, dans une famille très heureuse. Nous étions un trio soudé. Le sport est venu un peu tout seul. La GR est une discipline qui se commence très jeune. On nous donne assez tôt l’impression que c’est la seule chose qui compte. Ça m’a vite engloutie. À 12 ans, j’ai disputé mes premiers championnats d’Europe, j’étais la plus jeune gymnaste à participer. Puis, à 13 ans, j’ai quitté ma famille pour aller vivre avec l’équipe nationale suisse, junior puis senior. À partir de là, je n’ai quasiment plus vu mes proches jusqu’à mes 20 ans.

M. Tu aurais préféré avoir une autre adolescence ?
S. Y. Pour rien au monde je ne revivrais ce que j’ai vécu, notamment parce que je suis tombée sur deux coachs bulgares qui m’ont fait souffrir. Pour autant, je n’aurais pas voulu une autre adolescence, parce que c’est ce qui m’a fait telle que je suis maintenant. Je ne sais pas qui je serais si je n’avais pas eu cette discipline-là. J’ai arrêté la gymnastique après une disqualification aux jeux Olympiques de Londres due à un “problème de pointage” : l’Angleterre n’était pas qualifiée et avait déposé un recours, arguant que ce n’était pas normal que le pays organisateur ne participe pas. Elle a eu gain de cause, et du coup, ils ont viré le dernier pays à s’être qualifié, la Suisse… On était à quelques mois des Jeux. ça a été un coup dur.

M. Et donc brutalement, tu as décidé de tourner cette page ?
S. Y. Je voulais déjà arrêter, j’avais fait sept championnats d’Europe, quatre du monde… Le seul truc qu’il manquait, c’était les J.O. Je ne pouvais pas abandonner après toutes ces années de travail et de sacrifices. Arrêter avant les JO ? J’aurais regretté toute ma vie…

Boucle d’oreille en argent et orné de diamants, STATEMENT.

M. Comment es-tu passée de sportive à actrice ?
S.
Y. J’ai toujours voulu faire un métier artistique. Quand j’ai arrêté la gymnastique en 2012, j’ai senti qu’il fallait que je me lance. Je me suis sentie tout de suite très à l’aise, dans les textes et l’utilisation de mes émotions. Je me suis inscrite au Cours Florent, où j’ai passé deux ans dans le cursus normal, puis j’ai été prise en classe libre (la classe “reine”, gratuite et très sélective, ndlr), et la même année au Conservatoire national. Ça n’a pas été facile au début : j’étais sportive d’élite, et tout à coup il fallait repartir à zéro. J’avais arrêté les études à 15 ans. Je me suis sentie un peu seule.

M. Pendant toutes ces années au Cours Florent puis au Conservatoire, c’est étonnant que tu n’aies pas plus tourné. On a l’impression que ta carrière commence d’un coup, très fort à 25 ans. Que s’est-il passé entre 20 et 25 ans ?
S. Y. Quand je suis arrivée au Cours Florent, je sortais d’une drôle d’ellipse dans ma vie. Mon corps avait changé d’un coup. J’avais besoin de rattraper le temps perdu, de vivre l’adolescence dont j’avais été privée. J’ai eu mon premier petit copain, mon premier baiser, ma première fois… Tout ça est arrivé tard ! Ça a été les trois plus belles années de ma vie. J’ai pris le temps de redescendre. Et puis, en entrant au Conservatoire, j’ai eu la chance de rencontrer mon agent. Et grâce à elle, le cinéma est arrivé…

M. Le premier film, c’est Climax. Comment as-tu rencontré Gaspar Noé ?
S. Y.
De manière un peu précipitée. J’ai reçu un coup de fil : “Gaspar Noé commence un film demain, il cherche une comédienne pour une scène un peu compliquée.” Ça m’a fait un peu peur… Gaspar était en train de tourner à Ivry-sur-Seine avec des danseurs. Je suis arrivée là-bas, et c’était trop bizarre. Tout le monde dansait. J’ai dit bonjour à Gaspar, il m’a lancé : “Vas-y, intègre la choré”. Tous les danseurs avaient des identités très marquées, certains spécialisés en électro, d’autres en krump, des physiques très forts… Je me sentais un peu intimidée, c’était le chaos !

M. Comment s’est passée la suite du tournage ?
S. Y.
Le lendemain du tournage de la scène de danse, Gaspar m’a demandé de revenir pour une impro dans son bureau dans le 10e arrondissement de Paris. La ref’, c’était Isabelle Adjani dans Possession, la scène du métro. Il m’a dit : “Tu attends un enfant, mais tu n’en veux pas”. C’était parfait, parce que, moi, dire “Bonjour” ça me panique. Par contre, les cris, la bave, ça, j’adore ! Y aller à fond, c’est mon credo. C’était génial. Je pleurais, je frappais les murs, je cassais les chaises, je me roulais par terre. Le lendemain, c’était parti, on commençait le tournage et ça s’est très bien passé.

M. Tu as une scène assez violente, où tu reçois des coups dans le ventre en plan-séquence, et tu pleures énormément. Ça n’a pas été dur ?
S. Y.
Non, j’adore pleurer. C’est un état qui, bizarrement, me met très à l’aise, qui fait partie de moi. J’ai beaucoup aimé aussi l’exercice du plan-
séquence. C’était un peu comme une performance sportive.

M. Tu as eu le sentiment que le film t’a fait changer de statut ?
S. Y.
Je ne sais pas. Il y a eu une prénomination au César du meilleur espoir qui ne s’est pas concrétisée et qui m’a un peu surprise parce que c’était un film très choral. Ça a peut-être fait naître une curiosité chez les gens, mais je pense que c’est avec Les Sauvages qu’on m’a identifiée comme une vraie actrice. Il y avait du texte, il y avait des choses à jouer.

Manteau en cuir, Acne Studios. Boucle d’oreille en argent et orné de diamants, STATEMENT.

M. Quel souvenir gardes-tu du tournage de cette série ?
S. Y.
J’ai eu un vrai complexe vis-à-vis de ce rôle. Moi qui viens de Suisse, qui n’ai fait que du sport, qui ai arrêté l’école à 15 ans, je devais jouer une Française, fille de politicien, sortie d’hypokhâgne. J’ai fait une crise de légitimité. Je me sentais en décalage, d’autant plus par rapport à la réalisatrice Rebecca Zlotowski qui est très brillante, une normalienne… Je ne me sentais pas légitime pour le rôle, ce qui est stupide puisque, justement, c’est un rôle !

M. Juste après Les Sauvages, tu t’es retrouvée chez Philippe Garrel, dans Le Sel des larmes. Comment l’as-tu rencontré ?
S. Y.
C’était mon professeur de cinéma au Conservatoire. Tout le casting du film en était issu : j’étais dans la classe de Oulaya Amamra, de Logann Antuofermo, et Louise Chevillotte était de la promo précédente. Philippe adore travailler avec ses élèves. On a longuement répété, pendant un an et demi, tous les samedis… Et puis, quand arrive le tournage, c’est très différent car il fait tout en une seule prise. J’ai pu découvrir que je n’aime pas du tout cette manière de faire. Parce qu’à la première prise, il peut se passer tout et n’importe quoi. Mais c’est sa philosophie, il adore les accidents, et c’était super intéressant, j’ai appris plein de choses.

M. Aujourd’hui, tu as enfin un premier rôle dans Entre les vagues d’Anaïs Volpé présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Comment vis-tu cette victoire un peu tardive après avoir été souvent un peu en retrait dans tous ces très beaux projets ?
S. Y.
J’ai eu la frustration du premier rôle, c’est sûr, avec le sentiment que les choses évoluaient trop lentement. J’étais aux castings de grands films, mais l’histoire ne tournait pas autour de mon personnage. Du coup, je me demandais si j’étais capable d’assurer un premier rôle. J’ai eu beaucoup de doutes. Et si finalement je n’intéressais pas les gens tant que ça ? Il n’empêche qu’aujourd’hui, je bosse tout le temps et ça, c’est déjà très bien. En trois ans de carrière, j’ai fait plein de films et de séries. Alors c’est vrai, je n’ai pas encore fait le film qui changera ma vie, et ça viendra ou pas. D’ici là, je construis, et certaines carrières se font à ce rythme-là.

M. Tu es née en Suisse d’un père tunisien et d’une mère belge flamande, et tu vis actuellement à Paris. As-tu un sentiment d’appartenance particulier ?
S. Y.
Tu veux dire où est-ce que je me sens le plus chez moi ? Quand je suis en France, je me dis que je suis Suisse et quand je suis en Suisse, je ne me sens pas trop chez moi non plus. En Tunisie, je suis une étrangère et quand je vais en Belgique, je le suis aussi. Finalement, je crois que je suis Parisienne. J’adore me plaindre, j’adore faire plein de choses en même temps, j’adore les terrasses…

Veste et chemise en coton, Dior. Chapeau en laine feutré, ANTHONY PETO.

M. Tu as un peu ce syndrome des éternels exilés, qui ont beaucoup bougé et ne se sentent plus chez eux nulle part…
S. Y.
C’est vrai, je me sens un peu perdue partout. Je n’ai aucun grand-parent qui parle français, je dois discuter avec eux dans des langues que je perds ou que je n’ai jamais maîtrisées. J’ai plein d’oncles et de cousins qui parlent arabe, alors que moi pas du tout. Ce qui est chiant parce que, dans le métier, à chaque fois qu’on voit ma gueule, on veut me faire jouer une Arabe, alors que je serais plus à l’aise en Allemande !

M. Quelle est ton expérience des castings et des stéréotypes qu’on t’a collés ?
S. Y.
On m’a beaucoup castée pour des rôles d’Aïcha, de Jamila ou de simples “filles de banlieue”, évidemment… Dans ces cas-là, quand j’arrivais au casting, je décevais. Une fois, on m’a dit : “Sois plus arabe !” Et une autre : “Si je te prends, mon film devient engagé” ! Bref, je sais que je suis typée ou que je ne le suis pas suffisamment. Et puis, je ne parle pas arabe, donc ça ne marche pas. Mais quand je passe des castings pour des Juliette ou des Alice, ils ne se projettent pas non plus. J’ai ce physique “intermédiaire” qui a fait que les gens ne savaient pas dans quelle case me mettre. Aujourd’hui, c’est plus facile parce que j’ai l’impression qu’il y a une vraie demande pour des profils mélangés comme moi. Des deux côtés, on cherche à complexifier ces stéréotypes, et je me retrouve assez bien dans cette nouvelle donne. Je suis prise dans des trucs très variés.

M. Tu seras à l’affiche du prochain Cédric Klapisch, En Corps, qui sort le 30 mars prochain. Il y a beaucoup de points communs avec ta propre histoire. Est-ce un hasard ?
S. Y.
Probablement, oui. J’avais déjà rencontré Klapisch pour Deux moi, et ça ne s’était pas concrétisé à l’époque, mais on avait fait connaissance. Quand il m’a fait passer le casting pour En corps, le personnage était en germe, je ne savais pas si j’allais avoir 40 jours de tournage ou seulement deux. Il savait que c’était une fille avec un peu de caractère, pour le reste, il voulait attendre de voir… C’est possible qu’il était déjà au courant pour mon histoire avec la gymnastique. Par ailleurs, il y a quelques secondes où je danse dans le film. Mais ce n’est pas non plus un rôle conçu exprès pour mon histoire.

M. Comment s’est passé le tournage ?
S. Y.
C’était très, très agréable. Je sortais d’Entre les vagues, un sujet plus dur, avec des émotions plus douloureuses à aller chercher. En corps, c’était familial, accueillant. Cédric Klapisch est toujours très présent, très bienveillant. Et je crois aussi que ça a enclenché un nouveau cran de confiance en moi, ça m’a fait beaucoup de bien de voir des acteurs qui avaient déjà travaillé avec lui – Pio Marmaï, François Civil –, tenter des choses sur le plateau, expérimenter librement. Ce que je n’ose pas toujours faire, pour l’instant.

M. Dans le futur, avec qui rêverais-tu de tourner ?
S. Y.
Avec Abdellatif Kechiche, il me fascine. Je me demande comment il arrive à transcender ses acteurs, à les rendre si passionnants. Pour moi qui viens d’une formation très théâtrale, très engageante, c’est particulièrement fascinant, cela nécessite un retour au naturalisme. C’est ce que j’ai envie de travailler à l’avenir.

TALENT : SOUHEILA YACOUB @ IMG MODELS. PHOTOS : BOJANA TATARSKA. RÉALISATION : ALEXANDRA OSINA. MAQUILLAGE : AXELLE JERINA. COIFFURE : BEN MIGNOT. ASSISTANTE STYLISTE : BIA CARVALHO. ASSISTANT LUMIÈRE : STAN REY-GRANGE. DIGITECH : REBECCA LIEVRE @IMAGIN PARIS.