M. Pourtant, on te présente souvent comme une cheffe d’orchestre…
U. L. Mais oui, alors que je suis surtout compositrice. L’année dernière, je n’ai fait qu’un seul travail de direction. Mais c’est la mentalité française. Dès que je vais en Angleterre, on ne me parle pas une minute de direction, là-bas on me parle de tout, ici on fait une fixette là-dessus.
M. En tant que compositrice, tu considères que tout ce qui accompagne l’intelligence artificielle (comme la réalité virtuelle, ce que peut expérimenter Jean-Michel Jarre ou le concept des metaverses, ces univers immersifs) peut servir la création musicale ?
U. L. Absolument. J’ai un ami, l’artiste Apollo Noir, qui est en train de travailler sur un truc cool avec des synthétiseurs modulaires connectés qui créent des visuels en même temps que des sons. Les expériences immersives sont toujours très intéressantes en musique. On en a tous déjà fait l’expérience, ne serait-ce que quand on va à une exposition avec du sound design, c’est déjà immersif. Les concerts en réalité augmentée, c’est une autre catégorie d’expression musicale. Ce sont des spécialités qui ont toutes un public particulier. Ça va ouvrir de nouvelles possibilités et créer de nouveaux outils, qui interagiront peut-être avec l’espace, comme l’interface très connue, Massive. Mais ce n’est pas facile à utiliser, il faut être ingénieur. Avant, c’était vraiment un truc de spécialistes, mais c’est en train de se vulgariser.
M. Ton EP Tracks est très onirique tout en utilisant des sons très réalistes. Tu souhaitais un dialogue entre technologie et poésie ?
U. L. Au final, le but de toute technologie n’est-il pas de nous rapprocher de la poésie ? Les synthétiseurs et l’informatique sont là pour nous aider à illustrer des sentiments, des émotions, et à dresser des portraits soniques de choses très organiques. La musique qu’on compose n’est que la réflexion du monde. J’essaie de transmettre l’émotion de la manière la plus pure possible, même si les outils que j’utilise pour le faire peuvent être complexes.
M. L’EP évoque les trains d’Ivry-sur-Seine et de Kyoto. Le Japon t’inspire ?
U.L. Ce pays a une relation à la technologie aux antipodes de la nôtre. Elle y est omniprésente. Dans certains restaurants, il n’y a même plus de serveur mais uniquement des tableaux électroniques. Cependant, leur culture est tellement humaniste et sensible qu’au final les Japonais nous montrent que la technologie et l’humain ne sont pas antinomiques. C’est juste une manière de rendre le quotidien plus feng shui. Les musiques de trains, ça m’a donné un cadre. Parfois les contraintes permettent de trouver plein de solutions ingénieuses pour faire ce que tu veux en restant dans un paradigme. Avec Tracks, je voulais faire quelque chose d’ambiant, avec des morceaux assez courts, pas compliqués, minimalistes. Avec le projet de Sony CSL, je voulais aller sur de la musique de jeux vidéo. J’aimerais qu’on m’engage pour en écrire, je ne l’ai encore jamais fait et j’adore, c’est un domaine très important pour moi. La musique d’un jeu vidéo doit accompagner une action sans distraire le joueur. C’est l’inverse de ce qu’on fait pour une musique de film, qui doit devenir un personnage à part entière. Alors que dans un jeu, la musique doit être totalement immersive et correspondre à un univers.
M. En ce moment, tu travailles sur Loom, ton prochain album ?
U. L.J’ai signé avec Sony en début d’année, sur leur nouveau label XXIM Records. La machine est mise en route, je suis contente, c’est un vrai plaisir d’intégrer une grosse maison comme Sony. L’album est prêt depuis deux ans, je l’ai écrit en 2019, mais il va falloir que je le retravaille de A à Z. Je vais reprendre les démos en février mars, sortir un single et un premier clip en juillet. Je l’ai pensé sur le modèle du poème symphonique, des portraits de paysages spécifiques. Je le vois comme une genèse de la vie, d’un point de vue organique, celui des micro-organismes. Ce sera très orienté pop, trip hop, indie, avec plusieurs invités, un son “Massive Attack-esque”.