“Nous sommes en pleine transformation”, explique Charlotte Kemp Muhl, dite Kemp. Elle parle de son groupe, Uni, mais aussi de l’univers du rock, de la musique en général et de la société dans laquelle nous vivons. Kemp est bien placée pour le savoir : ex-mannequin, cette trentenaire est avant tout une artiste et une tête pensante qui cultive un rôle actif d’actrice/observatrice depuis des décennies. Compagne de Sean Ono Lennon – le fils de John et Yoko – depuis quatorze ans, Kemp est en quelque sorte la directrice artistique d’Uni autant que sa fondatrice. “Au départ, le groupe était calqué sur les influences très classiques des années 70 et du glam rock. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait une forme de plafond de verre dans ce milieu. Tou.te.s les artistes qu’on admirait – Bowie ou T-Rex, par exemple – ont eu du succès justement parce qu’il.elle.s regardaient vers l’avenir et non pas vers le passé. Donc, même si j’adore l’ancien, j’ai compris qu’il fallait faire évoluer notre esthétique pour dépasser ce stade. Nous vivons une époque vraiment intéressante, qui se dirige vers un futur menaçant, donc je voulais qu’on s’en inspire, qu’on aille vers les univers de l’intelligence artificielle, du transhumanisme.”
L’état du corps physique, le décalage entre apparence et réalité, est une préoccupation importante pour Kemp, dont la beauté “classique” n’a pas toujours été évidente à assumer, surtout pour un esprit aussi bouillonnant : “Je suis née avec ce physique très mainstream et j’ai toujours été frustrée par cela. Quand j’étais mannequin, on me proposait des jobs très commerciaux car j’avais le look qui correspondait, alors que je ne me considère pas comme une personne très commerciale !” Passionnée par l’idée que l’art trouve une valeur quand il se frotte au grotesque ou à l’expérimentation (elle cite Hieronymus Bosch ou Dali parmi ses peintres préférés), Kemp rejette les canons de la beauté traditionnelle et cherche, via Uni, à explorer les horizons. Justement, la pandémie actuelle a ouvert une brèche : les concerts physiques étant impossibles, c’est via une série de clips – ou plutôt des courts métrages – que le groupe distille les titres prévus pour un premier album. En tant que réalisatrice et conceptrice, Kemp a puisé dans sa passion pour l’art et le cinéma afin d’y explorer des références aussi diverses que Stanley Kubrick, Alejandro Jodorowsky, John Waters ou l’artiste Tony Oursler. Le dernier clip, Predator’s Ball, propose des scènes orgiaques dignes de The Rocky Horror Picture Show, et met en scène un casting ultra-diversifié. “Je suis contre les idées traditionnelles de la beauté, explique Kemp. J’étais super contente de pouvoir travailler avec des mannequins comme Caitin [Stickels] ou Brooks [Ginnan] que je trouve tellement sublimes, et qui sont devenu.e.s des ami.e.s depuis”, explique-t-elle, en évoquant ces deux activistes d’une beauté différente, dont la carrière est en éclosion.