Nous sommes en 2022 et l’industrie de la mode semble plus que jamais s’enjailler avec l’esthétique des années 2000. Si le revival de ce style plus connu sous le nom de Y2K aurait de quoi nous faire redouter le retour de plusieurs aspects toxiques et problématiques propre à son époque (culte de la maigreur, figure de la bimbo supposément écervelée, manque de diversité…), il semble que sa version 2022 soit au contraire une opportunité supplémentaire de célébrer encore plus d’inclusivité et de body-positivisme. 

De toutes les tendances qui ont dominé les catwalks lors des dernières fashion weeks de septembre 2021 dévoilant les collections printemps-été 2022, il y en a une qui s’est particulièrement démarquée et qui a réactivité un fort sentiment de nostalgie pour le millenium : c’est celle du début des années 2000, plus communément appelée sur les réseaux la tendance Y2K (pour “year 2000”). Soit des looks et des silhouettes très girly et shiny proches des figures pop de l’époque comme Paris Hilton, Lindsay Lohan ou Britney Spears avec leur pantalon taille basse, leur flip phone, leur crop tops, leur survêtement peau de pêche, leur string apparent, leur robe à fines bretelles, leur casquette trucker ou encore leurs grosses lunettes de soleil teintées et diamantées. Le tout bien sûr complété par des corps dénudés au max et sexuellement suggestifs (ventre, épaules, bas du dos, naissance du pubis etc).

Blumarine Resort 22

A priori, rien d’étonnant. Les années mode 2010 ayant été marquées par le retour des années 90, il semble plus que logique que les années 2020 soient marquées par le comeback du style du début des années 2000. C’est le phénomène classique du recyclage mode : chaque nouvelle décennie, ça sent le réchauffé et on a droit au revival de ce qui se portait 20 ans plus tôt. Résultat, plusieurs marques et célébrités ont plongé tête baissée dans cette tendance 2000’s comme Dua Lipa, Bella Hadid, Chloé, Balmain, Nensi Dojaka, ou Rejina Pyo. Mais ce sont surtout des griffes italiennes comme Blumarine et Miu Miu qui ont repris à fond les codes stylistiques Y2K, à l’image de la maison dirigée par Miuccia Prada qui avait marqué la fashion week parisienne en faisant défiler ses mannequins avec des mini-jupes plissées taille-basse et des crop tops laissant apparaître le bas de la poitrine. Cette tendance stylistique célébrant les années 2000 s’est même confirmée avec la récente cover du dernier numéro du Vanity Fair américain où l’actrice Nicole Kidman y reprend tous ces codes en portant ladite tenue de Miu Miu dans une pose et un décor rappelant étrangement les affiches promo de l’émission de télé-réalité “The Simple Life” avec Paris Hilton et Nicole Richie diffusée de 2003 à 2005.

Miu Miu SS22
Vanity Fair US, march 2022 cover.

“C’est vraiment cool de voir les vêtements que je portais sur les catwalks des défilés et sur les épaules des filles d’aujourd’hui, parce qu’à l’époque, personne ne s’habillait comme moi”, déclarait déjà Paris Hilton dans une vidéo pour le W magazine réalisée en 2017 dans laquelle elle expliquait avoir inventé ce style devenu si iconique. D’ailleurs, Britney Spears, autre grande figure de la pop des années 2000, est elle aussi à l’origine d’un revival mode avec la création du Britney Market (ça ne s’invente pas), un événement mode parisien fondé par Juliette Rocheteau qui se concentre sur la mode vintage Y2K. Effectivement dans cette période de pandémie post-confinement, il semble assez juste de supposer que la tendance Y2K soit si populaire puisqu’elle reflète d’abord une certaine nostalgie d’une époque fantasmée mais surtout un désir de se dissocier de notre période actuelle incertaine pour finalement revendiquer un temps soi-disant “plus simple” et plus insouciant. Un temps révolu où la jeunesse ne pensait qu’à s’amuser et à idolâtrer des pop stars ingénues (et ne s’angoissait clairement pas sur le sort de la planète et sur ses enjeux sociétaux). Honnêtement, on pourrait de prime abord se réjouir du retour du style des années 2000 et de la célébration des icônes pop de l’époque, tant leur esthétique criarde et souvent ringarde remise au goût du jour et désormais estampillée d’un facteur cool apporte un peu de fun et de second degré à l’industrie. Pourtant, difficile de ne pas oublier qu’en termes de diversité, de féminisme et de body-positive, les années 2000 n’étaient pas aussi roses que ça.

The Simple Life
Y2K Paris Hilton

Le style Y2K est en effet connu pour avoir promu le culte de la taille zéro et de « l’héroïne chic » – une époque où les os des hanches et des clavicules acérées comme des rasoirs étaient les traits corporels idéalisés. Presque toutes les it girls susmentionnées de l’époque (à 90% toutes blanches comme le montrent également les figures de Mischa Barton et Keira Knightley), étaient également très minces. En clair, les concepts de diversité, d’inclusivité et de body positive n’existaient pas. Au lieu de cela, toute personne au-dessus d’une taille 38 était considérée comme une sorte de paria social. Un statement qui a même été poussé à l’extrême jusque dans les références phares de pop culture avec les personnages de Bridget Jones ou la version “fat Monica” de Friends. Heureusement, nous sommes bien en 2022 et les paradigmes liés aux canons de beauté, aux représentations et à la consommation ont bien changé.

Grâce à l’avènement des réseaux sociaux, les modèles de représentations se sont multipliés et diversifiés permettant ainsi aux membres des génération Z et Y de s’identifier à des personnes qui leur ressemblent davantage. La preuve c’est qu’il existe aujourd’hui de nombreuses personnalités à la tête de la tendance Y2K qui ne se conforment pas à l’esthétique de la taille zéro et qui font voler en éclat par la même occasion les vieux préceptes d’une mode excluante. C’est le cas de la mannequin Savage X Fenty Raisa Flowers qui s’est réapproprié la tendance 2000 du body en résille, de la tiktokeuse aux millions de vues Michaila Cothran ou encore de la chanteuse Lizzo qui prône le body positive et se réapproprie avec brio les codes stylistiques de la tendance Y2K, comme le montre la récente tenue qu’elle a porté lors de la fête d’anniversaire de la rappeuse Cardi B. Mais celle qui a davantage marqué les esprits est sûrement la mannequin plus-size Paloma Elsesser qui vient de faire la couverture du dernier numéro du magazine britannique i-D en y portant la fameuse tenue Miu Miu. Histoire de rappeler que la tendance Y2K version 2022 pouvait convenir à tout le monde et à tous les corps, elle a tenu de préciser : « I’m not wearing a stretchy dress. I’m wearing Miu Miu » (« Je ne porte pas une jupe extensible. Je porte du Miu Miu »). Period.

Paloma Elsesser
Lizzo

Un statement qui vient confirmer un véritable changement de considération quant aux codes stylistiques supposés des années 2000. Dans un de ces récents rapport sur le comeback de ladite tendance, la plateforme de mode Lyst expliquait que « le retour du Y2K agit comme un volet de réparation face aux excès de la décennie 2000. De la même manière que certaines célébrités de la pop culture comme Britney Spears ou Paris Hilton sont récupérées, la génération Z adopte la mode Y2K mais avec un état d’esprit d’inclusion de taille et de corps, poussant ainsi la mode et son industrie vers plus de diversité et de représentation”. Normal, les mouvements liés au discours d’acceptation de soi et au body positivisme ont tellement progressé au cours des 10 dernières années que le retour au culte de la blanchité et à la taille zéro semble bel et bien enterré. Et même s’il reste encore beaucoup de travail à accomplir dans ce sens, de nombreuses initiatives artistiques nous montrent que nous sommes sans doute sur la bonne voie.

C’est notamment le cas avec la jeune photographe de mode Julie Poly dont la dernière campagne réalisée pour la marque Miista se veut être un “commentaire post-ironique sur le glamour des années 2000”. À regarder de plus son travail sur Instagram, on comprend cette déclaration de la photographe qui dans ses travaux se plaît clairement à décliner et à détourner l’esthétique Y2K, tout en se la réappropriant avec l’aide de mannequins dont les allures et les corps envoient balader les anciens codes esthétiques toxiques des années 2000. On peut être rassuré.e car il y a clairement dans cette démarche quelque chose de jouissif et de particulièrement cathartique à voir des tendances auparavant réservées à une minorité exclusivement “parfaite” être enfin adoptées de manière aussi unique et diverse.

Julie Poly
Julie Poly