Robe en broderie anglaise à ourlet boule JW Anderson, Collier “madison” en palladium et cristal Swarovski porté à la cheville Justine Clenquet.

Originaire du Liban, Yousra Mohsen est la première danseuse moyen-orientale à avoir intégré l’une des scènes les plus hot de Paris, le Crazy Horse. Avec son énergie positive et ses belles lignes, la jeune femme dessine les contours d’un nouveau Liban affranchi du poids du patriarcat.

Pleine de fougue, éprise de liberté, en quête de justice et terriblement inspirante, Yousra Mohsen, 22 ans, est à l’image du Liban d’aujourd’hui. Avec ses sourcils épais, ses boucles brunes et son teint clair, c’est la beauté libanaise par excellence. Ajoutez à cela des jambes infinies et la cambrure signature du Crazy Horse, la jeune femme nous ficherait presque des complexes si elle ne respirait pas une profonde bienveillance et une grande maturité pour son âge. Par son art, la danse, Yousra exprime le désir profond de contribuer à changer les mentalités de son pays natal, de faire rayonner celui-ci et d’inspirer les femmes du Liban et d’ailleurs à s’émanciper et à vivre librement leur féminité et leur sensualité. Une mission noble que cet électron libre s’est donnée, en ayant la force et l’intelligence d’ignorer la malveillance de certains esprits rétrogrades. L’histoire de Yousra nous montre que, quand on cherche le meilleur en soi, on peut se transformer et contribuer à changer le monde.

Robe Strapless 3D en polyester Coperni, Boucle d’oreille “Swell Ear Hoop” en polymères argent et chrome liquide Hugo Kreit.

De Yousra à Laïla 

Tous les soirs sur la scène du Crazy Horse, à “la maison” comme elle l’appelle, Yousra est Laïla Liberty. C’est le nom qu’Andrée Deissenberg, la directrice générale du cabaret, a décidé de lui offrir après avoir passé un mois à apprendre à connaître la jeune femme, durant sa formation, avant qu’elle ne débute officiellement sur scène. Un nom qui lui va comme un gant, de velours. “Laïla signifie ‘nuit’ en arabe, et ‘Liberty’, c’est pour mon côté émancipé, libre. J’ai choisi de faire ce que je voulais dans la vie, Laïla Liberty c’est moi, une femme libre.” Sur scène,
Yousra se fond entièrement dans son alter ego. Perchée sur ses talons, elle n’a peur de rien et joue à être aussi bien une créature de fantasme pour ceux qui la voient comme telle, qu’un modèle d’empowerment pour celles et ceux qui portent ce regard sur elle. Pourtant, l’idée d’intégrer un cabaret de ce type n’avait jamais vraiment trotté dans la tête de Yousra qui, comme la plupart des jeunes femmes, a été davantage encouragée à taire sa sensualité qu’à l’embrasser. Championne de saut d’obstacles du Liban en 2014, Yousra a longtemps partagé son temps entre le lycée français de Beyrouth, la danse et l’équitation. C’est pendant l’année de son baccalauréat, alors qu’elle fait partie de la prestigieuse école Caracalla Dance Theatre de Beyrouth avec laquelle elle part en tournée, qu’elle décide de descendre de selle pour se consacrer à la danse. “La scène me faisait vibrer. C’est avec Caracalla que j’ai découvert ce que je voulais faire : voyager grâce à un art. Découvrir le monde tout en dansant, c’est une chose magnifique à vivre.” À partir de là, Yousra n’a plus jamais lâché son goal de vue : devenir danseuse professionnelle. Encouragée par sa mère, la femme de sa vie, elle arrive à Paris et intègre l’Académie internationale de la Danse où elle suit une formation qui comprend des cours de classique, de contemporain, de jazz et… de street jazz heels (danse en talons) enseigné par Nadine Timas, danseuse et chorégraphe, véritable ego boosteur pour ses élèves. Les cours de Nadine sont d’un autre genre, ultra-féminins et sensuels. On y travaille les lignes et les courbes, les cambrés, les marches assurées et félines. Surtout, on bosse sur le lâcher-prise, mais pas n’importe lequel, celui qui vient de l’acceptation de la puissance du féminin. Yousra se révèle à elle-même, elle découvre sa féminité, sa sensualité, et se transforme. “Je ne savais pas que j’avais ça en moi, je me suis sentie tellement épanouie.” Un déclic qui lui a permis, encouragée par Nadine Timas, de passer l’audition du Crazy Horse. 

 

Beyrouth, mon amour

Cela fait trois ans que Yousra a quitté son pays et qu’elle a rejoint l’une des plus grandes diasporas du monde (15 millions de ressortissants Libanais vivent à l’étranger, c’est trois fois la population du Liban). Même si elle n’y vit plus, Yousra pense constamment à son pays et a décidé de lui dédier une partie de son temps en soutenant son changement. Le Liban est le seul endroit où elle donne des cours de danse. “Dès que je rentre, je donne des cours de heels. Je parle beaucoup du corps de la femme à mes élèves, qui me regardent alors avec de grands yeux ! Elles n’entendent pas souvent cela à la maison. La sensualité et la sexualité ne sont pas des sujets qu’on aborde. Je leur apprends à sentir leur corps, à le toucher, à l’aimer. Ces choses ne sont pas innées, moi aussi je les ai apprises.” Si, en France, on a tout autant de progrès à faire sur la libération du corps de la femme et la manière d’éveiller la nouvelle génération à la sensualité, la tâche est d’autant plus compliquée dans ce pays patriarcal où les femmes bénéficient de moins de 60 % des droits octroyés aux hommes. “Elles sont toujours sous emprise masculine, via le père, le mari, le frère”, confie Yousra, déplorant que ses compatriotes féminines n’aient toujours pas des droits aussi simples que donner la nationalité libanaise à leurs enfants ou divorcer. “Ma mère a mis sept ans à obtenir le divorce, parce que c’est elle qui l’avait demandé !” 

Sweat en velours, shorty en maille viscose et escarpins en cuir effet lézard brillant Saint Laurent par anthony vaccarello, Collier “Swirl” en polymère argent, chrome liquide et perles d’hématite Hugo Kreit.

Talent et engagement

Alors, en donnant des cours de danse qui libèrent les corps et la féminité, Yousra contribue à sa manière à changer la société libanaise et à façonner une nouvelle génération qu’elle espère “plus consciente de son corps et plus intelligente émotionnellement.” Son engagement et son talent n’ont d’ailleurs pas échappé aux designers libanais, à l’instar de Karoline Lang qui l’a sollicitée pour chorégraphier la vidéo de sa campagne Automne-Hiver 2020-21, La Danse des Femmes. En 2019, l’hôtel Intercontinental Phoenicia de Beyrouth avait déjà fait appel à Yousra et à son ami Anthony Nahklé – autre star du heels au Liban et ex-performeur du show Zumanity du Cirque du Soleil – pour danser dans leur film Transitions. Tous deux partaient, perchés sur des talons, dans une danse impertinente à travers le Palace beyrouthin. La vidéo avait été autant acclamée pour son énergie et son caractère audacieux que critiquée par celles et ceux qui la trouvaient indécente (un garçon sur des talons, Oh My God…). On sent chez Yousra le même courage et la même force de résilience que partagent la plupart des Libanais, pour venir d’un pays cent fois détruit et cent fois ressuscité. Elle fait partie d’une génération bien déterminée à mettre dehors des dirigeants politiques corrompus qu’elle décrit comme “une milice, une mafia” et qui s’accrochent au pouvoir depuis plus de quarante ans. Car, depuis la création du Liban, le système politique est celui du confessionnalisme, censé n’être que provisoire à l’origine, qui a engendré clientélisme et corruption et où le recrutement d’un individu se fait sur son appartenance communautaire religieuse (sunnite, chiite, chrétienne, druze), pas sur ses compétences. Les grandes manifestations d’octobre 2019 visaient à mettre fin à ce régime confessionnel et demandaient la démission des dirigeants. Le 4 août 2020, l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui a pulvérisé le port de la capitale et ravagé Achrafieh, le quartier chrétien le plus ancien de la ville, a été la goutte de trop pour les Libanais. Le mépris et la négligence de leurs politiques ont tué 200 personnes, en ont blessé 10 000 et mis 300 000 à la rue. Yousra, qui est à ce moment-là en voyage en Italie, est anéantie. “J’ai eu à faire quelque chose que je ne souhaite à personne, appeler mes proches un par un pour savoir s’ils étaient vivants.” Passé le choc, elle met toute son énergie à rassembler et partager les infos qu’elle a sur les actions de solidarité qui s’organisent pour son pays et à faire fonctionner ses contacts pour les optimiser. “C’était le minimum que je pouvais faire à mon échelle, utiliser ma petite influence pour aider mon pays qui souffrait.” Il faut dire, qu’encore une fois, le peuple libanais a dû se sortir seul de l’horreur, sans l’aide de son gouvernement, grâce à des groupes de bénévoles qui portaient secours aux survivants et déblayaient les gravats dans les rues tant bien que mal. “Les Libanais sont très fraternels. Quand on souffre, on se rassemble pour surmonter les épreuves ensemble.”  Yousra appréhende le choc qu’elle sait qu’elle ressentira quand elle marchera dans les rues de Beyrouth à son retour. Pour autant, sa foi en son pays est inébranlable. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle sait que le temps de l’engagement politique est venu, et elle compte bien sur les prochaines élections pour renouveler la classe politique dirigeante. Et c’est aussi au Liban qu’elle souhaite mener le projet professionnel qui lui tient à cœur : ouvrir une agence artistique pour promouvoir la culture et les artistes locaux. Inutile de vous dire que cette tornade bombesque est déjà en train de changer le game bien au-delà du Pays du Cèdre.

Robe-combinaison en maille Boyarovskaya, Boucle d’oreille Terry en palladium, or et perle d’agate Justine Clenquet.

Réalisation Gemma BEDINI. Coiffure : Jacob KAJRUP @ Calliste Agency. Maquillage : Khela @ Call My Agent. Opérateur digital : Antoine @ A-Studio.

Assistant lumière : Guillaume LECHAT.