De Yousra à Laïla
Tous les soirs sur la scène du Crazy Horse, à “la maison” comme elle l’appelle, Yousra est Laïla Liberty. C’est le nom qu’Andrée Deissenberg, la directrice générale du cabaret, a décidé de lui offrir après avoir passé un mois à apprendre à connaître la jeune femme, durant sa formation, avant qu’elle ne débute officiellement sur scène. Un nom qui lui va comme un gant, de velours. “Laïla signifie ‘nuit’ en arabe, et ‘Liberty’, c’est pour mon côté émancipé, libre. J’ai choisi de faire ce que je voulais dans la vie, Laïla Liberty c’est moi, une femme libre.” Sur scène,
Yousra se fond entièrement dans son alter ego. Perchée sur ses talons, elle n’a peur de rien et joue à être aussi bien une créature de fantasme pour ceux qui la voient comme telle, qu’un modèle d’empowerment pour celles et ceux qui portent ce regard sur elle. Pourtant, l’idée d’intégrer un cabaret de ce type n’avait jamais vraiment trotté dans la tête de Yousra qui, comme la plupart des jeunes femmes, a été davantage encouragée à taire sa sensualité qu’à l’embrasser. Championne de saut d’obstacles du Liban en 2014, Yousra a longtemps partagé son temps entre le lycée français de Beyrouth, la danse et l’équitation. C’est pendant l’année de son baccalauréat, alors qu’elle fait partie de la prestigieuse école Caracalla Dance Theatre de Beyrouth avec laquelle elle part en tournée, qu’elle décide de descendre de selle pour se consacrer à la danse. “La scène me faisait vibrer. C’est avec Caracalla que j’ai découvert ce que je voulais faire : voyager grâce à un art. Découvrir le monde tout en dansant, c’est une chose magnifique à vivre.” À partir de là, Yousra n’a plus jamais lâché son goal de vue : devenir danseuse professionnelle. Encouragée par sa mère, la femme de sa vie, elle arrive à Paris et intègre l’Académie internationale de la Danse où elle suit une formation qui comprend des cours de classique, de contemporain, de jazz et… de street jazz heels (danse en talons) enseigné par Nadine Timas, danseuse et chorégraphe, véritable ego boosteur pour ses élèves. Les cours de Nadine sont d’un autre genre, ultra-féminins et sensuels. On y travaille les lignes et les courbes, les cambrés, les marches assurées et félines. Surtout, on bosse sur le lâcher-prise, mais pas n’importe lequel, celui qui vient de l’acceptation de la puissance du féminin. Yousra se révèle à elle-même, elle découvre sa féminité, sa sensualité, et se transforme. “Je ne savais pas que j’avais ça en moi, je me suis sentie tellement épanouie.” Un déclic qui lui a permis, encouragée par Nadine Timas, de passer l’audition du Crazy Horse.
Beyrouth, mon amour
Cela fait trois ans que Yousra a quitté son pays et qu’elle a rejoint l’une des plus grandes diasporas du monde (15 millions de ressortissants Libanais vivent à l’étranger, c’est trois fois la population du Liban). Même si elle n’y vit plus, Yousra pense constamment à son pays et a décidé de lui dédier une partie de son temps en soutenant son changement. Le Liban est le seul endroit où elle donne des cours de danse. “Dès que je rentre, je donne des cours de heels. Je parle beaucoup du corps de la femme à mes élèves, qui me regardent alors avec de grands yeux ! Elles n’entendent pas souvent cela à la maison. La sensualité et la sexualité ne sont pas des sujets qu’on aborde. Je leur apprends à sentir leur corps, à le toucher, à l’aimer. Ces choses ne sont pas innées, moi aussi je les ai apprises.” Si, en France, on a tout autant de progrès à faire sur la libération du corps de la femme et la manière d’éveiller la nouvelle génération à la sensualité, la tâche est d’autant plus compliquée dans ce pays patriarcal où les femmes bénéficient de moins de 60 % des droits octroyés aux hommes. “Elles sont toujours sous emprise masculine, via le père, le mari, le frère”, confie Yousra, déplorant que ses compatriotes féminines n’aient toujours pas des droits aussi simples que donner la nationalité libanaise à leurs enfants ou divorcer. “Ma mère a mis sept ans à obtenir le divorce, parce que c’est elle qui l’avait demandé !”