Face à l’urgence climatique et à la montée des eaux, le duo Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter, à la tête de la jeune marque engagée Botter, a trouvé comme alternative de créer des vêtements porteurs d’un vrai message.

Sacs en pare-battage, masques de plongée XL, bonnets de bain en version cagoule, la dernière collection SS22 Botter semble nous préparer à une immersion dans les fonds marins. Sauf que, dans la réalité du binôme créatif, ce n’est pas nous qui déciderions de cette expédition, mais la montée des eaux qui nous y forcerait. Vous l’aurez compris, Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter expriment leur regard franc et sans filtre sur le monde. Mais loin d’être pessimistes, les jeunes designers ont à cœur de créer des vêtements durables, porteurs de sens et gages d’un futur meilleur. Après s’être rencontrés au cours de leur enfance aux Pays-Bas, ils se retrouvent pendant leurs études et ne se quittent plus, liés notamment par leur amour pour la mode. Fraîchement diplômée du Amsterdam Fashion Institute, Lisi rejoint Rushemy en Belgique, qui est alors étudiant à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. Le voyage Botter commence. Pendant trois ans, le duo expérimente, joue, se trompe et trouve son langage dans le safe-space que représente l’académie. En Master, leur collection remporte plusieurs prix de talents émergents et, avec l’argent récolté, ils s’envolent pour Paris où ils louent un studio dans l’idée de faire connaître leur marque naissante. Les flyers distribués pendant la Fashion Week mettent la machine en route. Puis en 2018, la victoire du Grand Prix du Festival de Hyères marque le vrai début de l’ère Botter. Véritablement engagé dans la préservation de la santé de l’océan, le tandem se distingue avec ses créations réalisées à partir de matériaux issus de la pollution des mers, et sa vision innovante de ce que la mode doit être aujourd’hui. Bien plus qu’une ligne de vêtements, Botter nous plonge dans un autre monde où les systèmes classiques n’ont désormais plus aucune place et où on se dit les choses de façon directe et brutale sans pour autant oublier la notion d’optimisme et la possibilité d’un changement.

Mixte. Vous vous décrivez comme une marque de “vêtements aquatiques”. Pourquoi l’eau est-elle si importante dans votre travail ?
Lisi Herrebrugh. L’eau est importante depuis les prémices, avant même que la marque ne soit vraiment lancée. Ça s’est fait de manière très organique, nous sommes tous les deux liés à une île, Curaçao pour Rushemy et la République dominicaine pour moi. C’est d’abord l’histoire de notre famille, très attachée à l’eau et à son état, qui nous a fait prendre conscience de son importance et nous a vraiment donné envie d’en parler. Mais à côté de ça, on sait aussi que c’est un élément fondamental de la vie humaine, et qu’il est indispensable de vivre en harmonie avec lui. Pour nous, c’est un monde inexploré auquel on peut apporter beaucoup de curiosité et de créativité.

M. Vous avez toujours été sensibles à l’environnement ?
Rushemy Botter. Oui, car quand on grandit sur une île, on est bien plus conscient de la nature et de ce qui nous entoure. Nos parents nous ont appris à faire attention à l’environnement. C’est presque du bon sens pour nous.
L. H. On a aussi passé beaucoup de temps en Hollande, et c’est un sujet dans lequel les Hollandais sont très impliqués. Il faut dire qu’au xviie siècle, ils régnaient sur la quasi-totalité des mers. Par ailleurs, il y a beaucoup d’histoires sur les désastres liés à l’eau aux Pays-Bas. Ce peuple a une histoire et une connexion particulière encore très importante à cet élément.

Portrait de Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter.

M. Comment avez-vous réussi à inclure la protection de l’environnement et la sensibilisation au changement climatique dans votre processus créatif ?
R. B.  Avec Lisi, nous sommes de grands rebelles du changement climatique. Quand on a réalisé notre première collection, en Master, on avait la chance de pouvoir en créer une qui était vraiment “nous”, qui nous ressemblait. Alors, c’est ce qu’on a fait, on a parlé de ce qui nous touche.
L. H. Au début, on a incorporé cette notion dans notre process parce qu’on en parlait haut et fort, puis on a grandi, et notre marque est devenue plus mature. C’est là qu’on est passé.e.s du “cri” au besoin de concevoir notre propre système. C’est-à-dire trouver les meilleurs partenaires avec qui collaborer, les usines qui fabriquent les bons vêtements et les fournisseurs appropriés pour les matériaux. On ne peut pas faire beaucoup plus tout.e seul.e.s, on a besoin de s’entourer des bonnes personnes, de celles qui sont dans le même état d’esprit, on est passé.e.s d’un processus créatif à la vision d’une organisation.
R. B. Aujourd’hui, on ne se voit plus comme une simple marque de mode. Des vêtements, il y en a suffisamment. En créer, c’est important parce que c’est une forme d’art qui permet de s’exprimer, mais je pense qu’on peut faire ça main dans la main, avec l’ambition de rendre le monde un peu meilleur.

M. À quelles difficultés avez-vous été confronté.e.s en développant Botter ?
R. B. Aujourd’hui, c’est presque commun de parler du changement climatique, mais quand on a commencé en tant que marque qui s’intéresse à la planète, les gens ne nous prenaient pas au sérieux. Ce n’est qu’au Festival de Hyères qu’on nous a considéré.e.s. Ils ont vu et ont compris notre vision. C’est ce qui nous a fait décoller.
L. H. Ce qui a été difficile aussi, c’était de trouver des fournisseurs qui acceptent de vendre des quantités plus petites. Parce qu’avec les matières durables, le processus est si différent qu’ils veulent de grosses commandes, ce que nous n’étions pas en mesure de faire. Mais une fois que Botter a été vu plus sérieusement en tant que business et qu’on a eu un peu d’histoire, on a eu plus de poids et de pouvoir.
R. B. Curieusement, ces usines ont maintenant besoin de jeunes designers ou de gens comme nous qui ne sont pas conventionnels, qui parlent du changement climatique et qui agissent. Ça leur permet aussi de développer d’autres techniques et de nouvelles idées. C’est du gagnant-gagnant.

M. Comment avez-vous spécifiquement conçu votre dernière collection Printemps-Été 2022 ?
R. B. Concevoir une collection, c’est toujours un processus long et fastidieux. On est arrivé.e.s à un stade où notre positionnement et notre esthétique commencent à être installé.e.s. La question a donc plutôt été de savoir comment évoluer, comment faire grandir le storytelling.
L. H. On s’est demandé à quoi pouvait ressembler le vêtement aquatique. On a beaucoup étudié les combinaisons de plongée et leurs fonctionnalités, par exemple. C’est ce qui nous a aidé.e.s à comprendre nos possibles besoins en tant qu’êtres humains vivant sous l’eau et à envisager comment les incorporer dans nos habits du quotidien. Il y a eu aussi un aspect plus romantique et stylistique sur la façon de proposer aux gens des choses qui rappellent les océans, mais qui restent reconnaissables en tant que vêtements de références. C’était une manière de trouver de nouveaux détails, d’autres façons de faire.

M. C’est aussi la première fois que vous collaborez officiellement avec l’ONG environnementale Parley for the Oceans.
R. B. Absolument. Même s’il y a quelque temps maintenant qu’ils nous confient les matériaux qu’ils récupèrent dans les mers pour qu’on les utilise dans nos créations, comme le plastique. Nous aimons l’audace et le courage de Parley dans leur prise de position, et nous avons la même vision du futur.
L. H. C’est une ONG qui est très sélective quand il s’agit des personnes avec lesquelles elle collabore. Ses membres veulent savoir ce qu’il advient des matériaux et que ces derniers ne soient pas mélangés à d’autres qui ne sont pas recyclés. Ils sont très difficiles sur les conditions, car la mode est une industrie qui pollue énormément.
R. B. Et c’est une bonne chose qu’ils soient exigeants, car beaucoup de marques veulent raconter la même histoire sans forcément être réellement investies ni engagées. Notre collaboration montre que ce type de partenariat n’est pas un outil marketing, mais une véritable relation privilégiée qui cherche à communiquer de manière positive et artistique sur des sujets de fond.

M. L’upcycling est passé d’une pratique niche à l’une des plus grandes tendances chez les marques de luxe. Que pensez-vous de ce phénomène et comment l’expliquez-vous ?
L. H. Je trouve ça bien, car honnêtement c’est quasi impossible de ne rien faire aujourd’hui vis-à-vis de l’environnement. Pour moi, c’est la chose la plus sincère qui soit et je pense que ce sont les jeunes marques comme nous qui ont vraiment donné le la, et qui ont pu montrer aux grandes maisons que ça pouvait marcher.
R. B. Les marques de luxe ont pris conscience que le consommateur voulait des choses différentes et qu’il avait le pouvoir de décider. La jeune génération veut des vêtements qui ont une âme, une histoire. C’est en quelque sorte pour elle une nouvelle façon de contribuer au monde. Regardez, autrefois les associations devaient faire du porte-à-porte pour récupérer de l’argent, par exemple. Alors que maintenant, avec les réseaux sociaux, les gens sont davantage conscients et engagés dès leur plus jeune âge. Ça a vraiment tout changé.

M. Comment voyez-vous le futur de l’engagement dans la mode ?
L. H. Je le vois assez radieux. Cette industrie est très innovante, elle parle à tellement de couches de la société ! Tout le monde a besoin de porter des vêtements, et tout le monde se regarde. Si nous avons les bonnes intentions et si nous faisons chacun notre part du travail, j’entrevois une issue assez positive à tout cela.

M. Pensez vous que la créativité sera toujours possible avec la montée de l’éco-anxiété ?
R. B. Oui, bien sûr. Mais ce sera sans doute une nouvelle forme de créativité. Car c’est lorsqu’on est forcé de sortir de sa zone de confort et de penser différemment que naissent la création et l’innovation.