Troy Lamarr Chew

Entre vocabulaire visuel engagé et opulence des festivités, Miami accueillait dans son joyeux chaos l’édition 2023 d’Art Basel et de ses foires annexes (Design Miami, Alcova etc). Retour en 7 points sur un événement qui démontre une fois de plus que l’art peut être un puissant vecteur d’interpellation esthétique sur des sujets de société.

ART BASEL MIAMI

1. Le globe “Earth Play” de Seung-taek Lee

Dans le secteur Meridians du Art Basel 2023, les errances des visiteur·se·s ont été interpelées par l’immense ballon du pionnier coréen de l’avant-garde Seung-taek Lee. Comme pour vaporiser à nos yeux l’importance cruciale d’accélérer l’action collective vers une monde plus vertueux, ce dernier a présenté Earth Play, un globe surdimensionné peint avec une image satellite de la Terre et qui met en lumière les problèmes environnementaux négligés au milieu de l’industrialisation rapide de la Corée après la guerre. Une façon pour lui de rappeler de manière poignante la fragilité de notre planète.

2. La culture hip-hop selon Troy Lamarr Chew

Dans la foison des galeries d’Art Basel, il y a des œuvres qui nous tapent directement dans l’oeil. C’est le cas de l’œuvre présentée par Troy Lamarr Chew. Cet artiste qui vit et travaille à Los Angeles, en Californie a délivré un visuel inspiré de la culture hip-hop qui utilise les traditions historiques de l’art pour souligner l’exclusion de la couleur noire. Pour célébrer le 50e anniversaire du hip-hop cette année, il réinterprète les albums et vidéoclips majeurs du genre. On y voit l’image d’artistes originaux remplacés par son propre corps. Chew prend possession de ces images emblématiques, faisant référence avec humour à la tradition du sampling dans la culture hip-hop.

3. Le programme “Conversations” : entre art et problématiques sociétales

Au sein de la foire Art Basel, le programme Conversations abordait le statut de la Floride et de son écosystème fragile menacé par des conditions météorologiques extrêmes et par la montée du niveau de la mer. Les conférences célébraient les artistes afro-latinos, latino-américains et féministes qui trouvent des formes d’expression créative pour aborder des sujets tels que le genre, la race et les systèmes de croyance. Ce programme s’est ouvert avec Maria Magdalena Campos-Pon, qui s’appuie sur son héritage cubain pour aborder les histoires mondiales d’esclavage, de maternité et de migration.

4. LA PRISE DE PAROLE DE CHANCE THE RAPPER

Après quelques jours intenses, le Art Basel 2023 s’est clôturé avec un regard croisé entre Chance the Rapper, auteur-compositeur-interprète, producteur, philanthrope et activiste, et Lauren Haynes, directrice des affaires et des programmes de conservation du Queens Museum à New York. Tous deux ont discuté de l’influence mutuelle du hip-hop et d’autres domaines culturels, notamment les arts visuels, d’inspiration et mentorat, et d’autonomisation de la prochaine génération de créatifs. Chance, qui entrelace les mondes de l’art, de la musique et du cinéma à travers des œuvres et des installations uniques, se prépare à sortir sa prochaine œuvre, Star Line Gallery : l’un des projets dont il est “le plus fier en termes d’écriture et de vision artistique” et qui peut se voir comme à la fois un album et une galerie de 16 œuvres visuelles originales, “fruit d’une collaboration avec des artistes visuels introduite par le processus de création de (ses) chansons ».

Rencontrée lors de son premier voyage au Ghana, l’artiste peintre et architecte Naïla Opiangah a emmené Chance un peu partout et lui a révélé les histoires incroyables de ce pays qui a été premier à obtenir son indépendance du colonialisme dans le début des années 70. “En tant qu’artiste noire francophone, elle a une compréhension de l’art très nuancée, a expliqué Chance The Rapper. Nous avons commencé la création d’une œuvre d’art ensemble qui a été exposée au Musée d’art contemporain de Chicago l’année dernière. Lors de mon premier voyage au Ghana, j’ai été présenté à plein d’artistes et photographes incroyables. J’ai réalisé que je pouvais faire parti d’un gang de noir partout dans le monde ! Les collaborations ont coagulé et nous avons créé un groupe d’amis très solide.” Aujourd’hui, Black Star Line Festival, événement organisé au Ghana par le rappeur, est en somme l’incarnation parfaite de ces rencontres et de ce voyage, mais aussi une safe place pour que les gens s’amusent, se cultivent, dialoguent.

DESIGN MIAMI

5. LES INTÉRIEURS INTIMES DE FENDI

Lors de Design Miami (foire annexe de Art Basel), le duo BLESS, studio de niche, indépendant et alternatif fondé par Desiree Heiss and Ines Kaag, présentait en collaboration avec FENDI Fendibackfrontals, une œuvre d’art et design d’intérieur composée principalement de quatre paravents double face créant à la fois un paysage et un parcours agrémentés de documents photographiques grandeur nature révélant au public les anciennes cuisines des sœurs Fendi. Une sorte de micro-univers tridimensionnel qui permettait donc aux visiteur·se·s de plonger dans un fragment exporté de FENDI et d’une certaine manière, de cohabiter avec la Maison. L’œuvre en question avait ainsi pour but de donner une vision plus intimiste et de révéler les humains derrière la maison de luxe italienne connue pour ses savoir-faire d’excellence. “Nous étions curieuses de découvrir les personnes qui œuvrent dans l’ombre, particulièrement parce qu’il s’agit d’une entreprise très ‘female-driven’. Cette conversation nous a également donné accès à un niveau d’artisanat d’excellence inapprochable autrement”, a expliqué le duo de designers qui ont par la même occasion pu découvrir les processus et éthiques de travail. “Nous avons eu des échanges où les questions transparentes étaient ouvertes : dialogue sur l’éthique, réutilisation de matières et matériaux obsolètes… Nous avons eu carte blanche pour le dire d’une façon esthétique, convaincante et honnête” se rappelle Desiree.

6. La symbolique de l’eau par Samuel Ross x Kohler

Le visionnaire Dr Samuel Ross était présent à la preview de Design Miami pour présenter l’un des derniers travaux de son studio de design industriel SR_A, le Terminal 01 et sa pièce maîtresse Formation 01, réalisée en collaboration avec Kohler. Un projet mettant l’eau au cœur d’une installation architecturale dont le langage visuel s’inspire des processus industriels, de l’architecture moderniste et de l’expression des couleurs dans les villes avant-gardistes du monde entier. “Cette collaboration est le fruit d’un travail de deux ans et demi. L’opportunité passionnante pour mon studio et moi a été de définir des perspectives de développement de nouveaux matériaux et différentes façons dont l’eau peut se déplacer”, explique Samuel Ross. “Cette conversation avec une entreprise comme Kohler consistait pour nous à créer un langage et un monde qui s’étendent à d’autres catégories. Il s’agissait pour moi davantage de process de gestuelle ; j’ai travaillé avec du charbon, des pinceaux, une utilisation et reformatages optimale des matériaux. Je voulais expérimenter dans le design comment ces formats et outils résonnaient en moi”, ajoute le designer.

ALCOVA

7. LES LITS DÉCONNECTÉS D’Annabelle Schneider

Dans “Being In Bed”, l’œuvre/installation immersive d’Annabelle Schneider, la technologie et la pleine conscience convergent. Exposée dans le cadre de la première édition internationale d’Alcova Miami, la designer invitait à un voyage corps-esprit explorant le pouvoir de guérison de la narration immersive. Au sein du Selina Gold Dust, un Motel historique, ses matelas empilés de façon spécifique et un voyage en réalité virtuelle immergaient les visiteur·se·s dans cinq scènes ancrées dans les rythmes naturels de notre corps, les cycles encourageant les spectateur·rice·s à explorer la connexion corps-esprit.

À une époque où la technologie imprègne tous les recoins de nos vies, “Being In Bed” souligne l’importance de la pleine conscience et de la reconnexion avec notre corps naturel pour l’équilibre et le bien-être. Ainsi, les personnes présentes ont pu découvrir un espace drapé de matériaux hautement tactiles, comme des couvertures tissées à la main, à partir de feuilles d’argent (récupération de couvertures de survie) et de matelas recouverts de linge de lit teints à la main en pigment thermochromique. “Je voulais créer un espace de spéculation sur le potentiel curatif de la technologie, en particulier sur la manière dont la narration immersive peut nous aider à nous reconnecter à nous-mêmes et à trouver de nouvelles voies de bien-être. La réalité virtuelle peut être un médium spirituel”, assène Annabelle.