Campagne Rhode

D’Hailey Bieber à Bella Hadid, l’esthétique clean girl prône une beauté naturelle, dans laquelle la peau glow à grand renfort de routine skincare. Gare à vous si nous ne suivez pas la mouvance, une armée de troll se chargera de vous rappeler que vous n’êtes pas dans les normes de beauté en déployant une chasse aux sorcières 2.0. Bienvenue dans l’ère où paraître naturel·le devient un véritable enfer.

“Peut-on juste parler de chirurgie esthétique ? J’ai l’impression que l’on stigmatise tellement les gens qui ont recours à cette pratique que je me dois de prendre la parole à ce sujet, même si je ne vais rien y gagner, bien au contraire.” Lorsque Megan Fox s’assoit sur le très convoité canapé de la podcasteuse Alex Cooper pour son émission Call Her daddy, le 20 mars dernier, la comédienne décide de prendre les devants, et d’assumer fièrement son amour pour le bistouri et le make-up outrageous, aux grands dam de celleux qui prônent le naturel : “Je me fais sans cesse troller, le plus souvent par des femmes qui se disent life coach, guérisseuse avec des cristaux, ou qui prêche le féminin sacré tout en prenant le temps de m’insulter sur les réseaux car, selon elles, je ne fais que perpétuer une image malsaine de la beauté.” Par “malsaine” comprenez “pas assez naturelle”. Exit les fesses oversize de Kim Kardashian et la bouche bigger than life des influenceuses : la clean girl era impose de calmer le jeu sur les injections. Présente depuis presque deux ans sur les réseaux sociaux, cette mouvance ne cesse de se diviser en sous-catégorie, ayant toutes un dénominateur commun : le fait de vouloir paraître la plus fraîche possible, option sans ajout de matière grasse.

Tel un plaidoyer dans lequel Megan Fox assume son goût prononcé pour le fake, la comédienne se sent obligée de justifier les opérations qu’elle a, et surtout qu’elle n’a pas réalisé sur son corps : “Je me suis fait refaire la poitrine et le nez, et je ne sors jamais sans maquillage. J’adore insister sur le contouring de mon nez, le rendre aussi fin que possible jusqu’à ce qu’on ne voit que mes deux narines, comme Voldemort. En ce qui concerne le laser et le botox, j’ai essayé tout ce qui existe, et je continuerai jusqu’à la fin de ma vie. Je n’encourage personne, mais faites ce que vous voulez, je ne comprends pas l’intérêt de shamer les gens à ce sujet.”

C’est (pas) du propre

Les commentaires, pourtant, s’en donnent à cœur joie, inventant même une nouvelle appellation pour celles qui osent rester kéblo dans l’esthétique so décennie 2010 : la stink face. Imaginez ouvrir le frigo et tomber nez à nez avec un vieux camembert ouvert depuis 3 semaines, l’odeur écœurante vous pousse à mimer un “ewwww” en laissant apparaître un visage mi renfrogné-mi dégoûté : bravo, vous venez de remporter le concours de sosie de Kylie Jenner. C’est du moins ce que pense les haters de la star en partageant allégrement une photo de cette dernière au défilé Schiaparelli de janvier 2023, confondant lumière peu flatteuse avec surconsommation d’injections. Face à ce déluge de haine gratos sur les réseaux, la businesswoman de 26 ans craque pour la toute première fois face caméra en juin dernier, fondant en larmes dans un épisode de la saison 5 de leur série “Les Kardashians” : “Quand je lis tous les commentaires sur mon apparence, c’est un miracle si j’arrive encore à avoir confiance en moi et que je me trouve jolie en me regardant dans le miroir”, lance-t-elle à sa sœur Kendall. Se sentant obligée de se justifier sur son physique, la mogul du make-up lui avoue même avoir réduit de moitié ses injections dans les lèvres, prouvant qu’elle tend, elle aussi, à se fourvoyer vers le droit chemin de la clean girl. À croire qu’après avoir chassé le naturel, ce dernier revient bel et bien au galop.

@athenixbody What is the cause for the Kardashian stink face? 🤔 @Dr. Justin Perez breaks down what he thinks might be the main culprits, including Botox, lip flips, lip filler, and even nose surgery. Whether you’re looking to enhance your features or improve a specific part of your look, finding a board-certified plastic surgeon who truly comprehends your vision is key. ✨ DM or call us at 📞 888-276-1535 to get scheduled for a consultation today, virtual options are also available! Disclaimer: Please note that the information in this post is not a substitute for professional medical consultation or treatment. Individuals mentioned in this post are not affiliated with Athenix. #athenix #plasticsurgeonreacts #kyliejenner #kimkardashian #rhinoplasty #facialbalancing #lipfiller #lipflip @chloe ♬ Never Lose Me - Flo Milli

Cette tendance à vouloir paraître toujours plus “clean” se confirme aussi en boutiques, à l’instar de la marque française Aroma-Zone, dont les magasins se transforment chaque week-end en mausolée wellness pour tout bon gen Z qui se respecte, reléguant Sephora en maison de retraite pour millennial. Son banger ? Le sérum à l’acide hyaluronique d’origine naturelle, un must have à moins de six euros, si bien qu’il s’en vend désormais un toutes les dix secondes. Et bien que la société ne communique plus son chiffre d’affaires depuis 2021, elle indique avoir enregistré entre 2022 et 2023 une croissance de 42%. Un succès qui s’explique en partie par les vidéos TikTok prônant l’esthétique clean girl, dont la glass skin fait partie. Une tendance venue tout droit de Corée du sud qui consiste à avoir un teint de porcelaine et une “peau de verre” quasi translucide. Une routine beauté, en apparence saine, mais qui pourtant cache elle aussi bien des vices.

Chemin de croix

Double nettoyage, exfoliation chimique, base face, sérum hydratant, contour des yeux, SPF…Cette recette miracle afin de rendre sa peau plus lumineuse n’a rien de low cost et ne s’adresse pas à toutes les bourses, puisqu’il faut compter environ 150 euros afin de s’équiper correctement si l’on veut faire partie des actuels canons de beauté. Pour preuve, la vidéo postée par Bella Hadid en mars dernier dans laquelle la clean girl en chef vient nous narguer de sa morning routine aussi longue et incompréhensible qu’un film de Christopher Nolan. Sérums buvables, 13 gélules des compléments alimentaires, gel de mousse de mer et tout un tas d’autres liquides WTF composent cette odyssée du wellness au budget XXL, perpétuant ainsi un certain mépris de classe laissant penser que seuls.es les fortunés.es peuvent s’offrir une hygiène de vie respectable.

@babybella777 mornings with me before we start making things for you cc @Orebella ☁️🤍🫶🏼🪩 #orebella ♬ ♡ ᶫᵒᵛᵉᵧₒᵤ ♡ - SoBerBoi

En plein essor, le marché des skin boosters voit apparaître de nouveaux protocoles chaque saison, à l’image de Skinvive, un tout nouveau traitement de médecine esthétique apparu il y a moins d’un an aux USA et dont les propriétés hydrophiles de l’acide hyaluronique réhydratent la peau en profondeur, moyennant 500€ pour un résultat s’estompant entre 8 et 24 mois. Un “agent de comblement” dont raffole la nouvelle génération, mais qui prouve aussi une certaine schizophrénie du marché de la médecine esthétique, dans un pays où les professionnels du secteur affirment désormais qu’elles·eux programment autant d’opérations pour injecter des fillers à base d’acide hyaluronique que d’opérations pour les enlever afin de paraître plus naturel. En France aussi, les codes de beauté ont tendance à changer, comme nous l’apprend le docteur Laurent Bataille, médecin esthétique exerçant dans le deuxième arrondissement de Paris : “Contrairement aux USA, les doses injectées en France ont toujours été raisonnables, surtout pour la patientèle parisienne qui prône une beauté plus naturelle. On assiste aujourd’hui à une demande de plus en plus forte, celle de la non injection. Les patients se tournent plus volontiers vers des soins afin de retirer ce qu’ils considèrent comme des défauts, comme des rides, et le marché se développe en ce sens en proposant de nouvelles alternatives à l’injection, tel que les lasers, de plus en plus performants, ainsi que le peeling.”

Une course au naturel que l’on upgrade par un petit passage dans son cabinet : “La nouvelle tendance est de faire appel au naturel sous toutes ses formes, on peut stimuler le collagène naturellement, en réveillant les cellules. Ce processus plait beaucoup plus que de combler par un artifice injecté, il révèle une fraîcheur et une beauté qui ne sont pas artificielles.”
Une fraîcheur made in clean girl qui, bien que prônant une beauté naturelle, a aussi des détracteur·ices, à l’instar de la journaliste beauté américaine Chelsea Candelario. La jeune femme explique, sur le site Purewow, sa colère face à cette tenfdance qu’elle estime problématique : “L’expression “clean girl” implicite le fait qu’il existerait une “dirty girl”. C’est comme si la trend actuelle décidait de vous rendre moins désirable si vous décidez de vous maquiller tout le visage ou si votre teint est unifié. On peut se demander si avoir de l’acné, des cheveux non coiffés ou des poils vous rangent aussi dans la catégorie “dirty” ? Cette esthétique punit ceux et celles qui ne se plient pas à cette signification du “clean”.”
Racisée, la journaliste y voit aussi clairement une double discrimination : celle du genre, ainsi que celle envers toutes les peaux qui ne sont pas blanches : “L’esthétique clean girl place principalement les femmes blanches au premier plan en tant que figure aspirationnelle sur Tiktok. Cette tendance invisibilise les femmes BIPOC (Black, Indigenous and People of Color ndlr), les grosses, les handicapées, les femmes plus âgées…De plus, l’ajout de “girl” empêche les personnes non binaires de se sentir inclus·es et nous diminue en tant que femmes en préférant utiliser le terme de “fille”. Cela ne fait que perpétuer notre peur de vieillir.” Ou quand la clean girl fait vraiment du sale.