Mush’ love
Des pionniers dont les travaux intéressent Marion Neumann, pour qui “il est nécessaire de recontextualiser et réévaluer dans le débat public, les psychédéliques non pas comme des drogues, mais comme des outils qui, s’ils sont utilisés de manière responsable, peuvent aider à favoriser la guérison”. Même son de cloche du côté de Jennifer Tessler, surnommée Lodé, cofondatrice en 2016 à Londres de l’organisation Alalaho qui coordonne des retraites “psilocybine-assistées”, cette substance qui est au champignon ce que le THC est au cannabis. Rien d’illégal dans tout ça, puisque lesdites retraites ont lieu aux Pays-Bas et ont fait l’objet de recherches menées par l’Institut de Maastricht : “Nos journées sont rythmées par des cercles de parole, des balades, de la méditation et des séances de yoga, puis vient la cérémonie psychédélique où les participant.e.s ingèrent les truffes sous forme d’infusion. Le ‘trip’ dure cinq heures avant une redescente graduelle durant lesquelles nos ‘facilitators’ les accompagnent”. Preuve qu’on n’est pas là pour déconner, chacun.e remplit en amont un questionnaire et passe des tests pour évaluer sa santé physique et mentale auprès de psychothérapeutes : “Parmi nos participant.e.s, des banquier.ère.s, des vétérans de guerre, des retraité.e.s (notre doyenne a 78 ans), des adeptes de wellness, qui ont en commun le besoin d’évacuer leurs angoisses, dépression, burn-out”. Qui aurait cru que le “be aware” de Jean-Claude Van Damme pourrait nous aider à nous sentir mieux au xxie siècle ? ”La psilocybine permet d’améliorer l’humeur en cas de dépression car notre cerveau augmente son entropie : nos réseaux cérébraux perdent de leur spécificité et se mettent à communiquer entre eux de façon anarchique, ajoute Marion Neumann, qui ne souhaite ni banaliser les éventuelles conséquences négatives, ni glorifier l’usage incontrôlé de substances psychoactives. Ce chaos cognitif débloquerait nos schémas de pensée embourbés dans une rigidité pathologique. Ce qui provoquerait une révision radicale de nos priorités de vie et expliquerait notre plus grande flexibilité comportementale.” Selon le médecin Deepak Chopra interrogé dans Have A Good Trip, cet éveil des consciences sous psychotropes a même permis aux mouvements écologique, féministe ou encore antiraciste de naître dans les années 1960. Pour Lodé, il est évident que les substances psychédéliques nous poussent “à voir les choses sous un autre angle, sans être toujours au centre (du monde, ndlr) et à reconsidérer ‘l’autre’, même l’infiniment petit, sans vouloir le dominer ni le contrôler”.
C’est la Champignons League
Ne pas tout contrôler, c’est effectivement ce que nous apprend le règne fongique, à l’heure où les États durcissent toujours plus leur politique de contrôle des individus et de leurs libertés individuelles (coucou, la loi Sécurité globale !). Les champignons échappent tellement à notre surveillance, que “l’on estime que, sur les 15 millions d’espèces vivantes, sur Terre, près de 6 millions seraient des champignons. Mais seul 1 % a actuellement été classifié. Peu d’entre eux ont été étudiés au-delà de leur forme basique et de leur fonction, et moins de 100 espèces ont été intégrées de manière signifiante au sein des activités humaines. Des chiffres qui en disent long sur notre compréhension limitée de leurs façons de vivre et de ce qu’ils ont à nous offrir”, souligne Marion Neumann qui, fin 2020, coorganisait avec l’artiste Frédérick Post le festival Mos_Espa à Genève dont la baseline était “le mycélium est le message !” C’est également ce qui ressort de l’ouvrage Le Champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, d’Anna Lowenhaupt Tsing, paru en 2017 en France. L’anthropologue américaine s’est intéressée au matsutake, premier organisme à resurgir des sols irradiés d’Hiroshima en 1945 et vivant dans l’anarchie la plus totale. Il est incultivable en laboratoire et échappe ainsi à toute logique productiviste et industrielle de l’humain.e, qui veut que les éléments naturels et le vivant soient obligatoirement standar-disés et brevetés. Un symbole de la désobéissance en opposition à cet “Âge de l’Homme, mieux nommé capitalocène”, comme le souligne la philosophe Isabelle Stengers dans la préface dudit bouquin. À la manière d’un Jon Snow, il faut se rendre à l’évidence que “we know nothing”. Mais on peut toujours compter sur le mycologue américain Paul Stamets, auteur de Mycelium Running: How Mushrooms Can Help Save the World, pour nous donner des leçons d’humilité et nous ouvrir les yeux sur ce monde qui nous échappe. C’est lui qu’on retrouve au cœur du documentaire Fantastic Fungi, réalisé par un autre passionné, Louie Schwartzberg, et raconté par Captain Marvel, alias l’actrice Brie Larson. Sorti en 2019, il explique, avec ses effets spéciaux à éclipser Avatar, comment le modèle fongique, qui vit en réseau interconnecté et en symbiose avec les autres espèces, devrait être appliqué à plus grande échelle, c’est-à-dire la nôtre. Coopération et mutualisation entre les “vivants” sont également les mots d’ordre de Marion Neumann, pour qui il serait temps de rétablir l’ordre naturel car “les êtres fongiques sont les plus anciens maîtres du monde et sont à l’origine de la vie sur Terre. Il y a environ deux milliards d’années, le corps mycélien a ouvert la voie aux plantes, aux animaux et à tout le processus de l’évolution. Ce n’est que récemment que l’on considère l’évolution comme étant en grande partie le résultat de la collaboration liée au monde fongique – et non pas seulement d’une ‘survie du plus fort’. Les champignons influencent toute la vie sur Terre. Les recycleurs jouent un rôle essentiel dans la redistribution des nutriments dans le monde. En tant que constructeurs des sols, ils conçoivent des écosystèmes entiers – et je ne parle même pas de tous les champignons dans notre corps ! Sans le savoir, ce sont nos compagnons permanents.” Un article paru dans le magazine américain spécialisé Fungi en 2008 et intitulé “Fungi & Sustainability”, en concluait ainsi : “Si le pire devait arriver, nous pouvons être sûrs que les champignons sauveront à nouveau notre planète”. Et dire qu’on a longtemps cru que ce serait les chats…