Do it yourself
Certain·e·s seront surpris·e·s de l’apprendre, mais “Do It Yourself!” (DIY) est l’autre slogan qui colle à la peau du punk. “Jusqu’à présent, aucune autre scène musicale ne s’est faite aussi directement incitative. Aucune autre scène musicale ne semble avoir valorisé la liberté de faire avec autant de ferveur”, souligne Fabien Hein dans Do It Yourself ! ‘Autodétermination et culture punk’ (éd. Le passager clandestin, 2012). Comprenez : on n’a pas de pétrole, mais qu’est-ce qu’on a comme idées ! Ce mouvement a déployé une créativité monstre, et c’est bien celle-ci que PIND (punk is not dead), composé d’une trentaine de chercheur·se·s et artistes biberonné·e·s au punk, archive méthodiquement : “On fait de la science participative, annoncent Solveig Serre et Luc Robène, à l’initiative de ce projet lancé en 2013 sur le territoire français. C’est un mouvement qui a eu un impact extrêmement large et foisonnant. La musique, la mode, mais aussi les radios libres et les fanzines, tout ça est entré en résonance avec le punk.” Affiches de concerts, flyers de l’ancien squat La Miroiterie à Ménilmontant, enregistrements numérisés… Cette constitution d’archives œuvre à une “patrimonialisation du punk”, selon l’expression employée par leur collègue Pierre Raboud, docteur ès sciences politiques. Cette année, le groupe emblématique français Bérurier Noir a fait don à la BNF de ses manuscrits musicaux, carnets de notes et enregistrements sonores. Des expositions sont même consacrées à la production punk : Europunk à la Philharmonie de Paris en 2014 ou encore Mauvaise impression : héritage et continuité du punk qui s’est tenue entre avril et juin cette année à Rennes. Tout ça participe à la valorisation de l’héritage de ce mouvement. Et permet de se rendre compte que, parallèlement à la musique, le punk s’est énormément illustré par l’écrit, le dessin, les arts : toute cette production était fabriquée à la main, à base de collages et à l’encre parfois illisible, distribuée en indé, dans les squats ou les disquaires, gratuitement ou à un prix dérisoire. Une démarche sincère nullement motivée par l’appât du gain, qui a précédé ce que l’on appelle aujourd’hui l’“économie de la création et de la passion” répandue via les réseaux sociaux et autres plateformes de partage et de productions de contenus personnels rémunérés.
The Future is female and queer
Loin de n’être qu’un boy’s club tra-shouille, l’histoire du punk a constitué dès les années 1970 une scène ouverte à l’inclusivité. Avec sa logique du “tout le monde peut tenter sa chance”, qui ne requiert pas de compétences spécifiques, hormis la volonté de hurler dans un micro sa colère et ses revendications, le punk est devenu un champ d’expression non négligeable pour les femmes et la communauté LGBTQIA+. Inspirés par des groupes comme The Electric Chairs, mené par la lead singer transgenre Jayne County, le queerpunk (aussi appelé queercore) et le mouvement féministe riot grrrl ont chanté l’identité de genre, l’homophobie, les violences sexuelles et tout ce qui est fucked up dans le système patriarcal. “Lorsque le groupe Bikini Kill mené par Kathleen Hanna s’est formé en 1990, les filles dans les concerts punk se faisaient souvent agresser et molester : dans les pogos et mosh pits, il n’était pas rare qu’elles subissent des attouchements sexuels, note la journaliste Mathilde Carton, autrice de Riot Grrrl: Revolution Girl Style Now (éd. Le mot et le reste, 2021). Leurs concerts sont devenus des safe spaces : la séquence filmée d’un de leur live où Kathleen crie à la foule : ‘Girls to the front!’ (les filles devant) est mythique.” Pour faire davantage entendre leurs voix, les punks ont recours massivement à la production de fanzines. Fin 1980-début 90, Kathleen Hannah et la batteuse Tobi Vail ont ainsi lancé les punkzines Bikini Kill, Riot Grrrl et Jigsaw, tandis que le cinéaste Bruce LaBruce a cocréé celui intitulé J.D.s consacré à la “queer punk culture”. Les premières ont pavé la voie à la tendance “grrrl zine” qui fait encore des émules aujourd’hui : par exemple, il existe un Grrrl Zine Fair anglais qui défriche les nouvelles productions papier féministes inclusives et on en décèle également l’influence auprès de jeunes publications indépendantes pilotées par des femmes et personnes non-binaires comme les revues Censored, La Déferlante ou Gaze Magazine.
Cet esprit punk, on le ressent dans l’écriture des autrices Virginie Despentes (Vernon Subutex) et Sabrina Calvo (Melmoth furieux, l’histoire d’une marginale qui, avec sa horde d’enfants vivant dans des squats de Belleville, veut foutre le feu à Disneyland Paris). Sans oublier, côté BD, Ulli Lust, qui narre ses errances de jeunesse punk dans Trop n’est pas assez, et Julie Doucet, dont les planches tirées de son fanzine punk Dirty Plotte (“chatte sale” en québécois) ont été regroupées dans l’ouvrage Maxiplotte édité par l’Association, auquel le Festival d’Angoulême a décerné le Grand Prix cette année. Malheureuse concordance des temps : avec la guerre en Ukraine et la révocation du droit à l’avortement au niveau fédéral aux USA, les Pussy Riot et les Bikini Kill reviennent sur le devant de la scène, et des jeunes pousses comme les Linda Lindas leur emboîtent le pas avec leur punk rock engagé (cf. leur titre “Racist, Sexist Boy”). Le punk, ça conscientise : “Les jeunes d’aujourd’hui s’inscrivent dans des réflexions sociales et engagements politiques et militants radicaux, souligne Solveig du PIND. Iels sont plus “straight edge” (ni alcool, ni drogues) anticapitalistes, végan.es, antispécistes et écolos (cf. le livre Le grand traité du jardin punk d’Éric Lenoir, ndlr). En cela, iels se rapprochent des principes anarchopunks.” Et de décliner leur propre constellation de nouvelles subcultures punk engagées, comme l’afropunk (cf. le documentaire éponyme de James Spooner) pour une meilleure visibilité des personnes racisées, le solarpunk pour s’offrir un rayon d’espoir anti-apocalyptique (cf. les romans SF d’Alain Damasio) ou encore le cripple punk pour une meilleure représentation des personnes handicapées. Y a pas à dire, c’est dans les vieux pots punks qu’on fait les meilleures valeurs actuelles.
Cet article est extrait de notre numéro Mixte : Empowerment, fall-winter 2022/23, paru en septembre 2022.