À seulement 19 ans, Crystal Murray a acquis à toute allure une maturité qui lui a déjà permis de se transformer plusieurs fois. En 2021, la jeune chanteuse vient nous conquérir avec sa fibre néo soul et son énergie impétueuse.

Issue d’une famille de musiciens, Crystal Murray semble avoir déjà vécu mille vies, à en croire ses nombreuses expériences et son étonnante sagesse. Très tôt, cette Parisienne a fait des salles de concert du monde entier son kindergarten, dans le sillage des tournées de son père, le saxophoniste de free jazz américain David Murray, et de sa mère, la productrice de concerts de musiques du monde Valérie Malot. Jeune femme de son temps, elle revendique son année de naissance, 2001, non comme une odyssée de l’espace mais comme un diplôme de maîtrise pragmatique ès “sociétés connectées”. Influenceuse, avant même que le terme n’existe, au sein du collectif Gucci Gang qu’elle a spontanément créé avec trois copines de collège – notamment Thaïs Klapisch, dont le père Cédric a réalisé son clip August Knows –, elle a ensuite fondé la plateforme Safe Place, qui donne la parole à la jeunesse et l’aide à lutter contre le harcèlement et les agressions. Crystal se consacre désormais totalement à sa musique et a sorti en 2020 son premier EP, I Was Wrong. Ses sonorités néo soul séduisent par l’assurance de sa voix à la raucité lascive et dansante, qui ravive les glorieuses aînées du genre, d’Erykah Badu à Macy Gray. Toujours bien entourée, Crystal vient de créer son label Spin Desire, pour révéler l’effervescence de talents dont elle s’entoure et qu’elle anime, notamment au sein du projet Hotel Room Drama. La première à en profiter est Dian, artiste trans envoûtante qui drape de trap la soul de Crystal, dans leur première livraison “GGGB”, pour Good Girl Gone Bad. Un titre qui sonne comme la promesse d’une métamorphose pour la chanteuse qui explore, à la faveur de l’inactivité imposée par la pandémie, des pistes plus audacieuses. Sa jeunesse riche de mille influences lui confère aujourd’hui une culture suffisante pour en faire le creuset d’une créativité singulière, qu’on verrait bien la mener sur les traces d’une Solange afro-européenne. L’entretien révèle une jeune femme désireuse de faire bouger les lignes.

MIXTE. Tu as sorti début 2020 ton premier EP puis, en fin d’année, le single “GGGB”. Travailles-tu déjà sur la suite de tes compositions ?

CRYSTAL MURRAY. Je suis en train de finir mon second projet. J’ai un peu profité de cette année bouleversée par la pandémie pour me poser sur ma musique. Là, on est plus sur nos sentiments intimes. Ça nous laisse un temps d’introversion avant, j’espère, de revenir de plus belle aux échanges humains, c’est peut-être le moment de se recentrer. J’ai appris à prendre davantage mon temps en studio, à réfléchir à toutes les composantes, de l’instrumental jusqu’aux lyrics. Avec le producteur Sacha Rudy, avec qui j’ai réalisé mon premier EP, on a trouvé un son qui nous correspond à tous les deux. I Was Wrong était une expérience, j’étais assez jeune, dans la découverte. Le second sera un peu plus assumé. Il y a un featuring avec le rappeur Le Diouk qui doit arriver. On va commencer à en parler vers mars avril.

M. Comment décrirais-tu la nouvelle direction que tu prends ?

C. M. Je dirais qu’elle est sèche et énergique. Les batteries sont plus resserrées, les synthés moins aériens, c’est ce qui donne un son assez sec. La voix aussi est plus sèche qu’avant, avec moins de réverbération. C’est assez différent du premier EP, car même s’il y a quand même quelques similarités, je me permets trois ou quatre sons assez osés. Je vais un peu dans tous les sens parce que maintenant, je sais où je peux aller niveau voix. Je me suis amusée à l’utiliser sur toute une palette de couleurs, pas seulement la jolie voix soul. Mais il me reste encore plein d’autres voies à explorer, plus je m’aventure dans des mélodies et plus j’en découvre, je n’en suis vraiment qu’au début.

M. Quels sont ces sons osés dont tu parles ?

C. M. Du rock ! Je me suis un peu inspirée de Betty Davis (chanteuse et mannequin soul-funk américaine à la forte personnalité, mariée un an à Miles Davis qu’elle influencera grandement, lui faisant découvrir le panache psyché du rock de Jimi Hendrix ou de la funk de Sly Stone, ndlr), au niveau de sa capacité à imprimer ses émotions sur sa voix. Ce sont mes chansons thérapies, pour évacuer. Quand je les écoute, je suis moins énervée. Betty Davis est cataloguée blues, mais en fait elle est rock. C’est l’énergie que j’ai en ce moment. Côté voix, tout le monde s’essaie à un truc assez souple, moi je fais des sons grave énervés !

M. Tu fais partie de la Gen Z (la génération née entre 1997 et 2010), pourquoi revendiques-tu ton année de naissance, 2001 ?

C. M. C’est une génération assez forte, assez belle. Les 2001 n’ont pas grandi “dans” les réseaux sociaux, mais pendant leur apparition. Il y a une différence entre les 2001 et les 2004, qui, eux.elles, sont né.e.s “dedans”.

Nous, on a une sorte de limite, on se situe à la frontière de la génération surconnectée et de celle qui ne l’était pas encore. Il y a un truc de maturité. Chacun.e des 2001 que je rencontre mène des projets créatifs, que ce soit en écoles d’art, en faisant des vêtements, des bijoux… Les 2001, on les voit, il.elle.s sont assez présent.e.s, au courant des tendances, c’est le bon côté des réseaux sociaux. On est engagé.e.s et on pense grave à nos enfants, à un futur sans limites d’ethnie, de genre, sans cases, sans label. Finalement, dans tout ce marasme des réseaux sociaux, il y a quand même une génération basée sur l’humain. On est tou.te.s des anarchistes. J’adore être une 2001 !

M. Les réseaux sociaux ont tenu une place importante dans ton adolescence, notamment avec ton groupe Gucci Gang…

C. M. Gucci Gang, c’était assez naturel. On avait 14 ans, on venait d’avoir des téléphones portables, Instagram commençait et on a mis les mains dans les réseaux sociaux comme ça. Aux États-Unis, ça existait déjà, mais en France on ne connaissait pas encore. Pendant deux ans, on ne savait même pas comment se définir. Et puis, finalement, on nous a désignées comme influenceuses. On faisait des photos sur Instagram avec les fringues de nos frères. Avec les réseaux, c’est devenu quelque chose de big, un vrai phénomène, alors qu’on était juste quatre collégiennes avec une sensibilité artistique. À 14, 15, 16 ans, c’est cool, on t’invite, tu mixes, c’est un peu la vie de rêve. Mais je voulais quelque chose de plus réel. J’ai l’impression que je suis une adulte depuis mes 16 ans, parce que j’ai vu les arrière-cours, les gens, la mode. Mais je n’étais pas mannequin, plutôt ce qu’on appelle un talent, et je ne comprenais pas trop l’excitation qu’il y avait autour de tout ça. J’ai préféré me concentrer sur ma musique et toucher le monde par mon travail et pas seulement en étant une fille “cool”.

M. Et la Mode, qu’en retiens-tu ?

C. M. J’adore les habits. J’allais à l’école à côté de l’Hôtel de Ville, où il y a plein de friperies et j’adore digguer du vintage. J’ai une armoire énorme remplie de belles pièces que j’ai eues pour pas grand-chose. Je ne suis pas dans les habits chers, il y en a déjà beaucoup trop sur Terre ! J’aime superposer, le layering. En ce moment, je fais des collaborations avec des marques d’upcycling sur Instagram. Je leur envoie des robes et elles m’en font des bêtes de sapes ! Par exemple, Olivia Ballard à Berlin, ou Kerne.Milk à Copenhague. J’adore les pièces un peu rares.

M. Après Gucci Gang, tu lances les sessions Hotel Room Drama. C’est important le collectif pour toi ?

C. M. Hotel Room Drama, c’est une série de vidéoclips et de sons où j’invite des artistes avec qui j’ai envie de collaborer. C’est un peu comme un album que je ferais en live, une sorte de carte blanche. Le dernier en date est un featuring avec l’artiste londonienne Elheist sorti le 24 février. J’ai envie de constituer une armée, de créer un univers artistique fort. C’est notamment ce que je fais avec mon label Spin Desire, que je viens de créer et sur lequel j’ai signé les artistes Dian et Niariu. Aujourd’hui, je suis en mode création, je veux de l’artistique, de la musique, des clips, là où le Gucci Gang c’était juste du “cool”.

M. Tu as déjà beaucoup de clips à ton actif. C’est important l’image, pour toi ?

C. M. C’est intéressant que tu m’en parles. Justement, je me recentre làdessus en ce moment, parce que ça part un peu dans tous les sens. Je suis contente que l’EP I Was Wrong soit sorti et que les gens puissent voir l’évolution, notamment via les clips. Mais entre le morceau “Princess” et maintenant, j’ai l’impression d’avoir vécu quarante mille vies : Gucci Gang, puis l’école, faire la DJ… je suis déjà fatiguée ! Cette année, pour le prochain EP, je suis en train de travailler sur un visuel assez personnel, qui fait vraiment sens pour moi. Il y a eu “Princess”, des images un peu fortes comme sur “August knows”, “GGGB” qui était mon idée, des trucs avec des réalisateurs qui sont mes potes, mais je veux creuser ma propre direction.

M. Si tu devais citer tes influences musicales, qui nommerais-tu ?

C. M. J’ai grandi dans une famille de musicien.ne.s et mon père est un saxophoniste afro-américain, pour qui le gospel est très important. C’est une musique mystique, chantée dans des églises. Mon père joue du free jazz, ça donne une idée de cette vibe-là. Même si je ne me suis jamais dit que la musique était quelque chose que j’allais faire, je savais que ça me suivrait toute ma vie. Donc je peux citer Marvin Gaye, John Coltrane, du jazz et de la soul, des styles très afro-américains. Et aussi Kelis et Macy Gray. J’aime trop les divas qui créent leurs propres émotions. Pour les artistes d’aujourd’hui, Dian, Serpentwithfeet qui fait du nouveau gospel, Amaarae, Santigold bien sûr, Kid Cudi, Shygirl, Nathy Peluso, Arca, Laylow, et aussi de la techno…

Coiffure : Anne Sophie Begtrup @Wise&Talented, Maquillage : Maria Olsson @Wise&Talented, Manucure : Anais Cordevant @Wise&Talented. Set design : Léo Lacape et Guillaume. Assistant styliste : Léo Rouault. Assistant photographe : Florent Vindimian