Afin de mettre en lumière la réalité de notre relation déformée aux matériaux et le rythme effréné de la création, la ERE Foundation et Farago Projects ont imaginé “Future Shock”, une exposition mettant en scène différents médiums (stylisme, sculpture, vidéo, photo) pensée pour sensibiliser à la surproduction frénétique de vêtements. 

“Trop de vêtements tue le vêtement” avait déclaré Jean Paul Gaultier en 2014 au Business of Fashion alors qu’il venait d’annoncer son choix de mettre fin à ses lignes de prêt-à-porter homme et femme pour ne garder que la couture. Big up éternel à l’enfant terrible de la mode pour avoir une fois de plus montré l’exemple et pour avoir fait de ce statement audacieux une devise pour tous les défenseurs d’une mode plus éthique et responsable. Malheureusement sept ans plus tard, l’industrie du textile semble encore avoir du mal à réduire sa garde-robe et à changer son fonctionnement économique et social.

C’est donc dans ce contexte anxiogène et incertain que la ERE Foundation (organisation philanthropique ayant pour mission de réunir les créatifs et les ONG autour de projets artistiques), et Farago Projects (société de production créative dans les secteurs de la mode, de la beauté et du luxe) ont voulu, avec l’exposition “Future Shock”, nous faire une piqûre de rappel et pourquoi pas en même temps tirer la sonnette d’alarme sur l’état de l’industrie de la mode qui produit toujours plus au point d’être devenue la deuxième industrie la plus polluante au monde juste derrière celle du pétrole.

D’abord présenté en avant première aux professionnels de l’industrie de la mode à la fondation Fiminco les 24 et 25 mars dernier à Romainville, le projet/exposition “Future Shock” – désormais en display à la galerie Cité dans le 9e à Paris jusqu’au 19 mai et visitable uniquement sur RDV et inscription – est une installation artistique réunissant les oeuvres de plusieurs créatifs entièrement bénévoles à qui la fondation a demandé de travailler autour du concept de surproduction vestimentaire.

Résultat, le jeune et ultra-talentueux styliste Imruh Asha (tout juste nommé Fashion Editor au magazine Dazed, big up !) a réalisé neuf sculptures faites de textiles communément considérés comme des déchets et récupérés dans les stocks dégueulant monstrueusement de fringues de l’ONG Le Relais, ce réseau de coopératives membre du mouvement Emmaüs qui en 2018, a collecté à lui seul, 150 000 tonnes de déchets textiles, soit l’équivalent du poids de 15 Tour Eiffel… Mais ce n’est rien quand on sait que 80% des textiles jetés dans le monde finissent directement à la décharge ou à l’incinération.

Après deux jours de fouille et de tri pour trouver les textiles nécessaires à la réalisation des sculptures, le résultat final a été immortalisé par le photographe Thibaut Grevet au travers d’une série de clichés dans laquelle Nella Ngingo, mannequin et activiste, alors coiffée des créations recyclées de Yann Turchi et maquillée par Marie Duhart, portait les oeuvres fascinantes d’Imruh. Une façon de donner une nouvelle forme de vie à ces bouts de tissus mais aussi d’incarner une manifestation surréaliste du monde de la mode; un monde où malheureusement aujourd’hui le textile n’est plus que le véhicule du profit, détaché de la créativité ou de la nécessité.

Histoire d’amplifier le propos tout en rappeler la gravité et le sérieux du problème (on va arrêter de se voiler la face, on va clairement droit dans le mur), le scénographe Julien Cavallina a pour l’occasion créé un décor fascinant en utilisant des matériaux trouvés sur place, construisant une fine couche entre la création des stylistes et la dure réalité des masses de vêtements qui entouraient l’équipe créative lors du shooting au sein des allées du stock du Relais.

Cerise sur le manteau, un film écrit par ERE Foundation, filmé par Maximilian Pittner et réalisé par Thibaut Grevet a été produit pour l’occasion afin de prôner la nécessité de passer d’une industrie linéaire destructrice à un système circulaire régénérateur. Découpé en 6 capsules vidéos, le film met en scène cinq danseurs professionnels qui guident le spectateur à travers la toile de fond de l’industrie : la visualisation de notre relation pervertie avec les vêtements, l’exploitation des ressources, le rythme frénétique demandé à la création et la concurrence axée sur le profit. Le tout exacerbé par la musique d’Oliver Burslem créée à partir de sons enregistrés dans un des centres de tri de Le Relais. La particularité du projet “Future Shock”, c’est qu’il a vocation, plutôt que de s’adresser aux consommateurs qu’on culpabilise trop souvent, de vouloir parler directement aux créatifs et professionnels de la mode en cherchant à provoquer une conversation entre les gens de l’industrie.

“À travers cette déclaration artistique, nous voulons exprimer la nécessité d’un changement profond et radical. Nous faisons tous partie d’un système économique linéaire qui doit être transformé en un système circulaire, valorisant les matériaux existants et ralentissant le rythme de la production. Le rythme actuel de production est synonyme de détresse non seulement pour l’environnement, mais aussi pour l’esprit créatif”, a expliqué Sophie Strobele, Co-fondatrice and Présidente de ERE Foundation, avant d’ajouter : “Nous avons perdu le contact avec l’essentiel et notre environnement naturel. Les deux peuvent être réunis, mais nous devons nous adapter et incarner le changement. En tant que créatifs impliqués dans ce comportement, nous reconnaissons notre responsabilité envers l’environnement et cherchons à imaginer un avenir dont nous pouvons être fiers.”. Ce qui est certain, c’est que cette bande de créatifs-là, elle peut déjà être fière de l’avenir artistique qu’elle construit devant nos yeux.

En raison des mesures sanitaires toujours en vigueur, il est obligatoire de s’inscrire et de prendre rendez-vous sur le site de la ERE Foundation pour toute visite de l’exposition “Future Shock”. C’est par ici que ça se passe : ere.earth/futureshock