La scène Ballroom est devenue un lieu d’empowerment incontestable pour la communauté queer à travers le monde. Le point sur ce mouvement unique (“Uniiique !”) en son genre, avec certain·e·s des membres les plus emblématiques et les plus en vue de la scène française actuelle tel·le·s que Nikki Gorgeous Gucci, Mary-Jo Ladurée, Paulah Gorgeous Gucci, Eryss Comme des Garçons, Lyhnasty Ninja et Ariana Gorgeous Gucci.

Pour nombre de personnes queers (racisées, en particulier) à travers le monde, la ballroom – safe space créé à New York par et pour les femmes trans et drag-queens noires et latinx dans les années 1970 –, s’est révélée être, au fur et à mesure de son histoire et de son évolution, une plateforme d’expression artistique et de soi comme nulle autre. Le mouvement a été projeté dans la culture mainstream ces dernières années auprès du grand public grâce à Pose, la superbe série fiction diffusée sur la chaîne américaine FX qui retrace l’histoire et l’univers de la scène ballroom new-yorkaise dans les années 1980 (avec Billy Porter, Dominique Jackson, Indya Moore, rien que ça), ou encore grâce à la géniale émission de téléréalité Legendary diffusée sur HBO Max, un concours organisé sous forme de télécrochet mettant en compétition différentes “Houses” de la scène ballroom internationale. Une résonance mondiale qui s’accompagne également de l’engouement de plusieurs marques de luxe, telles que Gucci, Comme des Garçons ou Lanvin, qui n’hésitent désormais plus à collaborer avec les Houses qui portent leur nom. Une hyper popularité qui, sous le glamour et les paillettes, ne devrait pas camoufler la véritable portée politique de ce mouvement.

Nikki Gorgeous Gucci (pionnière de la ballroom française et référence du Old Way, la forme originelle de la danse Vogue) porte des chemises et un jean en coton recyclés, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Chemises et jean en coton recyclés, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Scène cultissime et fondatrice

 

Quelques minutes après l’annonce des résultats de Miss All-America Camp Beauty 1967 à New York, une jeune femme se lance dans une tirade sanglante, critiquant le racisme des juré.e.s, pointant du doigt les privilèges des candidates blanches et les combines qui en découlent. Elle, c’est Crystal LaBeija, inoubliable dans les derniers instants du documentaire The Queen, sorti en 1968, qui narre l’expérience des participantes de ce concours de beauté réservé aux drag-queens et femmes transgenres. Les cheveux coiffés en un glamour et imposant chignon, Crystal LaBeija ne peut alors s’empêcher de crier sa colère. “Je ne dis pas qu’elle n’est pas belle, mais elle ne l’était pas ce soir ! Elle n’a rien à voir avec moi : regardez son maquillage, c’est horrible !” lance-t-elle alors au sujet de la gagnante blanche, Flawless Sabrina. Des mots souvent qualifiés de “légendaires”, dans la culture orale queer. L’événement est surtout fondateur. Épuisées et excédées par la discrimination et les injustices auxquelles elles font face dans les concours de beauté – appelés “balls” et dont l’origine remonte au Harlem des années 1920 –, Crystal LaBeija et Lottie LaBeija décident de prendre une autre route. De se célébrer, elles et celles qui leur ressemblent. En 1972, toujours à Harlem, elles organisent le premier House of LaBeija Ball, destiné à mettre en avant les femmes trans et les drag-queens noires et latinx. C’est la genèse de la culture ballroom telle qu’on la connaît aujourd’hui et qui doit son nom aux salles de bal où se tenaient les événements. Rapidement, les LaBeija inspirent. Des Houses vont ainsi voir le jour, comme House of Xtravaganza, House of Dupree ou encore House of Ninja. Suivies par d’autres, qui reprennent le nom de maisons de couture européennes : House of Miyake-Mugler, House of Chanel, House of Balenciaga, House of Escada… Aux Balls, les différents membres de ses Houses s’affrontent alors dans ce qu’on appelle des “catégories”, compétitions de mode, de beauté ou encore de danse – dont le fameux Voguing, devenu au fil des années de plus en plus populaire et présent dans les médias. Sa naissance est attribuée à Paris Dupree. Elle aurait alors commencé en boîte de nuit, en s’inspirant des poses des top models dans le magazine Vogue, jouant avec le rythme et les beats sur de la musique house. Si le style a été popularisé dans les années 1990 grâce au clip de Madonna, Vogue, c’est le documentaire Paris Is Burning de Jennie Livingston, sorti en 1990, qui dévoile réellement au grand public les contours et les dynamiques de cette sous-culture.

Mary-Jo Ladurée (une des sensations parisiennes de la catégorie Runway) porte des chemises en coton recyclées et un pantalon en laine et polyamide recyclé, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Paulah Gorgeous Gucci (auteur de cet article et révélation de la catégorie European Runway) porte une veste et un jean en coton recyclés, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Figures romanesques et maternelles

 

Bien qu’aujourd’hui controversé, compte tenu des accusations d’exploitation financière des stars du film par la réalisatrice – blanche –, Paris Is Burning braque les projecteurs sur des personnages romanesques, leurs rêves et leurs luttes au quotidien. Des femmes trans, des jeunes hommes gays et de véritables figures maternelles, à l’instar de Dorian Corey et Pepper LaBeija. Bien plus que des équipes calibrées pour la compétition, les Houses sont surtout des refuges, de nouvelles familles pour les jeunes personnes queers, rejetées par leurs parents à cause de leur identité ou de leur orientation. Dans la culture ballroom, des mères et des pères de substitutions, des “Mothers” et des “Fathers”, vont alors s’assurer du bien-être et de l’épanouissement de leurs “kids”, construire des foyers à part entière. “La ballroom m’a permis de trouver une famille que je n’avais plus. Et, d’avoir le soutien indéniable pour m’élever, être moi-même”, me confie Nikki Gorgeous Gucci, Queen Mother de la House du même nom. Au début des années 2010, c’est elle et Lasseindra Ninja qui développent la culture ballroom en France. À différents moments, toutes les deux en ont fait l’expérience à New York. Pour Nikki, c’était il y a 25 ans. Elles transmettent alors le savoir, le fonctionnement, enseignent la danse et ses technicités, structurent la scène et organisent les premiers événements dans l’Hexagone. “Je savais que ce qu’on faisait était plus grand que nous, me glisse Nikki. Que ça allait prendre de l’ampleur et aider beaucoup de personnes à se trouver, à s’accepter et à prendre leur essor.” Aujourd’hui, après plus d’une décennie d’existence, la scène ballroom française avec des centaines de membres et des figures de proue telles que l’artiste, DJ et personnalité TV, Kiddy Smile, International Mother de la House of Gorgeous Gucci, n’a rien à envier à celle de New York. Les Balls et autres événements en lien avec la scène sont de vraies espaces d’expression, de libération et d’exploration de leur identité pour les personnes queer. Elles y trouvent aussi de nouvelles familles, des “support systems” dans des Houses, comme House of Revlon, House of Oricci ou encore House of Ladurée, la première d’origine française, fondée en 2013 par Mother Rheeda Ladurée.

Lyhnasty Ninja (star montante de l’European Runway) porte une veste et un pantalon en laine et polyester recyclée, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Eryss Comme des Garçons (référence de la catégorie Face) porte un bomber, une parka et une banane en polyamide recyclé, un pantalon en denim et des boots en cuir recyclé, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Safe space et exutoire

 

Mary-Jo Ladurée en est un.e des membres proéminent.e.s. “J’ai rejoint la ballroom en 2018, raconte l’amazone aux jambes interminables. J’étais à un stade de ma vie où j’avais besoin d’affirmation. J’avais fait mon coming out socialement auprès de tout le monde, mais à l’intérieur de moi, je savais qu’il manquait quelque chose. Un accomplissement dans mon émancipation. Je n’arrivais pas à savoir comment ouvrir cette porte de la liberté de mon corps et de mon esprit au global.” Pour Mary-Jo, star de la catégorie Runway – émulation de la démarche des mannequins sur les podiums de mode, en plus exacerbée et dynamique – la ballroom lui a permis de dépasser toutes les “limites de genre et de décence” que peut imposer la société. “C’est ce qui m’a sauvé de cette prison des normes cis hétérosexuelles dans lesquelles j’ai grandi, glisse Mary-Jo, qui n’hésite pas à naviguer et à jouer avec les expressions de genre. J’ai pu trouver la force d’être qui je suis réellement, sans m’excuser.” Pour moi, Mary-Jo a été un.e vrai.e mentor dans la catégorie qui est la nôtre depuis fin 2021. L’art du Runway, le floor, comme on appelle la scène où se déroulent les compétitions – et la ballroom en général –, sont des exutoires, des terrains d’expressions où l’on peut sublimer ce que la société voit comme des défauts, physiques ou autres. M’identifiant comme un homme gay, jamais je n’ai été aussi fier d’être qui je suis, fier d’assumer mes différentes expressions de genre, au point de ne plus avoir peur de revendiquer une certaine fluidité. Bien que la réflexion soit encore en chemin. Et c’est là que réside l’une des principales beautés de cette culture. Pour beaucoup, et en particulier pour les femmes trans – par et pour qui cet espace a été créé en premier lieu –, la ballroom est un catalyseur, comme nous l’a rappelé Mother Nikki Gorgeous Gucci lors d’une discussion le jour de la séance photo. Un instant, presque spirituel, d’échange entre une pionnière de la scène et différentes générations de kids. Et l’occasion pour elle de nous amener à voir la ballroom aussi comme un tremplin pour donner au monde la meilleure version de nous-même. Pas celle que l’on attend de nous, mais celle que l’on souhaite intimement être.

Ariana Gorgeous Gucci (phénomène dans les catégories danse et performance) porte un blazer en polyester recyclée, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Paulah Gorgeous Gucci porte une veste en coton recyclé, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.
Mary-Jo Ladurée porte une chemise en coton recyclée, un bomber en polyester recyclé, un pantalon en laine et polyamide recyclé, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.

Le groupe est habillé avec la collection “Cara Loves Karl” de Karl Lagerfeld.
Mary-Jo Ladurée porte une chemise en coton recyclée, un bomber en polyester recyclé, un pantalon en laine et polyamide recyclé, collection CARA LOVES KARL, KARL LAGERFELD.

PHOTOGRAPHE : Charlotte NAVIO @FMA Le Bureau / STYLISTE : Céline LAVIOLETTE / ASSISTANT PHOTO : Quentin COLLAS / OPÉRATEUR DIGITAL : Mahe ELIPE @ Sheriff Projects / DOP VIDEO : Bastien INTERNICOLA

TALENTS : Paulah Gorgeous Gucci, Ariana Gorgeous Gucci, Mary-Jo Ladurée, Lyhnasty Ninja, Nikki Gorgeous Gucci / Eryss Comme des Garçons

COIFFURE : Antoine ALAN / MAQUILLAGE : Maud EIGENHEER @Wise&Talented / ASSISTANTE MAQUILLAGE : Larisse KOUAMEN / ASSISTANTE STYLISTE : Victoria Elleouet

La scène Ballroom est devenue un lieu d’empowerment incontestable pour la communauté queer à travers le monde. Le point sur ce mouvement unique (“Uniiique !”) en son genre, avec certain·e·s des membres les plus emblématiques et les plus en vue de la scène française actuelle tel·le·s que Nikki Gorgeous Gucci, Mary-Jo Ladurée, Paulah Gorgeous Gucci, Eryss Comme des Garçons, Lyhnasty Ninja et Ariana Gorgeous Gucci.