Si vous avez brunché dans des chaises couleur bleu électrique ce mois-ci au Crosby Café, nouveau lieu éphémère situé rue des Franc-Bourgeois à Paris, sachez que vous vous êtes assis sur une création de Harry Nuriev, le jeune designer russe surdoué que les milieux de la mode et du design s’arrachent en ce moment.

Fanas de design, son nom et son visage vous disent surement quelques chose. A 36 ans, ce designer russe touche à tout est un surdoué de la création et s’impose comme le chef de file d’une avant-garde de jeunes talents venus du froid bien décidés à devenir incontournables sur la scène internationale. A 36 ans, Harry s’est imposé en quelques années à peine comme LA référence d’un nouveau style : le “global minimalism”. Certains comparent son approche du minimalisme à celui du designer italien Ettore Sottsass – sans surprise son mentor officiel. Piochant à la fois dans l’école du Bauhaus, l’époque arts-déco des 80s et l’esprit fonctionnel et épuré Scandinave, Harry Nuriev a créé un style qui lui est propre, reconnaissable par sa volonté de réunir de multiples influences venant à la fois de l’Ouest et de l’Est. Son approche low-profile du design l’a amené à créer des objets de décoration accessible, qu’il qualifie de “tiny architecture”.

On reconnaît assez facilement au premier coup d’œil les objets et intérieurs conçus par Harry par son utilisation des couleurs, ou plutôt d’une seule teinte, prédominante, qui fait office de fil rouge dans l’ensemble de son travail. Le designer russe se dit “monogamiste” de la couleur et a pour habitude de faire une fixette sur une nuance durant quelques mois. Du rose millénial, il est passé en 2017 à l’utilisation de cette fameuse teinte de bleu, entre le bleu de Picasso et celui d’Yves Klein. L’année suivante, c’est l’ultraviolet qu’il met à l’honneur lors de l’inauguration de la boutique Opening Ceremony à New York. En 2020, sûrement inspiré par le mood ambiant de fin du monde, Harry se prend de passion pour le gris. Pour le designer, la couleur prime même carrément sur la forme, que ce soit pour l’architecture, le design d’intérieur ou bien le design d’objets. “Une couleur peut changer toute la forme d’un objet. Vous pouvez avoir un même objet de deux couleurs différentes et l’un va être beau alors que l’autre va être laid. Je suis plus attentif aux couleurs qu’aux formes.”

Ce génie de la couleur a même carrément le don de deviner la teinte qui va dominer la mode et le design avant tout le monde. Vous pouvez parier gros que la couleur qu’il a pour obsession une année sera la couleur Pantone de l’année suivante. La preuve, il travaillait avec le gris en 2020 qui a été désigné par Pantone comme la teinte de 2021. “Quand il s’agit de prédire quelle couleur va devenir populaire, je suis tout simplement mon instinct. Il y a quelques temps, j’avais eu un crush sur le rose millénial. C’était assez controversé d’utiliser cette palette de rose car elle était surtout utilisée pour peindre les chambres des petites filles. Au final, j’ai suivi mon instinct en utilisant cette couleur dans mon travailt et c’était un vrai succès”.

Ce talent pour le choix des couleurs et ce goût esthétique si particulier, Harry le doit à son enfance dans les années 90 au moment de la chute du bloc soviétique où les influences internationales affluèrent en masse en Russie et donnèrent lieu à un bouillonnement créatif.

“J’ai eu la chance de grandir à ce moment de l’Histoire. C’est une immense source d’inspiration dans mon travail en terme de design, de couleurs mais aussi de mindset”. Né à Stavropol, une ville proche de la frontière entre la Russie et la Georgie d’une mère femme au foyer et d’un père handyman, le chemin était loin d’être tout traçé et easy pour Harry. La famille est nombreuse et vit dans un petit appartement. “Nous partagions la même pièce commune. Je n’avais pas de chambre où accrocher des posters aux murs”. Très jeune, Harry veut montrer qu’il n’est pas comme les autres et développe une pensée et un style anti-conformiste, propre à lui-même. “J’ai toujours essayé de développer un monde alternatif, qui serait davantage basé sur les ressentis, un monde plus honnête et moins dur. Les gens ont peur d’être différents car c’est ce qu’on nous apprend à l’école : nous devons nous fondre dans la masse.” Le futur designer s’inspire de son quotidien, du parc où il joue enfant et de sa mamie qu’il décrit comme sa première et, surement pour toujours, plus grande source d’inspiration : J’adorais tout chez elle, son style, son odeur, sa personnalité. » C’est d’ailleurs dans l’appartement de ses grands-parents qu’il commence à jouer les apprentis designers. A ans, il commence à réarranger leur intérieur en bougeant les meubles, en mettant le sofa au milieu du salon, etc.

Harry étudie six ans à Moscou, à l’Institut d’Architecture, avant d’y fonder son propre studio en 2014, Crosby Studios. Deux ans plus tard, en 2016, il expose sa première collection à la New York Design Week, c’est un vrai succès. Il décide de rester à New York et installe un deuxième bureau à Williamsburg. La conquête des States continue pour Harry Nuriev qui présente installation à Art Basel Miami intitulée “The Office” et réalisée en collaboration avec Balenciaga en 2018. Ce bureau-concept attire tous les regards et le propulse au rang de jeune espoir du design. Harry ré-interpréte le mobilier lambda d’un bureau type, en pimpant une chaise à roulettes classique avec de la dentelle blanche et le logo Balenciaga. C’est le sacre d’Harry. Il collabore avec l’architecte Rem Koolhaas, est représenté par la galerie Patrick Parrish à New York, expose au Design Festival de Londres et se fait brancher par des marques comme Nike, COS, Opening Ceremony… Il est également appelé à plusieurs reprises pour designer les intérieurs de restaurants dans son pays d’origine comme le Pink Mamma de Moscou qu’il a réalisé. Sa culture d’origine, Harry la revendique et l’invoque toujours comme source d’inspiration, même si selon lui il ne s’agit que de “souvenirs” mêlés à son imaginaire.

Slave et fière de l’être, visionnaire et talentueux, Harry Nuriev fait partie du gang de jeunes créatifs venus des pays de l’Est qui impacte la fashion/creative sphère depuis quelques années comme Demna Gvasalia (directeur artistique de Balenciaga et fondateur de Vetements), la styliste Lotta Volkova, le designer et le photographe Gosha Rubchinskiy ou encore Dima Komarov pour ne citer qu’eux. Les synergies entre ces surdoués de la création ont donné lieu à des collaborations remarquées. En Décembre 2019, Harry Nuriev est appelé par Demna Gvasalia pour collaborer à nouveau avec lui à l’occasion de Art Basel Miami. Cette fois-ci, Harry réalise un sofa au design impressionnant et éco-responsable. Conçu à l’image des sacs de rangement sous vide pour les vêtements que l’on ne porte plus et dont on ne sait pas quoi faire, Harry conçoit un canapé qui ne serait rempli ni par des plumes, ni par de la mousse, mais par des vêtements Balenciaga qui ne serviront plus. Une manière d’introduire une démarche sustainable dans son travail, un sujet que Harry a décidé de prendre à cœur et de ne pas laisser de côté dans son processus de création.