Model Lina Hoss by David Ferrua for Mixte magazine, styling Caroline Christiansson.

Aujourd’hui, le crâne rasé et stylisé féminin est la coupe de cheveux qui domine le hair game. Derrière cette tendance, se cache en vérité une volonté de monter au front pour aborder des questions liées à la libération des femmes, aux injonctions masculines et à la fluidité des genres.

Dyed buzzccut, bleached shaved head, neon shave, hair tattoo… Autant d’expressions pour définir la coupe de cheveux la plus wild du moment qu’il y a peu de chances que les salons Saint Algue valident, à savoir le crâne rasé coloré. A coup de sabot 3mm et de coloration que certain-es jugeraient « too much », le hair tattoo sur cheveux rasés relève de la prouesse artistique et technique. Les crânes arborent des tâches de pelage de léopard au salon Amour Cheveux Club, des cœurs chez Tao Of Hair, un chaton qui montre son petit trou du cul chez la hair artist berlinoise Janina Zais (@janinazais), des motifs tribaux façon tatouage de bras de Pamela Anderson chez les Italiennes d’Hairspression (@hair.spression), des formes géométriques et des fleurs ultra colorées pour un effet 3D chez l’Américaine Janine Ker ou encore des flammes effet tunning de bagnole chez sa consoeur Jacqueline Bieber (aucun lien de parenté avec Justin), coiffeuse attitrée de Dennis Rodman qui, en bon vieux punk des parquets cirés de la NBA, a inscrit dans le paysage médiatique cette tendance dès les années 90. La buzz cut teintée s’est aussi vue sur les têtes d’Evan Mock (version rose bubblegum), d’Iris Law (en blonde platine) et plus récemment de Slick Woods (en orange néon). Sans oublier le rappeur Kid Cudi qui, la campagne Levi’s pour les 150 ans du 501, affiche une « menicure » et une teinture rouge-verte à ras les cheveux et au motif indéfinissable. Comment expliquer cet enthousiasme soudain autour du hair tattoo sur buzzcut ? Est-ce dû aux beaux jours qui s’installent, comme le chantait déjà en 2013 Lorde dans Buzzcut Season ? Peut-être. Aux réminiscences 90’s et Y2K qui font se cogner nos affinités grunge et notre attirance pour les Smiley et autres dessins pop régressifs ? Sûrement. A l’envie de se pimper à l’extrême en ces temps moroses pour y insuffler un peu de joie de vivre ? Sans aucun doute. Si l’on devine les influences chopées du côté du « pattern & shaping » des barber shops afro-américains et du mouvement punk, styliser sa (quasi) boule à zéro c’est une façon d’affirmer et de libérer son identité en sortant du schéma binaire. Et comme nous l’affirme la hair stylist berlinoise Janina Zais, « arborer cette coupe, c’est un statement puissant en soi. » On passe cette tendance au peigne fin.

Camille, coach sportive, @cafeealacreme
Coup de boule à zéro

 

Qui « de la poule ou de l’oeuf » est arrivé en premier ? Dans notre cas, on est en mesure de répondre qu’au début de cette tendance très show off qui transforme nos crânes en véritables tableaux de maître, à la racine il y a le crâne rasé, la boule à Z, la buzz cut donc. Celle-là même qui revient épisodiquement à la mode et qui est ultra connotée dans l’imaginaire commun. Signe extérieur fort de ralliement à un groupe, à une communauté ou à un mouvement (on pense aux punks et aux skinheads), de dévotion (dans les rangs militaires), de croyance et de ferveur (religieuse, idéologique), mais aussi de soumission et d’humiliation (les femmes tondues à la sortie de la Seconde guerre mondiale), les multiples symboliques du crâne rasé sont forcément lourdes de sens. Pour Camille (@cafeealacreme), cette coiffure symbolise celui d’un passage à une vie meilleure après un passage à vide : « Je me suis rasé pour la première fois le crâne il y à 5 ans. A l’époque je détestais ma vie, nous raconte la jeune coach sportive de 33 ans. J’ai tout plaqué, mon job de vendeuse, mon mec, et j’ai sauté le pas. Mes cheveux étaient un fardeau, ils cristallisaient cette souffrance que je somatisais en moi. La nuit, je rêvais que je me les arrachais ! Alors je les ai rasés et j’ai mis en scène et immortalisé ce moment avec l’aide d’un photographe/vidéaste. Un vrai rite initiatique pour marquer mon changement radical de vie. » Double standard oblige, il y a encore 5 ans lorsque la buzz cut n’était pas autant répandue chez les femmes, Camille avait droit à son lot de remarques sexistes : « C’est arrivé souvent qu’on me demande mon orientation sexuelle. Un jour, un gars sur Tinder m’a balancé : « T’as les cheveux rasés t’es féministe et à tous les coups tu t’épiles pas… » Si le crâne rasé charrie son lot de préjugés et est vu d’un mauvais oeil, il est d’autant plus difficile d’effacer de notre inconscient collectif l’association faite avec la maladie, physique ou mentale. Pourquoi ? Parce qu’on l’a trop invisibilisé dans l’espace public, priant les femmes malades de se cacher sous des perruques et couvre-chefs. Rappelons que l’opinion publique n’avait pas tardé à taxer de « folle » Britney Spears après son passage tardif chez le coupe tif’ en 2007, ou encore d’ « hystérique » Rose McGowan alors en croisade contre Harvey Weinstein. Sans parler de la chanteuse Sinead O’Connor sur laquelle la foudre s’est abattue le jour où elle a déchiré une photo du Pape sur le plateau du Saturday Night Live en 1992 (pire que les 7 ans de malheur causés par un miroir brisé). Quant à la gifle donnée par Will Smith à Chris Rock lors de la dernière cérémonie des Oscars pour s’être moqué de son épouse Jada Pinkett-Smith souffrant d’alopécie, elle n’est qu’une preuve de plus de l’intolérance vis-à-vis des femmes « buzzcutées ».

@hair.spression
Besoin d’un peu d’hair

 

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir pléthore de références féminines badass dans les fictions, au ciné et dans les séries en particulier, qui pourraient populariser la buzzcut ou du moins annihiler le male gaze qui jauge constamment le haut des crânes féminins : Sigourney Weaver dans Alien, Demi Moore dans G.I. Jane (la référence de la blague douteuse de Chris Rock envers Jada), Robin Tunney dans Empire Records, Nathalie Portman dans V pour Vendetta, Charlize Theron dans Mad Max Fury Road, Billie Bobby Brown dans Stranger Things, Danai Gurira dans Black Panther sans oublier l’excellente Michaela Cole dans I May Destroy You, et d’autres exemples que l’on oublie sûrement… Camille concède que se raser le crâne a été une façon de « se libérer des injonctions de la société, mais aussi de gagner en puissance » : « Il faut un certain courage à se dévoiler comme on est aux autres et de s’assumer ainsi. Un jour, j’ai été abordée par une femme qui suivait un traitement de chimiothérapie. On a parlé de comment accessoiriser son crâne, se réapproprier son physique et définir de nouveaux paradigmes de la féminité. » Un pas de plus vers le self-love que soutiennent le mouvement anglais The Baldie Revolution ou encore le site français Têtue.net oeuvrant pour une meilleure visibilité et acceptation des femmes au crâne rasé, peu importe leurs motivation, condition et raison. Si la meilleure porte-parole de la buzz cut reste Grace Jones qui a affirmé qu’elle a connu son premier orgasme en se rasant le crâne (cf. l’épisode Crânes rasés, femmes puissantes de l’émission Gymnastique d’Arte), n’oublions pas que cette coupe de cheveux a aussi le mérite de bousculer les mentalités à forte dominance masculine et les standards de beauté genrés et racisés.

@janinazais
Sans prise de tête

 

L’année dernière en plein confinement, l’actrice Tiffany Haddish se rasait le crâne en direct sur Instagram et délivrait un message fort pour dénoncer la charge mentale que représentaient ses cheveux : « En tant que femme noire, vos cheveux prennent deux à trois heures de votre journée, c’est beaucoup de travail. Alors, je prends congé. Je vais utiliser cette même énergie que j’aurais mise dans mes cheveux mais cette fois-ci dans mon esprit. » De là à parler d’un geste d’autant plus libérateur pour les femmes racisées, il n’y a qu’un coup de ciseau. Et voilà un exemple criant de misogynoir : en se rasant la tête, les femmes noires coupent aussi court à l’hypersexualisation de leur afro, la fameuse « crinière de lionne »… De plus, l’injonction à avoir des cheveux lisses, et donc de porter dans la plus part des cas des perruques ou des extensions, est ainsi balayée. Ainsi libéré-e, délivré-e, la buzzcut, que beaucoup ont caressé dans le sens du poil et adopté depuis le début de la pandémie Covid-19, a aussi hérité des médias du surnom de « post-lockdown buzzcut » ou de « stay home haircut » dixit l’acteur Riz Ahmed. Appréciée pour sa praticité lors des confinements, beaucoup ont eu envie d’injecter un peu d’excentricité après avoir retrouvé une vie sociale, comme ce fut le cas de Giada et Anna, aka Hairspression, coiffeuses indépendantes obsédées par le hair tattoo sur cheveux ras : «Pendant la quarantaine, nous avons passé de longues semaines à rester à la maison, où nous avons eu le temps de réfléchir, de peindre et de nous exprimer. Lorsque nous avons eu l’occasion de sortir et de rencontrer d’autres personnes, nous avons évidemment laissé libre cours à notre créativité et c’est comme ça que notre activité est née. » Un phénomène qui va de pair avec les manucures à la Euphoria et tooth gems qui ont également pris d’assaut les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie et qui semblent s’intensifier au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans diverses crises. On peut voir aussi dans le hair tattoo sur crâne rasé une extension de l’esprit Do It Yourself (fais-le toi-même) cher au mouvement punk. C’est aussi une coupe de cheveux en cohérence avec cette flemme générale qui traverse nos vies depuis deux ans. Comme nous le démontre la Tiktokeuse Lena Weinam (@urboygarry) qui fait ses colorations et motifs crâniens toute seule comme une grande -notamment une buzzcut « balle de tennis » en se teignant les cheveux en jaune fluo et en se dessinant des bandes blanches de chaque côté du crâne, et dont elle termine la vidéo en gratifiant son visionnage par deux doigts d’honneur. Autre atout, la buzzcut va à tout le monde. Pour la Lausannoise Rachel Gasser qui s’est elle aussi spécialisée dans le hair tattoo, « bien que la plupart de mes client-es pour les buzzcuts soient masculins, nous vivons dans une aire de moins en moins binaire, tout le monde peut porter une buzzcut. On la porte comme un accessoire supplémentaire, comme un vêtement ou un bijou, on peut ainsi aisément exprimer son style et sa personnalité. » Camille ajoute d’ailleurs que lorsqu’elle a franchi le pas, elle s’interrogeait beaucoup sur son identité de genre : « Pour moi la buzzcut permet de rééquilibrer et de concilier mes côtés féminin et masculin. Comme dans une BD d’Enki Bilal, c’est la coupe du futur que tout le monde aura tant elle cristallise notre aspiration à plus d’authenticité et moins de superflus, à un mode de vie plus fonctionnel. J’ai une amie qui est allée jusqu’à se raser le crâne par conviction écologique ! » La convergence des luttes jusqu’au queer chevelu.

Model Lina Hoss by David Ferrua for Mixte magazine, styling Caroline Christiansson.