Sans prise de tête
L’année dernière en plein confinement, l’actrice Tiffany Haddish se rasait le crâne en direct sur Instagram et délivrait un message fort pour dénoncer la charge mentale que représentaient ses cheveux : « En tant que femme noire, vos cheveux prennent deux à trois heures de votre journée, c’est beaucoup de travail. Alors, je prends congé. Je vais utiliser cette même énergie que j’aurais mise dans mes cheveux mais cette fois-ci dans mon esprit. » De là à parler d’un geste d’autant plus libérateur pour les femmes racisées, il n’y a qu’un coup de ciseau. Et voilà un exemple criant de misogynoir : en se rasant la tête, les femmes noires coupent aussi court à l’hypersexualisation de leur afro, la fameuse « crinière de lionne »… De plus, l’injonction à avoir des cheveux lisses, et donc de porter dans la plus part des cas des perruques ou des extensions, est ainsi balayée. Ainsi libéré-e, délivré-e, la buzzcut, que beaucoup ont caressé dans le sens du poil et adopté depuis le début de la pandémie Covid-19, a aussi hérité des médias du surnom de « post-lockdown buzzcut » ou de « stay home haircut » dixit l’acteur Riz Ahmed. Appréciée pour sa praticité lors des confinements, beaucoup ont eu envie d’injecter un peu d’excentricité après avoir retrouvé une vie sociale, comme ce fut le cas de Giada et Anna, aka Hairspression, coiffeuses indépendantes obsédées par le hair tattoo sur cheveux ras : «Pendant la quarantaine, nous avons passé de longues semaines à rester à la maison, où nous avons eu le temps de réfléchir, de peindre et de nous exprimer. Lorsque nous avons eu l’occasion de sortir et de rencontrer d’autres personnes, nous avons évidemment laissé libre cours à notre créativité et c’est comme ça que notre activité est née. » Un phénomène qui va de pair avec les manucures à la Euphoria et tooth gems qui ont également pris d’assaut les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie et qui semblent s’intensifier au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans diverses crises. On peut voir aussi dans le hair tattoo sur crâne rasé une extension de l’esprit Do It Yourself (fais-le toi-même) cher au mouvement punk. C’est aussi une coupe de cheveux en cohérence avec cette flemme générale qui traverse nos vies depuis deux ans. Comme nous le démontre la Tiktokeuse Lena Weinam (@urboygarry) qui fait ses colorations et motifs crâniens toute seule comme une grande -notamment une buzzcut « balle de tennis » en se teignant les cheveux en jaune fluo et en se dessinant des bandes blanches de chaque côté du crâne, et dont elle termine la vidéo en gratifiant son visionnage par deux doigts d’honneur. Autre atout, la buzzcut va à tout le monde. Pour la Lausannoise Rachel Gasser qui s’est elle aussi spécialisée dans le hair tattoo, « bien que la plupart de mes client-es pour les buzzcuts soient masculins, nous vivons dans une aire de moins en moins binaire, tout le monde peut porter une buzzcut. On la porte comme un accessoire supplémentaire, comme un vêtement ou un bijou, on peut ainsi aisément exprimer son style et sa personnalité. » Camille ajoute d’ailleurs que lorsqu’elle a franchi le pas, elle s’interrogeait beaucoup sur son identité de genre : « Pour moi la buzzcut permet de rééquilibrer et de concilier mes côtés féminin et masculin. Comme dans une BD d’Enki Bilal, c’est la coupe du futur que tout le monde aura tant elle cristallise notre aspiration à plus d’authenticité et moins de superflus, à un mode de vie plus fonctionnel. J’ai une amie qui est allée jusqu’à se raser le crâne par conviction écologique ! » La convergence des luttes jusqu’au queer chevelu.