MESSAGES CODÉS
Mais si les tendances make-up comme le cut crease, la glass skin et le produit Trophy Wife Life de chez Fenty Beauty sont relativement récents, l’introduction du discours politique dans un contenu supposément frivole ne date pas d’hier. Pour Crystal Abidin, anthropologue des cultures web et auteure de Microcelebrity Around The Globe : Approaches To Cultures of Internet Fame (Emerald, 2018), “ces youtubeuses s’inspirent d’une pratique qui existait déjà dans les forums de femmes, sur lesquels des internautes dissimulaient des messages secrets dans des publications visibles de tous, pour se protéger d’agresseurs potentiels. Un exemple connu est celui de femmes qui discutent de recettes de cuisine ou d’éducation, mais lorsqu’on lit entre les lignes, on se rend compte qu’elles parlent entre elles de violence conjugale”. D’après la chercheuse, en faisant passer la longueur des messages postés sur son site de 140 à 280 caractères en 2017, Twitter aurait également contribué à une expansion du militantisme féminin sous couvert de frivolité : “Les premières lignes d’un tweet peuvent jouer des stéréotypes pour encourager les hommes à passer leur chemin, tandis que les suivantes abordent un sujet plus politique”.
Dans la même veine, Caitlin Walton de Norvell beauty tweetait en septembre dernier le message suivant : “Du coup, quel genre de primer est-ce que vous utilisez lorsque vous mettez votre fond de teint ? – Ok les filles, maintenant que les hommes sont partis, quand est-ce qu’on va avoir un gouvernement paritaire”. Mais pour Sarah Banet-Weiser, responsable du département Médias et Communications à la London School of Economics et spécialiste de la représentation du genre dans les médias, c’est aussi parce que le maquillage (la façon dont il est censé être porté, qui n’a pas le droit d’en mettre, qui ne devrait surtout pas être vu sans, etc.) est intrinsèquement politique que le tuto est devenu un outil militant : “Tôt dans l’univers en ligne, les tutoriels maquillage étaient un moyen pour des femmes (principalement) d’être visibles dans un milieu dont elles étaient souvent exclues. Les barrières à l’entrée relativement basses sur les réseaux sociaux leur ont donné des opportunités qu’elles n’avaient pas ailleurs. Et en réaction à de grands changements culturels à travers le monde, les réseaux sociaux en eux-mêmes sont aussi devenus plus politiques. Les créateurs répondent à ces changements ; et parce que leur focus est la visibilité, le visage, c’est logique qu’ils s’attellent à d’autres problèmes culturels qui ont trait à la visibilité : la provenance ethnique, la sexualité et le colorisme, par exemple”.