Après un coup de cœur pour la mode de Rei Kawakubo qui lui a donné envie de se lancer dans la mode, Kei Ninomiya a fini par devenir son disciple, et même se voir proposer l’opportunité de lancer sa propre marque sous son égide. Depuis bientôt dix ans, Noir Kei Ninomiya déploie ainsi une poésie couture radicale, un éloge de l’ombre renouvelé chaque saison.

Il fait partie de ces noms à la fois reconnus et confidentiels qui défilent à Paris. Kei Ninomiya a lancé sa griffe en 2012, à tout juste 28 ans, sous l’égide de sa mentor Rei Kawakubo qu’il assistait chez Comme des Garçons depuis 2008. C’est en rentrant dans une boutique CDG à l’âge de 16 ans que ce natif d’une petite ville du Japon se surprend à reconsidérer la mode autrement. Après avoir initié des études de littérature française, il plaque tout pour partir étudier à la prestigieuse Académie royale des beaux-arts d’Anvers. C’est en plein milieu de son cursus qu’il ose postuler pour travailler auprès de Rei Kawakubo comme patronnier. Embauché, le voilà qui repart au Japon, appliquer le processus créatif de celle qui veut créer quelque chose de complètement nouveau à chaque collection, en partant de principes abstraits, sans un mot, aucune explication. Au bout de quatre ans de collaboration fructueuse, elle propose à son disciple de créer une vingtaine de pièces, sans instruction, comme à son habitude. Sauf que cette fois, elle finit par proposer à Kei Ninomiya de l’exposer à Tokyo puis de lancer une marque en son nom propre en 2012. D’abord présentée de manière intimiste, sans un bruit si ce n’est celui des matières, au QG parisien de Comme des Garçons, la griffe de Kei Ninomiya rassemble petit à petit une communauté de fidèles autour de son esthétique sculpturale au romantisme noir. Sublimés par cette couleur infinie, ses volumes se déploient par le truchement de différentes techniques qui s’émancipent souvent des traditionnels points de couture. Pliés, cloués, soudés, matières précieuses et tissus techniques se mêlent pour donner naissance à un style radical, à la fois gothique et féerique. Un peu comme s’il trouvait la lumière au fond du noir, à l’image d’un Pierre Soulages du textile. C’est avec son habituelle concision que Kei Ninomiya a accepté de répondre à quelques questions, afin de tenter de comprendre son éloge de l’ombre.

Collection FW21 Noir Kei Ninomiya

En l’espace d’un an, Carlijn, récemment représentée par la très grande agence artistique Art & Commerce, a réalisé des campagnes pour des marques comme Mugler ainsi que des cover stories pour les magazines Pop ou Vogue Paris, tandis qu’Imruh, qui vient de signer chez l’agence Streeters, a collaboré avec des magazines de renom comme Ssaw ou Vogue Italie. Autant dire que, depuis que ces deux-là se sont rencontrés en 2014 dans un club d’Amsterdam où travaillait Imruh à mi-temps et où Carlijn était venue prendre des photos de la soirée pour le i-D Netherlands, chacun a géré ses bails comme il faut et a vu sa carrière décoller. Et c’est sûrement parce qu’ils ont compris très tôt qu’à deux ils se complétaient humainement, créativement et artistiquement, qu’ils ont décidé de travailler ensemble depuis cette fameuse nuit où ils sont rentrés en mobylette et ont refait le monde en traversant les canaux de la capitale hollandaise, imaginant déjà ce qu’ils pourraient accomplir à deux. “On s’est vite rendu compte qu’on avait la même vision et les mêmes envies, explique Carlijn. On se nourrit mutuellement et on s’épaule constamment. C’est simple, dans tous les projets qu’on entreprend ensemble, on se donne toujours à fond”. Et Imruh d’ajouter : “On parle clairement le même langage verbal et visuel. Venant du même pays et étant de la même génération, on a les mêmes références. Cette complicité artistique nous apporte une énergie incomparable. Et on essaye toujours d’en tirer des choses nouvelles et différentes. On s’échange nos idées, on se challenge mais on se laisse aussi notre espace quand c’est nécessaire. Et on se dit honnêtement les choses quand on sent que certains aspects ne fonctionnent pas”.

Collection FW21 Noir Kei Ninomiya
Collection FW21 Noir Kei Ninomiya

MIXTE. Comment s’est passée votre rencontre avec Rei Kawakubo qui a fini par vous suggérer de lancer votre propre marque ?
Kei Ninomiya. Le travail que j’ai fait avec Rei Kawakubo a été la source même de tout mon travail.
Elle m’a toujours laissée libre et quand elle m’a suggérée d’avoir ma propre ligne,
mon objectif a toujours été de créer avec ces mêmes valeurs dans un esprit
continuel de dépassement de soi et d’exploration de nouvelles techniques.

M. Quel est le meilleur conseil qu’elle vous ait donné ?
K.N. Je n’apprends pas à travers ses mots. Plus que des conseils, j’ai donc surtout appris en regardant la façon dont elle travaille.

M. Pourriez-vous expliquer votre processus créatif qui rend Noir si singulier ?
K.N. Ce qui m’intéresse, c’est de créer quelque chose de nouveau, de susciter de l’émotion chez les gens. C’est la raison pour laquelle j’adopte une nouvelle approche et de nouvelles techniques dans le processus de création. Je ne pars jamais d’un thème à proprement parlé. J’ai surtout dans l’idée de créer une collection qui marque les esprits et de créer des pièces visuellement fortes.

M. Plus qu’une couleur, que signifie le noir pour vous, d’ailleurs ?
K.N. Je trouve la couleur noir fascinante. J’ai voulu que l’identité même de la marque
en soit imprégnée. Travailler en grande majorité avec cette unique couleur
m’efforce à être toujours plus créatif.

M. Vous êtes également connu pour utiliser peu de coutures. En quoi est-ce que cette technique peut s’avérer limitante, selon vous ?
K.N. Je ne ressens pas particulièrement de restrictions dans le fait de coudre. Dans mes collections, je trouve de nouvelles méthodes de création qui me permettent de m’exprimer sans utiliser la couture et me libèrent également de la production de masse.

M. Comment vous sentez-vous sur la scène mode, qui semble tourner plus que jamais autour de l’image plutôt que de l’artisanat ?
K.N. Je pense que la valeur des vêtements vient du fait qu’on les porte, je pense donc que les vêtements sont plus importants que les images. Les images et le story-telling sont nécessaires pour montrer les vêtements et exprimer notre vision, mais je pense que l’artisanat est le plus important car c’est la base de la création des vêtements.

M. La devise de ce numéro-anniversaire de Mixte est “Liberté, Égalité, Mixité”. Qu’est-ce que ces trois mots vous évoquent ?
K.N. Je pense qu’il est important d’aller de l’avant sans s’arrêter, et de croire en ses
convictions.

M. Que peut-on souhaiter à votre maison pour les 25 années à venir ?
K.N. Liberté, Égalité, Mixité.

Collection FW21 Noir Kei Ninomiya
Collection FW21 Noir Kei Ninomiya