Meanwhile SS24

Pendant que certain·e·s d’entre vous profitaient encore de leurs vacances, Tokyo a donné le coup d’envoi du fashion month SS24. Entre nouvelles recrues, anniversaires, scènes de destruction, séquences émotions et nuits d’hôtels sensuelles, voici ce qu’il fallait retenir de la Rakuten Tokyo Fashion Week SS24.

1. Yōkoso (bienvenue) de Kanako Sakai

« Yōkozo » est à la fois le titre d’une chanson du groupe japonais des années 80 « RC Succession » que la designer Kanako Sakai a choisi pour accompagner sa collection, et un terme japonais traditionnel de bienvenue. Une évidence étant donné que c’était le tout premier défilé de la lauréate du prix JFW Next Brand Award 2024, qui finance les deux prochains défilés de sa carrière. Malgré le délai serré de deux mois pour préparer cette collection, les organisateurs de la Rakuten Tokyo Fashion Week lui ont fait confiance pour ouvrir le calendrier de cette saison. Pari réussi pour cette marque très prometteuse qui nous a touché par sa sensibilité, sa radicalité et son raffinement.

Kanako Sakai, visiblement anxieuse devant les journalistes, n’avait cependant aucune raison de douter. Ce qui fait la singuliarité de la marque c’est l’équilibre que la créatrice a réussi à trouver entre l’affirmation de son identité japonaise, son talent pour l’innovation en terme de textile tout en restant profondément en phase avec la culture contemporaine. On retiendra notamment les robes littéralement éblouissants portés fièrement par des hommes, qu’elle a développés en utilisant une technique japonaise traditionnelle appelée Raden-ori. Il s’agit d’un tissage réalisé à partir de coquillages, offrant un éclat comparable à celui de pierres précieuses. En résumé, la semaine de la mode japonaise a débuté en beauté avec cette véritable pépite.

2. Cours d’histoire avec A Bathing Ape

Référence en matière de street fashion, la marque basée à Tokyo depuis 1993 a célébré avec éclat ses 30 ans cette saison en partenariat avec Rakuten. Pas moins de 83 looks ont défilé en quatre actes au sein du gymnase olympique de Yoyogi, un bâtiment mythique des JO de 1964, situé en plein cœur de Tokyo et orné pour l’occasion du motif emblématique « BAPE CAMO ». Au-delà d’un simple défilé, il s’agissait d’une véritable démonstration du rôle majeur qu’a joué la marque dans le développement du street style du mythique quartier d’Harajuku.

Les collections printemps-été 2024 de la marque principale « BAPE® », de la ligne « AAPE » et de la ligne féminine « APEE » qui ont été présentées nous ont replongé dans l’esthétique des années 2000 sans pour autant tomber dans les clichés ou la nostalgie du « c’était mieux avant ». Le défilé a particulièrement mis en avant la collaboration avec « MSCHF », le créateur des célèbres « Atomwaffenstiefel » (« Bottes Atomwaffen »), déjà virales sur les réseaux sociaux depuis quelques mois. Bape® a réussi à réconcilier 30 ans d’histoire du street style et de créativité avec une vision résolument tournée vers l’avenir du streetwear.

3. L’entrée fracassante de Kamiya

La Fashion Week de Tokyo peut s’avérer être un véritable défi en été, lorsque la température moyenne de la ville atteint les 30 degrés, et un taux d’humidité à 60 %. Alors, lorsque Kamiya a convié des centaines de personnes à se retrouver dans l’immense parking du Japan National Stadium, il valait mieux que le spectacle soit à la hauteur pour nous faire oublier cette atmosphère moite. Mais Koji Kamiya ne semble reculer devant rien, et nous a scotché avant même d’apercevoir la première silhouette. La chaleur ? Oubliée quand un camion transportant une montagne de haut-parleurs a explosé le décor en roulant à toute allure. L’humidité ? Plus qu’un lointain souvenir lorsque fumée et neige ont commencé à envahir le podium. Il est clair que la marque Kamiya a un sens inné pour la théâtralité, mais la collection était à la hauteur du spectacle.

À seulement 27 ans, ce designer a lancé sa propre marque de mode masculine il y a tout juste un an et nous a présenté sa collection « Nothing From Nothing » (rien sans rien), inspirée par les paroles de la chanson de Billy Preston. Kamiya incarne à la fois une énergie impulsive et disruptive ainsi qu’un état d’esprit pragmatique. Lorsque Komi Kamiya conçoit des vêtements, il se demande toujours s’il les porterait lui-même, il s’agissait d’un vestiaire 100% street-style, avec un réel talent pour les couleurs et les matières utilisées. Ainsi des silhouettes inquiétantes cagoulés mais au couleurs flamboyantes côtoyaient des totals looks en satins. Les choix de Kamiya sont radicaux, brutes mais génialement orchestrés.

4. Le sans faute de Meanswhile

Pour comprendre pourquoi Meanswhile nous a comblés, il faut d’abord savoir que la marque a été créée en 2014, mais que son créateur, Naohiro Fujisaki, en bon perfectionniste, a attendu cette saison pour nous offrir son premier défilé. S’il nous a fait attendre près de 10 ans avant de fouler les podiums, c’est parce qu’il devait initialement défiler pour la saison Automne-Hiver 2020, ce qui a été annulé en raison de la COVID. Finalement, il nous a donné rendez-vous sur le toit du Palace Side Building, réputé pour sa vue impressionnante sur la ville et le mont Fuji au moment du coucher de soleil.La collection est conçue comme un voyage à travers les saisons, de la ville à la nature et les couleurs semblaient parfaitement synchronisées avec le ciel, créant une harmonie visuelle saisissante. La marque connue entre autre pour ses vêtements techniques au design impeccable, plus urbain et sophistiqué nous à présenté une collection faite pour s’adapter à toutes les situations qu’une personne peut vivre (qu’elle soit plutôt Netflix & chill ou aventurier en conditions extrêmes ).

Naohiro Fujisaki explique que pour lui, « les vêtements sont des outils, pas des costumes, puisqu’ils sont portés au quotidien », alors sans discours apocalyptique ni catastrophisme, le designer répond de manière pragmatique et avec finesse aux enjeux climatiques auxquels nous sommes déjà confrontés. L’exemple parfait est l’apparition du « kuchofuku », ces vestes équipées de ventilateurs électriques sur les côtés que l’on voit souvent portées par les ouvriers au Japon, qui deviennent des bombers à la fois sophistiqués et confortables.

5. Le rêve impossible de Yohei Ohno

C’est un album de famille qui a pris le designer Yohei Ohno au dépourvu et a donné naissance à cette collection. Le designer évoque une vie de famille douce-amère dans une petite ville de la préfecture d’Aichi, marquée par un sentiment de solitude en contradiction avec les photos de souvenirs familiaux heureux et pleins d’espoir. Cette image de la famille idéale s’est estompée de sa mémoire, semblant être un rêve lointain, inaccessible. À partir de là, ses idées pour la saison ont commencé à prendre forme. Pour la première fois, ce designer généralement réservé s’est révélé : « J’ai créé cette collection avec la conviction que la clé pour ‘créer quelque chose qui fait rêver’ serait d’affronter une fois de plus les souvenirs du passé auxquels je m’étais détourné, ma ville natale où je suis né, et surtout ma famille » (qui était d’ailleurs présente au défilé et visiblement touchée).

Auparavant, le designer s’était principalement inspiré d’influences artistiques externes telles que l’architecture, la géométrie et la technologie, conférant à ses silhouettes une allure futuriste. Cependant, cette introspection a donné une nouvelle dimension à son travail, mettant en tension son ADN créatif, une quête nostalgique et des touches d’humour libératrices. Les premières silhouettes en forme de ballon de rugby, les luxueuses « broderies » créées à partir d’attaches en plastique pour les étiquettes, et les smileys plus ou moins subtilement intégrés aux vêtements en sont des exemples. L’ensemble de la collection s’inspire de l’univers sportif, mais évoquant davantage les tenues des écoliers et des habitants des banlieues rurales. Si cette nostalgie du passée est omniprésente, cette collection est résolument tournée vers l’avenir. Le rêve impossible de Yohei Ohno de renouer avec le passé est pour lui similaire à notre aspiration à un avenir lointain et insaisissable : « Un futur lointain est aussi un passé lointain. » À méditer.

6. Nuit d’hôtel avec Fetico

Il est difficile de résister au charme de Fetico lorsqu’elle nous invite dans sa chambre d’hôtel, une simple indication « Do Not Disturb » (Ne pas déranger) en guise de préambule. Inspirée par le voyeurisme des photographies de l’artiste Sophie Calle dans sa série « L’Hôtel », Emi Funayama nous offre un vestiaire sensuel et résolument élégant. Bien que cette atmosphère feutrée de draps froissés, de sous-vêtements en dentelle et de mousseline évoque inévitablement les scènes torrides des grands classiques du cinéma tels que « Le Mépris » de Jean-Luc Godard, « L’Amant » de Jean-Jacques Annaud ou encore « Le Voyeur » de Liliana Cavani, vous pouvez effacer ces clichés de votre esprit. Emi Funayama précise que le « Do Not Disturb » de son invitation est en réalité une injonction qui signifie « Ne dérangez pas les femmes qui vivent leur propre vie librement ». Cette collection est une invitation pour les femmes à explorer leur propre corps et leur sensualité à l’abri de toutes injonctions extérieures.