M. Tu vivais dans le 9e à ce moment-là ?
G. M. Non, j’habitais le 11e, dans un 12 m² rue Saint-Maur. Mon matelas était juste devant mon réfrigérateur et je devais rouler mon futon à chaque fois que je voulais accéder au frigo.
N. D. F. Moi j’étais dans un 18 m² rue du Nil dans le 2e, petit mais très charmant. On n’avait pas grand-chose quand on s’est installés, et surtout on travaillait beaucoup. Même s’il nous arrivait souvent de finir tard le soir, on se disait qu’on avait vraiment de la chance et une vie plutôt chic. On faisait des pique-niques sympas le soir après le boulot. Je me souviens qu’à l’époque on allait se balader dans les parcs qui restaient fermés la nuit, comme celui de Belleville ou des Buttes-Chaumont. Escalader les parcs, c’était notre manière à nous d’appréhender à la fois cette ville et une nouvelle vie.
M. Est-ce que vous aviez l’impression d’être des outsiders au début ?
G. M. Mes grands-parents parlaient français à la maison, du coup j’étais convaincu que je n’avais aucun problème niveau communication. Mais j’ai découvert assez rapidement à Paris que je parlais un français de bâtard flamand. J’avais un vrai handicap de langage. Après mon premier stage chez Jean Paul Gaultier, j’ai travaillé pour une boîte dont les bureaux étaient basés à Istanbul, du coup j’étais constamment en déplacement et c’était compliqué pour rencontrer des gens.
N. D. F. Quand j’étais chez Balenciaga, j’ai eu la chance de cotoyer des personnes dans le milieu de la nuit, c’était le seul moment où j’avais du temps pour moi. Au départ, je ne connaissais pas grand monde ici. Du coup, j’ai passé beaucoup de temps avec Glenn et d’autres copains dont je suis encore proche aujourd’hui.
M. Vous avez le même âge, pourtant vos univers sont très différents. Vous partagez des valeurs en tant que designers ?
G. M. Pour nous, c’est le concept qui prime, on a été éduqués de cette manière. Il y a aussi une forme de respect par rapport à notre milieu, le fait d’éviter de faire des vêtements médiocres ou paresseux. Il faut que chaque pièce ait une vraie raison d’exister, il n’y a rien de gratuit dans notre démarche.
N. D. F. J’ajouterais à ça notre respect de la matière. Le dessin n’est qu’une toute petite part de notre travail, car Glenn et moi sommes capables de fabriquer des habits. On sait monter une manche, on sait couper du cuir et on maîtrise cette partie technique du vêtement. On tourne autour du corps tous les deux aussi, et nos séances d’essayage sont vraiment décisives dans la construction de nos collections. On partage cet amour du vêtement, même si nous sommes actuellement à la tête de projets qui nécessitent d’autres savoir-faire que nous apprenons sur le tas.
M. Vous avez fêté vos 40 ans cette année. Est-ce qu’à 20 ans, vous imaginiez déjà une telle trajectoire ?
G. M. Mon grand-père était colonel dans l’armée belge et quand je lui ai dit que j’allais faire l’Académie d’Anvers, il n’arrivait pas à prendre mon choix au sérieux. Pour lui, la mode ça ne signifiait rien. Du coup, en première année d’études, je me souviens avoir dit à tout le monde que j’irais travailler à Paris, que j’aurais ma propre marque et que j’entrerais aussi dans une maison pour devenir son directeur artistique.
M. Tu avais déjà tout prédit, en fait. Et pour toi, Nicolas ?
N. D. F. C’était moins écrit pour moi, j’avais une idée beaucoup plus vague de ce que le futur allait me réserver. Quand j’ai fait mon stage de trois mois chez Balenciaga, j’ignorais qu’au final ils m’engageraient. Après, ça s’est bien passé et j’ai eu de la chance. J’étais déjà heureux de pouvoir apprendre tout le temps quand j’avais 20 ans. Pour Courrèges, je pense que j’étais prêt même si je ne l’avais pas véritablement cherché. C’était la bonne offre au bon moment, tout simplement.