Malvina par © Lucas Donaud

Nouvelle figure de la pop française, la musicienne française Malvina publie un premier album aux influences trap, hyperpop, techno et rock. Un projet d’une grande maitrise élaboré sous le signe de la domination et de l’exploration de sa sexualité.

Il faut avoir une sacrée trempe pour publier un disque comme “Mercedes”. Pas seulement parce qu’il s’agit d’une exploration minutieuse de l’âme et des jeux érotiques de son autrice (travail du sexe, éthique SM, empouvoirement sexuel…) Mais aussi parce que cet album, le troisième de Malvina Meinier, se joue des chapelles stylistiques en mélangeant hyperpop, techno, trap ou rock metal avec une remarquable aisance. Qu’elle soit entourée de lanières de cuir ou de cordes délicates, la musique de cette compositrice, productrice et cheffe d’orchestre est aussi exaltante qu’ambitieuse, aussi radicale que maitrsée. Pas étonnant que Nabil Ayouch lui ait confié la BO de son long-métrage “Les Chevaux de Dieu” (2013) ou que la chanteuse Pomme ait fait appel ses talents d’arrangeuse pour en son album “Consolation” (2022). Mais rien de tout cela nous avait préparé à retrouver en 2024 la musicienne en maitrise dominatrice techno, frangine frenchy mais pas si lointaine d’ARCA et de Charli XCX.

Malvina par © Lucas Donaud

MIXTE. On s’est laissé dire que Mercedes, l’héroïne dominatrice que l’on suit de titre en titre sur ton nouvel album, était plus un alter-égo qu’un personnage de fiction…
MALVINA.
Ce disque, c’est mon histoire. Tous les morceaux racontent des choses que j’ai vécues. Ce serait une erreur d’y chercher un statement politique. Et s’il y a dessus un gros mood “domination”, c’est parce que c’est le reflet de la vie que je menais quand je l’ai écrit. J’avais juste envie de crier ma rage sur des bails qui me sont arrivés. Mais je ne suis pas la seule à voir vécu ces choses-là donc ça résonne chez plein d’autres personnes.

M. Trap, hyperpop, techno, rock, l’album amalgame des tas des styles musicaux très différents. Tu nous aides à débroussailler tes influences ?
M.
Il y avait un piano dans la maison où j’ai grandi. Dès trois ans, j’ai commencé à en jouer. À neuf ans, je savais que je voulais être compositrice, faire des musiques de films. Plus tard, je suis rentrée au conservatoire, même si mes parents étaient très loin de cet univers. J’ai commencé par la musique classique mais très vite j’ai découvert des choses plus dark à travers ma grande sœur. Elle était batteuse de metal. Ado, elle répétait avec son groupe dans le sous-sol de la maison et je venais les écouter. J’adorais cette rage, le coté performatif du metal. Pour cet album, je suis partie de ce que j’écoutais ado : Radiohead, Nirvana, System of a Down, Deftones, Korn… Mais aussi Britney Spears ou Destiny’s Child. C’est pour ça que le disque par un peu dans tous les sens ! Je me suis aussi pas mal inspirée d’IC3PEAK, un iduo russe complètement timbré qui ne fait que hurler dans de la distorsion. Mais je me sens traversée par des choses totalement différentes. Je peux m’emballer pour Selena Gomez, la rappeuse suédoise Cobrah ou des copains qui font de la techno acoustique.

M. Par exemple, le morceau “Incel” est résolument rock. Et drôle en plus. Tu avais des choses à dire aux frustrés ?
M.
Tu connais les incels ? C’est cette communauté masculiniste misogyne très active sur le net. Ils y sont… très sympas ! (Rires). Un jour, l’un d’entre eux s’en est pris à moi. Il a réussi à faire sauter mon compte Instagram et ça m’a filé un seum monstrueux. Ce mec avait décidé de signaler le compte d’une meuf sur laquelle il s’est probablement branlé et le monde est allé dans son sens. Ça m’a révolté. J’ai voulu crier ma colère dans un morceau et pointer l’hypocrisie de ces mecs qui se masturbent sur des femmes et qui juste après décrètent qu’elles sont des grosses putes qui ne doivent pas exister. Ils font vraiment de la peine. Ce sont des hommes perdus, seuls et émotionnellement dysfonctionnels qui n’arrivent pas à voir des relations normales avec les femmes. Sans doute parce qu’on ne leur a pas appris !

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M. “Sorry Not Sorry” est l’un des titres les plus posés mais aussi les plus forts du disque…
M.
Cette chanson a vraiment été le point de départ du disque. C’est mon morceau le plus intime. Je raconte une histoire que j’ai vécue où c’était moi la soumise. J’ai longtemps étais sous l’emprise d’une personne. C’est ma façon de lui dire aujourd’hui : “Regarde, je suis devenue la même personne que toi. Mais je fais ça dans un espace bienveillant. Pas dans une relation toxique”. Mes ami·e·s m’ont fait comprendre que je reproduisais des comportements nocifs. De ce point de vue, le BDSM a été une forme de thérapie pour moi. Toute la rage que j’ai à l’intérieur de moi, je peux la faire jaillir dans un endroit sûr. Et plus sur les gens que j’aime.

M. Comment le BDSM est-il entré dans ta vie ?
M.
Il y a cinq ou six ans, je faisais des photos érotiques avec Amaury Grisel, un photographe branché “shibari” (un art bondage japonais à base de cordelettes et de nœuds sophistiqués, ndlr). Un jour, il m’a invité à faire une impro techno lors d’une de ses performances dans un club BDSM. J’ai accepté parce que je suis de nature très curieuse. Surtout si c’est un peu pervers ! (rires) Je me suis retrouvée dans ce milieu, très codifié, que je ne connaissais absolument pas. Je n’ai rien compris mais ça m’a happée !

Plus tard, je suis retournée dans un club et j’ai compris pourquoi ça m’avait attiré : au fond de moi sommeillait une maxi domina ! (rires) J’ai compris que je pouvais vivre mes fantasmes dans un safe space où la notion de consentement est clé. Car une relation dominant·e/soumis·e reste une relation. Il faut qu’il y ait du respect, de la bienveillance et des limites. Quand j’entame une relation avec un soumis, ma première question est “qu’est-ce que tu n’aimes pas faire ?”. C’est crucial que je sache jusqu’où ne pas aller. La première qualité d’une dominatrice, c’est l’empathie. J’adore le paradoxe d’incarner à la fois une figure forte, sans pitié, et pourtant être au service de l’autre et à l’écoute de ses émotions.

M. D’où vient un morceau comme “For The Fun Of It” ?
M.
De mon ras-le-bol du “body count”, cette mode sur les réseaux sociaux où les mecs demandent aux meufs avec combien de mecs elles ont couché. Si elles ont baisé avec plus de trois gars, évidemment, elles sont considérées comme des salopes alors qu’un mec qui aura couché avec beaucoup de filles sera valorisé. Dans cette chanson, j’assume : j’ai couché avec plein de mecs et alors ? Vous pouvez me coller l’étiquette de salope si ça vous chante. Aucun problème, je la prends ! Je m’éclate et je n’ai que faire de vos jugements. Je découvre mon corps, le plaisir, je travaille mes relations avec les gens et c’est hyper bien ! J’ai envie que les femmes puissent s’éclater sans culpabiliser. Que le mot “salope” cesse d’être dégradant. Le fait que les femmes prennent enfin possession de leur sexualité est une bonne chose. Et pas que pour les femmes, d’ailleurs !

M. Dans le clip on te voit évoluer de façon magistrale sur une barre de pole dance. Chez Lil Nas X, Justice ou FKA Twigs… Il y a décidément une grosse trend autour de cette discipline dans la musique en ce moment…
M.
J’ai commencé la pole dance il y a deux ans et demi. Quand je suis contre une barre, je sens un alignement entre mon corps et mon esprit. J’ai l’impression que j’habite enfin mon corps, de le posséder totalement. Grâce à la pole, j’ai pris conscience de ma force. C’est vraiment une métaphore sur l’empowerment. L’ambiance dans un studio de pole est très bienveillante. Je travaille dans la musique, un milieu très masculin. Il y a énormément de mecs autour de moi et je les adore mais quand je suis en cours de pole, je suis entourée de meufs puissantes et c’est hyper agréable. On évolue toutes différemment selon nos morphologies mais on s’encourage. Il n’y a aucun jugement. C’est une communauté de bad bitches qui se soutiennent et c’est très important pour moi.

Malvina par © Xavier Arias

M. En parlant de femme puissante, Jehnny Beth fait un featuring sur ton album. Tu es également signée sur son label, Pop Noire. Comment vous êtes-vous rencontrées ?
M.
En 2019, son batteur de l’époque m’avait contactée pour me demander « meuf, on cherche une claviériste pour la tournée de Jehnny Beth, ça te dit ? » J’avais poliment décliné l’invitation en expliquant que ça ne m’intéressait pas d’accompagner d’autres gens sur scène. Mais quelques mois plus tard, il est revenu à la charge en me disant : « On avait trouvé une musicienne mais elle vient de nous lâcher. Je t’en supplie, rejoins-nous ! Écoute au moins le disque !”. J’ai écouté l’album… et j’ai adoré ! Deux jours plus tard, j’étais dans un train pour Londres. J’ai rencontré Jehnny Beth et Johnny Hostile… et ça a été le coup de foudre ! On est devenus très très proches. On a tourné ensemble. J’ai réalisé, avec Johnny Hostile, le prochain disque de Jehnny… Et naturellement je suis venue sur leur label. On s’aime beaucoup. Je les vois comme des mentors. Jehnny a beaucoup influencé ma vie et m’a fait découvrir plein de choses alors il fallait qu’elle soit sur mon disque !

Malvina par © Lucas Donaud

L’album “Mercedes” de Malvina est disponible en ligne sur toutes les plateformes.