Pour se comprendre, il faut parfois laisser les autres parler de soi. Au moment où la tentation de l’autodestruction est grande, écouter Chilly Gonzales, artiste canadien récemment relocalisé à Paris, parler de la France fait un bien fou. French Kiss, son nouvel album, est une énorme galoche roulée à notre étrange nation. Une déclaration d’amour avec la langue qu’il a enregistrée accompagné de toute sa “tribu de weirdos”, comme il dit : Juliette Armanet, Arielle Dombasle, Richard Clayderman ou encore Teki Latex… Une drôle d’affaire, donc. Mais dans la tête de Gonzo, tout ça fait sens. Pour les rendre plus joyeux, Jason Charles Beck (son vrai nom) a très tôt décidé de faire de sa vie et de son art un happening permanent. Passant avec la même grâce de la musique de chambre à un album de techno ou à des collaborations de prestige avec Daft Punk et Drake. Et voilà que le génial pianiste à la cinquantaine élégante se met au rap en français. Le résultat ? Un disque passionné et facétieux.
MIXTE. Sur “French Kiss”, tu parles sacrément bien de la France. Je crois que tu nous aimes plus qu’on s’aime nous-mêmes !
Chilly Gonzales. C’est le luxe du Canadien : avoir un pied chez vous et un dehors. On vous aime, mais avec une certaine résistance. Je dis souvent que ce n’est pas l’amour d’un chien pour son maître, mais celui qu’un chat porte à son colocataire. On n’accepte pas tout de votre part. Parfois on fait pipi dans vos chaussures. (rires) J’ai grandi à Montréal. Une ville francophone où il règne une grande liberté vis-à-vis des cultures anglo-saxonne et française. Ça a pénétré mon ADN. C’est ce qui m’a permis d’avoir une vision plus globale de la culture française qui peut contenir Flaubert, Baudelaire et Bangalter ! Tu te rends compte que les Daft Punk n’ont pas été nommés aux Victoires de la musique avant 2013 ? C’est fou.
M. Sur le titre “Il pleut sur Notre-Dame”, la fumée de ton joint se mêle à celle des cendres de la cathédrale. C’est très poétique…
C. G. Quand Bonnie Banane m’a dit : “Faisons un truc sur l’incendie de Notre-Dame ! j’ai répondu : “T’es sûre ? Chez moi, Notre-Dame, ça m’évoque direct la comédie musicale avec Garou (rires). Fallait trouver une astuce. En fait, Notre-Dame représente un truc bien français. La chanson est très émouvante. Quand je la joue sur scène, personne ne rigole.
M. Sur “Gangstavour”, tu reviens sur ta collaboration avortée avec Charles Aznavour. Ce qui aurait pu être un règlement de compte est en fait un hommage…
C. G. Il y a quelques jours, quelqu’un m’a demandé : “Pourquoi tu descends Aznavour ? Mais au contraire, je le mets sur un piédestal ! Aznavour avait un côté rappeur. Il brûlait d’une colère intense. Il mettait des petits rapports de force partout. Il ne faut pas oublier qu’il était arménien. C’était un étranger en France. Toute sa vie, il a cru devoir faire ses preuves. C’est sûrement ce qui l’a maintenu actif aussi longtemps. J’ai tellement appris pendant nos sessions ! C’était comme accompagner Frank Sinatra ou 50 Cent ! (rires). Le seul bémol, c’est qu’il nous a virés et que l’album ne s’est pas fait.
M. Mais il existe, ce disque ? !
C. G. Oui. On a les bandes, mais comme il nous a dégagés… L’album ne sortira jamais.
M. On s’en fout, balance sur soundcloud !
C. G. Quand Aznavour est mort, c’est ce que je me suis dit. Mais contractuellement, je ne peux pas…