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Fille et nièce de grandes figures du cinéma français, la jeune actrice Raïka Hazanavicius a longtemps douté de sa légitimité dans le milieu. Passée devant la caméra de grandes réalisatrices engagées, elle s’essaie aujourd’hui autant au jeu qu’à l’écriture et à la réalisation.

Née dans une grande famille de cinéma, d’un père acteur et d’une mère costumière et professeure de théâtre, à côté desquels flottent également les figures d’un oncle et d’une tante multirécompensés (le réalisateur Michel Hazanavicius, ça vous dit quelque chose ?), Raïka Hazanavicius a démarré depuis peu une carrière où apparaissent déjà des noms remarquables, notamment de réalisatrices : Ovidie, avec la série Des gens bien ordinaires, et Andréa Bescond, dont elle vient de tourner la nouvelle série Nude. Portée par le désir de travailler le plus possible, la jeune femme de 24 ans avance au fil des rencontres en assumant ses incertitudes, aborde d’elle-même sans gêne aucune les sujets qu’on croyait délicats – notamment le débat parfois violent sur les nepo babies – et fait preuve d’un naturel et d’un franc-parler qui pourraient bien figurer parmi ses principaux atouts.

MIXTE. Comment as-tu débuté l’acting ?
Raïka Hazanavicius.
Le jeu est arrivé de plusieurs façons : du côté de mon père, tout le monde fait ce métier. Ma mère, elle, a monté une école de théâtre à la Martinique et a été cheffe costumière. J’ai été surtout sensibilisée au jeu par ce biais-là. Je n’ai jamais trop regardé les films de mon père, je trouvais ça nul, on n’aime pas regarder son père… Et puis, quand je suis allée retrouver ma mère à la Martinique, j’étais très loin de tout ça là-bas, même si, quand j’étais petite, elle a voulu nous faire faire des exercices de théâtre. Au départ, ça ne m’a pas du tout plu, j’étais gênée d’être face à elle. Et puis, en regardant ses élèves jouer, ça m’a transmis quelque chose. J’avais très peur de faire ça, mais en même temps, j’avais envie de vaincre cette peur. Quand je suis arrivée à Paris, à 16 ans, j’ai foiré ma scolarité, puis j’ai fait des études de communication. Salariée dans un bureau, je me suis beaucoup remise en question. Je me suis alors dit : “Là, il va falloir prendre un risque.” Et comme ma petite sœur commençait l’acting, j’ai enfin repris les cours de théâtre.

M. Si ce n’est pas ton père, qui t’a initiée au cinéma ?
R. H.
Mon père ne parlait pas vraiment de son taf. Le cinéma était là sans être vraiment présent. C’est surtout mon grand frère qui m’a appris le streaming. J’ai commencé à regarder des films comme ça. D’ailleurs, je pensais avoir découvert DiCaprio, comme si c’était un truc niche… J’avais vu Simples Secrets, dans lequel il jouait avec De Niro et Meryl Streep. Et ensuite Basketball Diaries, Gilbert Grape. Je me suis dit : “Ce mec-là, il faut le suivre”… (rires)

M. Comment ta famille a réagi quand tu as voulu te lancer dans le métier ?
R. H.
Quand je leur ai annoncé que je voulais faire du cinéma, mon père m’a dit : “Je ne suis pas sûr que tu sois prête, donc je te paye des cours”. Le deal, c’était qu’il répondrait à toutes mes questions, mais que je devrais me débrouiller seule. Il pensait qu’avec mon nom, j’aurais du piston sans rien faire. Il m’a énormément coachée. Dès que j’avais un casting, j’allais le voir et on travaillait pendant quatre heures.

M. Qu’est-ce qui t’a le plus plu dans Les 7 Vies de Léa, ton premier rôle important ?
R. H.
D’abord, de décrocher le rôle ! Et puis de constater que j’étais super enthousiaste à l’idée de jouer, que j’en crevais d’envie, à tel point que je n’avais pas peur. C’était aussi idéal pour mettre le pied à l’étrier, car je devais partager ce rôle avec d’autres acteurs et actrices (puisque le personnage se projette dans d’autres corps), ce qui a réduit la pression. Finalement, je n’avais pas de problématique de jeu, je jouais une meuf de 17 ans alors que j’allais moi-même avoir 17 ans.

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M. Au même moment, tu jouais un petit rôle dans Coupez ! de ton oncle Michel Hazanavicius. C’est un projet dont tu entendais parler depuis longtemps dans ta famille ?
R. H.
Pas du tout. Déjà parce que, comme je le disais, on ne parle pas beaucoup cinéma en famille. Un film dont Michel nous a beaucoup parlé, c’est son projet de dessin animé autour de la Shoah, La Plus Précieuse des Marchandises, qui lui tient particulièrement à cœur. Coupez ! est un projet entre-deux, qu’il a monté pendant la période COVID, parce qu’il ne pouvait rien faire d’autre.

M. On a quand même l’impression que ça le touche personnellement : ça parle d’un réalisateur, il y fait jouer sa femme, sa fille, sa nièce…
R. H.
À la base, il n’y avait personne de la famille dans le film. Ma cousine voulait devenir actrice, et c’est ma belle-tante, Bérénice Béjo, qui est très famille, qui est allée voir Michel et lui a dit : “Eh mon vieux, tu fais un film assez perso, tu parles de toi… invite tout le monde !” Et il a accepté. Je l’ai vécu comme un cadeau, parce que j’ai vu les plus grands acteurs français jouer en direct pendant dix jours, Romain Duris, Grégory Gadebois… Et j’ai beaucoup appris de l’exigence de Michel. Quand on me faisait refaire des trucs, avant, je pensais que je m’y prenais mal. Or là, voir des acteurs si forts recommencer, proposer de nouvelles choses, ça m’a débloquée. Il n’y a pas de mauvaise réponse, tout n’est que proposition.

M. Comment perçois-tu le débat sur les nepo babies, sachant que tu peux y être associée ?
R. H.
Je le trouve légitime. Je me suis toujours dit que c’était très hypocrite de prétendre que ça n’aide pas d’avoir de la famille dans le cinéma. Le vrai avantage, à mes yeux, c’est l’accompagnement et les conseils, qui valent de l’or. J’ai aussi eu droit à la bienveillance. Dans une telle famille, personne ne te dira que ce n’est pas un métier. Ce qu’il faut, c’est reconnaître le privilège, comme le “white privilege” ou le “beauty privilege”. J’ai hésité à me lancer à cause de cela. Mais j’en avais vraiment envie, donc autant l’embrasser. Chacun son histoire, et ce sera la mienne. Je n’aurai peut-être pas la plus belle story d’actrice, je ne serai pas le diamant brut qu’on a découvert dans la rue, je ne serai jamais Béatrice Dalle, mais tant pis, ce n’est pas grave.

M. En même temps, tu viens d’une famille au statut particulier : il y a de la notoriété, de la reconnaissance, mais pas vraiment de star power.
R. H.
Tout à fait. Mon père a joué dans plus de 100 films, et en même temps les gens ne le connaissent pas vraiment, ce n’est pas du tout une star. J’ai grandi avec cette image du cinéma : c’est du travail, pas de la célébrité.

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M. Tu as commencé à réaliser un très court métrage arrivé à la troisième place du Nikon Film Festival. Quelles perspectives imagines-tu de ce côté ?
R. H.
C’est l’opposé du travail d’acteur, qui est un shot de plaisir, comme une course avec tes potes. Réaliser, c’est plutôt de l’ordre de la séance de sport à la fin de laquelle on sort lessivé·e mais fier·ère. Je l’ai fait pour exorciser une période de doutes. J’avais fini mes gros tournages, les trucs étaient sortis et je n’avais plus rien tourné depuis un an et demi. Je ne me mets pas trop de pression. J’ai une idée de court métrage que je développe. J’essaie aussi d’écrire avec mon père. J’aimerais tourner dans moins d’un an un court qui me plaît.

M. Est-ce un hasard si tu joues dans deux séries de réalisatrices très actives sur la lutte contre les violences sexuelles, à savoir Ovidie et Andréa Bescond ?
R. H.
C’est un très heureux hasard. Ovidie, c’était un casting. À la fin, j’ai eu un petit entretien avec elle. C’est une femme très impressionnante, droite, qui respire l’intelligence. Elle m’avait posé cette question : “Le personnage d’Isaure est révolutionnaire, est-ce que tu es révolutionnaire, engagée politiquement ?” J’ai répondu très franchement que je me sentais féministe, mais que je ne savais pas à quel point je l’étais. Je suis sortie de l’audition en me disant que c’était mort pour moi. Mais on avait quand même pris le temps d’en reparler. Et plus tard, elle m’a dit un truc tout bête. Dans le texte du casting, il y avait une réplique : “Moi je parle pas aux soc’dem !” Et apparemment, les autres meufs ont prononcé “sokdem”. Je lui ai donné l’impression que je savais de quoi on parlait.

M. Et Andréa Bescond ?
R. H.
Elle jouait dans Des gens bien ordinaires, et on s’est retrouvées ensemble dans un train où on a énormément parlé. Elle m’a fait exploser de rire, je la trouvais à la fois intelligente et instinctive. Elle m’a contactée quelques mois après en me disant que ce voyage en train avait été une révélation et qu’elle s’était dit qu’on ferait des films ensemble. Je suis très fière de faire partie des projets de ces deux femmes réalisatrices.

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M. De quoi parle sa série, Nude ?
R. H.
De harcèlement et de diffusion d’images pornographiques au collège, au lycée et à la fac. À la lecture du scénario, j’avais trouvé ça assez teen. Au tournage, Andrea a emmené ça ailleurs, de façon très intéressante. Elle explique sa mise en scène aux acteur·rice·s, ce que je n’ai vu personne faire. Elle te donne à comprendre ses scènes et y met un enjeu de vie ou de mort. Elle le dit sans détour : “J’ai sauvé des vies avec un film, et on peut le faire”. Elle redonne foi dans l’utilité du métier de comédien·ne. Elle m’a beaucoup touchée.

M. Tu sembles portée par l’envie de travailler avant tout, et ne pas avoir encore défini un projet graal, comme si tu laissais les choses prendre forme d’elles-mêmes. Est-ce le cas ?
R. H.
Complètement. J’ai fondamentalement envie, peut-être même besoin, de travailler, de toucher à tout. Si j’ai un désir, c’est de faire du théâtre, c’est pour moi le plus gros challenge. Ça ferait écho à l’époque où je n’ai pas eu le cran de jouer devant ma mère quand j’étais plus jeune.

M. Le thème de notre numéro est l’audace. Quelle en est ta définition ?
R. H.
Ce serait de ne pas avoir peur des autres. Ce serait peut-être le théâtre, finalement.

M. Qui incarne l’audace, selon toi ?
R. H.
Ce sont toutes les femmes qui n’ont pas eu peur de prendre la parole. S’il fallait ne citer qu’un seul nom, ce serait Gisèle Halimi.

M. Et toi, c’était quand la dernière fois que tu penses avoir été audacieuse ?
R. H.
Je ne le suis pas tellement, je crois que je pourrais me mettre plus en danger. Cela dit, en ce moment j’essaie d’écrire un film assez féministe, avec mon père, focalisé sur un procès. J’ai contacté une avocate que je respecte beaucoup, Élodie Tuaillon-
Hibon. Je crois que me retrouver devant elle, lui prendre son temps, pour assumer la légitimité de ce film, je ne sais pas d’où je l’ai sorti, mais je me suis sentie un peu audacieuse.

COIFFURE : ASAMI MAEDA @ WISE & TALENTED. MAQUILLAGE : NOLWENN QUINTIN @ WALTER SCHUPFER MANAGEMENT. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : MATHEUS AGUDELO. DIGITECH : ANDREAS GEORG. ASSISTANTE STYLISTE : FRANCESCA RICCARDI.

Cet article est originellement paru dans notre numéro fall-winter 2023 AUDACITY (sorti le 26 septembre 2023).