M. Ce premier single, tu l’as produit toute seule ?
B. B. Je l’ai fait avec Walter Mecca. Je commençais à créer des sons sur mon ordinateur et Garage Band, dans des moments de solitude. J’adorais ça, même si je ne suis vraiment pas une geek. J’ai commencé à chanter en même temps que la musique venait. J’ai fait écouter des sons à Walter, qui était à la fois un pote et quelqu’un dont j’aimais beaucoup la musique, et il m’a proposé qu’on travaille ensemble. C’est lui qui a donné la première impulsion au projet Bonnie Banane. Il a décidé qu’on était prêts pour sortir un EP et que “Muscles” serait le single. J’ai eu l’idée du clip, mais je ne prenais pas vraiment ça au sérieux. Je ne savais même pas comment m’appeler. J’avais un profil Facebook nommé Bonnie Banane et Walter m’a dit : “Tu vas t’appeler comme ça”. C’est vrai que ça sonne parfaitement. J’aime le côté clownesque, drôle à prononcer, c’est comme un gag. Walter
m’a mis le pied à l’étrier, je ne sais pas si je l’aurais fait seule. Mais j’y ai pris goût, j’ai commencé à travailler avec d’autres gens, j’ai adoré le studio, l’écriture, l’interprétation.
M. Tu as continué le conservatoire dramatique et ton activité de comédienne ?
B. B. En sortant, j’ai eu quelques petits projets, j’avais un agent. J’aime jouer, j’adore les acteurs et le cinéma, mais j’éprouve davantage de satisfaction dans le projet Bonnie Banane qu’à être actrice dans un film que j’apprécie moyennement. J’ai les mains dedans, je décide de ce que je veux faire, de ce que j’écris, des paroles, comment ça va sonner, les clips, la scène. Pour moi, c’est difficile de me retrouver sur un projet où la DA n’est pas la mienne. Du coup, j’ai appelé mon agent récemment et je lui ai dit que ça ne servait à rien de continuer. Si j’étais une immense actrice, ça se saurait. Et puis, pour être honnête, il y a peu de choses que j’apprécie dans le cinéma français. De manière générale, je suis assez difficile. Je n’ai pas souvent les mêmes goûts que les gens.
M. Quel est ton rapport au temps ? On dirait que, pour aboutir à Sexy Planet, entre tes débuts en 2012 et sa parution en 2020, tu ne t’es pas pressée. Tu as pris le temps ou peut-être que c’est lui qui s’est imposé à toi…
B. B. Ce sont des réflexions plus larges sur le monde. Par exemple, quand c’est la cohue dans la rue ou le métro, parfois je fais exprès de ralentir, parce que je ne veux pas marcher comme les autres. C’est peut-être que je suis têtue, ou bretonne. Mais j’ai aussi été ralentie par de mauvais choix. Par exemple, en 2017, je devais sortir mon premier album, Undone Tape, qui a fini sur Bandcamp et Soundcloud, parce que des producteurs ne m’ont pas envoyé les pistes musicales de mes morceaux. Ça arrive souvent quand on est une femme. Il y a aussi le temps que je me suis accordé et les problèmes de la vie. Mais j’en suis fière, cet album n’aurait jamais pu exister si je n’avais pas vécu tout ça. C’est une bonne chose aussi que les femmes prennent leur temps. Entre 18 ans et 25 ans, c’est soi-disant à ce moment-là que tout se passe pour elles, parce qu’elles sont un objet de désir. Moi je suis trop têtue pour accepter ce genre d’urgence. J’avais envie de quelque chose de personnel, la photographie d’une phase de ma vie dont je puisse être fière plus tard. Je ne voulais pas que ce soit juste cool ni un produit de marché, mais que cet album me représente sincèrement. Secrètement, j’espère qu’il aura sa place dans une certaine histoire de la musique en France.
M. Dans tes propos et sur Sexy Planet, on entend à la fois ton féminisme et ton intérêt pour la planète. Tu fais un lien entre les deux ?
B. B. Je ne conçois pas qu’on puisse ne pas être féministe. Pour moi, c’est normal, peut-être que cet album normalisera ce fait. Je n’ai jamais été non féministe, même si je ne me suis jamais déclarée comme telle. Et il y a pas mal de phases de ma vie où la contemplation de la nature a été une révélation d’humilité. Si je devais choisir ma propre religion, ce serait la nature. J’ai une dévotion pour elle. J’ai donc voulu la personnaliser dans la femme. C’est dangereux et accueillant, bafoué, mais ça reprend le dessus, c’est une allégorie qui englobe tout. Le titre Sexy Planet est sorti d’un coup, tout comme les mots Bonnie Banane sont venus un jour dans ma bouche, sans explication rationnelle.
M. L’improvisation, c’est important dans ta vie ?
B. B. C’est très important, l’imprévu, l’intuition. C’est la clé, ça peut changer ta vie et on doit absolument l’accueillir. Sur scène, je réserve toujours une petite partie à l’improvisation, parce que c’est l’essence du live. J’essaie de saisir les vibrations qui sont adaptées à chaque projet. Je me pose beaucoup de questions sur la représentation et l’interprétation. Par exemple, j’ai besoin que les paroles de mes chansons soient simples. S’il y a des mots trop pédants, qu’un enfant de 7 ans ne va pas comprendre, je ne les emploie pas. Pour l’album, on a essayé que ça sonne clair, avec Théo Lacroix, l’ingénieur du son. On a vraiment insisté sur les consonnes, pour qu’on comprenne bien chaque syllabe, parce que l’émotion peut venir d’un mot, d’une rime.