Kalika (crédit : Mathias Adam)

Avec des artistes comme Dorian Electra, Kalika ou Alice Longyu Gao, la pop est rentrée dans une nouvelle ère : celle du trash. Rencontre avec une génération désenchantée dont les lyrics, entre provocation, outrage, et rébellion, tirent désormais à balles réelles pour mieux dénoncer une société qui n’a de cesse d’opprimer les minorités.

“J’ai directement défini mon style comme étant de la pop trash, sans savoir que cela existait. Les gens me disaient tout le temps à la fin de mes concerts que mon show était super trash et super pop. Puisqu’ils avaient l’air de voir ça en moi, j’ai adopté l’expression” nous avoue Kalika, reine incontestée de la trash pop française. Celle que l’on a connu comme finaliste de la Nouvelle Star période reboot Joey Starr a depuis fait du chemin, délaissant son état civil, Mia, pour adopter comme nom de scène son deuxième prénom, référence à Kali,la déesse hindoue de la protection qui n’hésite pas à tout détruire sur son passage. En mai dernier, Kalika sort Adieu les monstres, premier album aux sonorités pop et aux paroles incandescentes. Un langage cru qu’elle puise dans son expérience personnelle : “Mon vécu et les gens que j’ai côtoyé, comme par exemple ma grand-mère qui avait un vocabulaire très trash m’ont donné envie d’écrire ce genre de paroles. Pour moi, c’est la pop poussée à son extrême, sans limite et sans se dire que cela doit rester mignon et parfait. Une pop imparfaite, un peu plus rugueuse, dangereuse et engagée”.

Et en matière de trash, Kalika n’y va pas par quatre chemins, comme lorsqu’elle demande à son ex Hector de définitivement passer à autre chose dans le titre L’été est mort : “Ne mets plus tes doigts dans mes fesses, ne m’appelle plus ta tigresse. Je partirai sans faire de drame ta bite retiendra ses larmes.” Et c’est avec Chaudasse que Kalika règle définitivement ses comptes avec la gente masculine : “Il s’est empressé de leur dire, À qu’elle point, il m’aurait fait jouir. Pourquoi faudrait-il que je passe encore une fois pour la chaudasse?” Pourquoi ? Peut être parce que le patriarcat et la masculinité toxique ont depuis belle lurette pris possession de nos playlists, notamment depuis l’avènement du rap.

Kalika. (c) Mathias Adam
CHAUDE MUST GO ON

Érigé comme maître à penser du langage cru, le rap érafle depuis des décennies la gente féminine et la communauté queer. Alors que Jul ne cesse de déclarer sa flamme à sa dulcinée dans son dernier album C’est quand qu’il s’éteint, il ne faut pas oublier qu’en 2015, des milliers d’ados reprennent en cœur Sort le cross volé, un track du marseillais prônant clairement la culture du viol :”Te déshabille pas, j’vais t’violer.” Une misogynie oklm que connaît bien Booba, entre ses “Suce-moi dans ma Lambo sans faire de tâche” et autres “Je vais rentrer au pays marier quatre grognasses qui m’obéissent.” Même s’il faut bien avouer que l’ère post me-too a calmé les ardeurs de nos punchlineurs, on remarque aussi une baisse sensible des termes homophobes tels que pédé, pédale ou zèmel dans les lyrics. “Je ne suis pas du tout en guerre contre le rap” nous confie Kalika, “Il y a plein de jeunes rappeurs que j’écoute et que j’adore comme Winnterzuko qui prouve qu’on n’est pas obligé de tout le temps insulter les meufs dans les paroles. Ma guerre, je la mène plutôt contre le patriarcat.” Pas de quoi cependant rendre le milieu du rap totalement LGBT-friendly, qui, à l’image de notre société, est emprunt d’une homophobie latente. Pour preuve le rappeur Tovaritch qui en 2022 sort un clip ouvertement homophobe J’aime pas les hommes qui… Dernièrement, Drake a dû remettre en place sa bande de fans virilistes qui l’a insulté sous prétexte que la star canadienne a osé porter du vernis à ongle rose. Sa réponse aux haters : “Barre-toi de mes commentaires. Le monde est homophobe !” Bien dit Champagnepapi.

Chenta Tsai Teng aka Putochinomaricon
COMME UN BOOMERANG

Telle une réponse directe à des années de lynchage par couplets interposés, la trash pop s’octroie elle aussi une place dans l’apologie du langage fleuri en se réappropriant l’insulte afin de la détourner de son impact original. Un concept bien connu de la sociologie que l’on nomme le retournement de stigmate : “C’est exactement ce que j’ai voulu faire avec Chaudasse : me réapproprier les insultes que j’ai reçu en pleine face” nous avoue Kalika. “J’en avais marre de devoir fermer ma gueule et de prendre cher. À mon tour de faire peur et de montrer que je peux être féroce. Prouver que je peux dire que je suis violente sans que je sois gênée en le disant, mais en faisant en sorte que la gêne vienne d’eux. Lors de mes concerts, je fais hurler le mot “chaudasse” au public, il y a un effet très cathartique à se réapproprier l’insulte.” Sale putain de pédale chinoise, c’est ce qu’à entendu toute son adolescence Chenta Tsai Teng dans la cour de récréation. Cet.te espagnol.e de 32 ans, d’origine Taïwanaise, renverse l’insulte et la porte fièrement comme nom de scène : Putochinomaricón. Par son art, Chenta sublime l’homophobie et le racisme anti asiatique qu’iel subit depuis l’enfance. Inspiré·e par les lectures du Glitch Feminisme de Legacy Russell mais aussi des films de Gregg Araki, l’univers de Chenta se veut à la fois dark, coloré, et impactant.

Un de ses premiers titres, Gente de mierda, lui permet de régler ses comptes avec à peu près tout le monde. Iel n’est pas plus tendre avec les activistes du dimanche qui restent scotchés dans leur sofa ou les marques se livrant au pinkwashing. Chenta dit tout haut ce qu’iel pense, dans une esthétique camp cybernétique à grand renfort de maquillages outranciers : une trash pop made in spain déjà bien présente dans le pays comme nous l’explique l’artiste : “Nous avons, en Espagne, notre propre façon d’appréhender le camp et le trash. Bien sûr nous utilisons le mot trash mais nous avons aussi des mots dans notre langue, comme “ petardeo” ou “mamarracheo” qui se réfèrent aussi à cette mouvance. Dans les années 2010, des groupes comme Las Bistecs, Los Ganglios ou Putilatex ont commencé à sortir des tracks avec des paroles très punk et sulfureuses. On a appelé ce mouvement le subnopop ou l’electrodigusting. Je m’inspire totalement de cette musique, je leur dois beaucoup. La trashpop me permet d’apporter une critique sur notre système où le whitewashing est roi et de conscientiser politiquement ma musique.” Un combo qu’une autre artiste d’origine asiatique maîtrise à la perfection : Alice Longyu Gao.

Rich Bitch Juice de Alice Longyu Gao
NO MORE CHINA DOLL

Celle qui a quitté sa Chine natale à 17 ans pour étudier la philosophie à Boston habite désormais à Los Angeles. Tout comme Chenta, les paroles d’Alice Longyu Gao dénoncent les travers de notre société, du patriarcat systémique au capitalisme effréné. Elle avoue, elle aussi, avoir subi du harcèlement scolaire, se faisant comparer à un cochon par ses petits camarades, à l’âge où la jeune fille rêve d’être blonde et mince comme le voudrait la norme des mannequins posant dans ses magazines de mode. Depuis, Alice se surnomme princess of manifestation et poste sur son site Internet des extraits de son journal intime, dévoilant ses troubles psychiques sans y prendre des pincettes, à l’image de sa discographie. Let’s hope heteros Fail, Learn and Retire : le nom de son dernier EP ne pourrait être plus clair. Sorti en mars dernier, il entraîne Alice dans une tournée mondiale, the CEO tour, qui a fait une escale à Paris en mai dernier. Celle qui reconnaît volontiers son agressivité en fait une arme dans des titres aux paroles tranchantes, tout comme son univers visuel qui fait la part belle au couteau, sabre et autres ciseaux. Dans Hëłłœ Kįttÿ, elle menace ses voisins de venir foutre le feu à leur maison. Disaster girl en action.

FANFARONNADE

À l’image de Kim Petras et son album Slut Pop (“pop de salope”, pour les LV1 Espagnol), Dorian Electra, chanteur.euse et compositeur.rice américain.r assume aussi son hypersexualisation. Après deux albums remarqués, l’artiste persiste et signe en dévoilant Freak mode, un titre dans lequel iel déclare que tout ce qu’iel fait est du porno freak, et que même la façon dont iel beurre ses toasts donne la trique…! Un de ses derniers singles, sobrement intitulé Sodom & Gomorrah, montre Dorian Electra dans un donjon, sans dragon mais avec pas mal de contact physique, à l’image des paroles où iel clame que son cul a besoin d’une lobotomie : “Ce titre fait référence à l’histoire biblique de deux villes qui étaient si pécheresses que Dieu les a détruites” nous explique l’artiste, “le mot sodomie – dérivé de cette histoire – a souvent été utilisé pour opprimer les personnes queer,j’ai donc voulu le récupérer dans une chanson slutty et sexy.” Sur Instagram, iel pose d’ailleurs fièrement avec un t-shirt I ♥ sodomy. Une trash pop qui n’a de cesse de porter son soutien aux LGBTQIA+ dans un retournement de stigmate qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Son prochain album, Fanfare, sortira en Octobre prochain.

Si la scène internationale se montre moins frileuse à proposer des artistes de ce nouveau genre, on peut regretter l’absence de risques de notre hexagone, comme le souligne Kalika : “Il y a limite plus d’artistes internationaux qui me donnent de la force que des artistes français. Les internationaux ne comprennent peut être pas mes paroles mais ils captent ma démarche et mon attitude. À leurs yeux, mon extravagance est cool alors qu’elle fait peur aux français.” On attend d’ailleurs avec impatience sa future collaboration avec Putochinomaricón puisque ce.tte dernier.e à contacté Kalika afin de faire un featuring. Paraît que seuls les grands esprits se rencontrent.