Courrèges Pre-fall 2024

De Kristen Stewart à Jennifer Lopez, en passant par les mannequins du dernier défilé Courrèges, les femmes se réapproprient un geste bien connu de la gent masculine : celui de toucher son entrejambe. Symbole de virilité exacerbée, la main au paquet se voit aussi réhabilitée par la communauté LGBT+. Résultat, les masculinistes crient au scandale, tandis que les autres se régalent. Décryptage d’un geste qui touche-à-tout.

Paris, février 2024. La fashion week fall-winter 2024/25 vient tout juste de démarrer et la plèbe fachon attend avec impatience le défilé de la maison Courrèges, désormais connue pour proposer de véritables moments de mode, temps par les vêtements que par le décor. Si cette saison les mannequins ont défilé dans un cube blanc immaculé dont le sol s’est littéralement mis à respirer comme une bulle d’air (tu gagues), certaines silhouettes ont aussi particulièrement attiré l’attention des invité·e·s avec un détail troublant : une poche placée juste au-dessus des parties intimes dans laquelle les mannequins mettaient nonchalamment leur main. Déjà teasés par Nicolas di Felice, directeur artistique de Courrèges, lors du dévoilement de sa collection pre-fall 2024 en janvier dernier, ce geste et cette attitude sensuel·le·s, voire sexuel·le·s, démontrent bien que les mecs n’ont pas l’apanage de glisser une main sur leur entrejambe. La preuve, quelques temps plus tôt, c’était la marque Di Petsa à la fashion week de Londres qui faisait le même statement, tout comme J-Lo dans son nouveau clip “Can’t get enough” dans lequel elle nous prouve qu’elle n’a besoin de personne (sinon d’elle-même) pour glisser une main là où cela lui fait du bien. CQFD. Se toucher les parties intimes est devenu aujourd’hui un geste féministe et politique, que l’on soit une bomba latina de 54 ans ou une comédienne lesbienne affirmant haut et fort sa sexualité. Pas vrai Kristen Stewart ?

Courrèges FW24
Di Petsa FW24
Voulez-vous toucher avec moi ?

 

Vêtue uniquement d’un gilet en cuir sans manche et d’un jockstrap, l’actrice américaine s’est récemment dévoilée, plus caliente que jamais, en une du magazine Rolling Stone. Auréolée d’une coupe mulet, l’artiste plonge sa main sur son pubis, fixant son regard dans l’objectif de la photographe américaine Collier Schorr. Une scène immortalisée dans une salle de sport vintage, empreinte d’homoérotisme affirmé. Sauf que dans ce fantasme éveillé, c’est bien une lesbienne qui porte la culotte. Il n’en fallait pas moins pour réveiller une horde de masculinistes effarouchés, qui comme souvent, se sentent obligés de mener une croisade virtuelle contre la “décadence contemporaine”. Résultat, les commentaires Instagram flirtent avec l’homophobie, tandis que d’autres la « soupçonne d’être trans »… Vous reprendrez bien un petit bol de vomi ?

Nos amis les hommes (les “vrais”) ne s’arrêtent pas en si bon chemin puisqu’une autre image ne tarde pas à apparaître sur les réseaux : celle d’une Kristen Stewart entièrement rhabillée par une intelligence artificielle baptisée DignifAI. Exit le jockstrap, Kristen se voit affublée d’une robe en satin bleu et d’un châle noir autour du cou, pour un look tradwife dubaïote qui réconforte les idées rétrogrades des mâles en perte de reconnaissances. Depuis, le compte X du “projet dignifAI” compte près de 62 000 abonnés qui prônent “la dignité et le respect”, passant leurs journées à rhabiller les instahots, à savoir les photos de filles « dénudées » dans un monde où un crop top suffit à les faire vriller. Interrogée par Stephen Colbert dans son Late show, le 12 mars dernier, sur la polémique entourant cette couverture de magazine, Kristen Stewart ne cache pas son agacement : “Ok, je vais tenter d’être la plus calme possible…C’est une situation quelque peu ironique car cela fait des années qu’on publie des couvertures avec des poils pubiens masculins sur les photos avec leurs mains glissées dans leurs pantalons déboutonnés sans que personne n’y trouve rien à redire”.

Venue présenter son thriller érotico queer Love lies Bleeding, la comédienne persiste et signe : “On assiste à une reconnaissance manifeste d’une sexualité féminine qui a sa propre volonté, et c’est ça qui est agaçant pour les personnes sexistes et homophobes”. En d’autres termes : “Yes..and ?”. “Porter la main sur ses parties intimes est un geste masculin visible partout dans notre société” analyse Françoise Cattant, consultante en image et posture, experte en communication non-verbale : “On assiste, avec cette photo, à une sorte de revendication. Une posture assumée, voire un peu punk. Qui sait, peut-être que ce geste va peu à peu se retrouver chez les féministes et devenir un geste de revendication à part entière, à l’instar des seins nus chez les Femen qui se sont réappropriées le torse nu, bien souvent uniquement réservé aux hommes”. Dans une Amérique qui s’apprête à (peut-être) réélire un président qui affirme qu’il est normal “d’attraper les femmes par la chatte”, le geste de Kristen Stewart n’est pas anodin, clamant haut et fort que sa pussy lui appartient : dont acte. “Cette posture est à la fois provocatrice, mais aussi féministe et politique”, assure Françoise Cattant.

Jeu de vilain

 

Symbole de virilité, de sexualité et de désir, le fait de tenir son bulge entre ses mains est entré dans l’inconscient collectif par la grande porte de la pop culture. On se souvient tou·te·s de la campagne Calvin Klein de 1992 dans laquelle Mark Wahlberg saisissait son entrejambe devant l’objectif d’Herb Ritts. Ce n’était pourtant pas la première fois que ce geste faisait la une des journaux puisqu’il est apparu en réalité un an auparavant, en 1991, dans le clip “Black or White” du king of pop : Michael Jackson. On a beau fouiller dans notre mémoire, on se souvient de l’intro avec Macaulay Culkin, des plumes d’indiens et des visages qui se transforment tels une pub Benetton sous acide, mais pas de Michael qui se tripote l’entrejambe ! Inutile de prendre rdv pour un scan crânien, votre mémoire fonctionne parfaitement bien : la censure s’est tout simplement chargée du reste. Le clip de “Black or White” dure en réalité 11 minutes, et non pas 6 comme les chaînes télé l’ont diffusé durant des années. La raison de cette version cut ? Une chorégraphie finale de 5 minutes dans laquelle le roi de la pop ne cesse de se toucher l’entrejambe en dansant. Et si le clip est à l’époque une prouesse technique en matière d’effets spéciaux, la presse et les associations de parents ne retiennent que la choré endiablée et crient au scandale dès le lendemain de sa diffusion.

Le clip se voit immédiatement cancel de ses cinq dernières minutes et Michael Jackson publie un communiqué d’excuses, dans lequel il regrette son “influence destructive auprès des enfants et des adultes”, ce qui ne l’empêchera pas de rendre ce geste iconique (baptisé “crotch grab” dans le milieu de la danse), sur scène lors de son Dangerous tour de 1993. Depuis, le fait d’attraper son paquet est devenu un passage obligé pour tous les jeunes artistes voulant satisfaire une certaine vision de la virilité. Si le remake de la campagne Calvin Klein par Nick Jonas pour le magazine Flaunt reste oubliable, les exemples de célébrités malaxant leur parties intimes en public ne manquent pas. De Jared Leto à Chris Brown, en passant par Justin Bieber et ses mirror selfies aguicheurs : tout est bon pour exciter ses petits cochons. En 2022, Lil Nas X flirte lui aussi avec son entrejambe lors de sa performance au Grammy Awards. Là où ce geste, pour les autres popstars, est censé exciter les foules, il redevient ici synonyme de perversité, et le rappeur voit une énième campagne de haine déferler à son encontre ? Serait-ce parce qu’il est noir et ouvertement gay ? Vous avez quatre heures…

Lil Nas X lors de la cérémonie des Grammy 2022.
Le geste de trop ?

 

Lorsque Nabil Harlow, auteur compositeur interprète, sort son album “Cœur élégant” le 1er mars dernier, il est impossible de rester insensible face à sa cover. L’artiste y pose les jambes écartées, une tenue recouvrant son sexe qu’il tient fièrement à la main : “C’est une forme de réappropriation de ce geste, nous confie l’artiste. Mon corps m’appartient”. Même s’il avoue que ce résultat est aussi dû au hasard : “Je porte, sur la photo, un Qamis, un vêtement traditionnel qui arrive jusqu’au pied. J’ai dû le remonter afin de m’asseoir jusqu’à avoir la main sur le sexe. Mon entourage a flippé lorsque je leur ai montré la pochette, ce qui m’a encore plus conforté dans ce choix”.

Un qu’en-dira-t-on dont Nabil Harlow se contrefout, habitué à recevoir des messages de haine sur les réseaux, exacerbés par le fait que l’artiste soit d’origine algérienne (et tout comme Lil Nax X, ouvertement gay) : « les gens mélangent tout, et les critiques comme souvent viennent principalement des mecs. Si je voulais vraiment provoquer, j’y serai allé cent fois plus fort Je trouve cette image bien plus romantique que provocante, quelqu’un qui se retrouve les genoux à terre car il a été accablé par la vie. On y voit mon cœur qui saigne à travers mon vêtement, la main sur le sexe… Car il ne faut pas oublier que le sexe peut aussi détruire ta vie. » Touché !