À l’aune de catastrophes climatiques sans précédent, l’utopie contemporaine ressemble donc à une ville durable, plus ou moins futuriste. Dans les alentours de Dubaï, par exemple, The Sustainable City est une humble expérimentation de ville durable à 354 millions d’euros sur 46 hectares : une oasis de modernité bardée de panneaux solaires, de centaines de kilomètres de pistes cyclables et de boutiques de maillots de bain en plastique recyclé. Initié après la crise financière mondiale de 2008, le projet est né du “besoin de créer un modèle différent qui fasse sens, à la fois d’un point de vue écologique et économique”, défend Karim El-Jisr, directeur exécutif du See Institute, centre de recherche local sur la durabilité. Dans la mouvance de la Blue Revolution impulsée aux Pays-Bas, qui défend une architecture sur l’eau, un récent projet amphibi signé Bjarke Ingels Group a reçu le soutien des Nations unies lors de leur première table ronde sur les villes flottantes début avril 2019 : Oceanix, une cité modulable entièrement autonome et résistante, destinée aux populations les plus vulnérables face à la hausse du niveau des océans. Les bâtiments, démontables, seraient de bambou ou de bois ; la mobilité douce, à vélo, par drone ou bateau électrique… Tandis qu’une “agriculture marine” – de coquilles Saint-Jacques, cultures d’algues ou fermes aquaponiques – assurerait l’autosuffisance alimentaire. Valorisant le circuit court et l’agriculture urbaine, à l’instar d’une génération en quête de reconnexion avec son environnement, les jeunes Fei et Chris Precht du studio éponyme ont dessiné une gigantesque Farmhouse, habitat modulaire dont les résidents produisent leur propre nourriture dans des fermes verticales où la nature s’impose. Idem pour leur projet Bert (maison modulaire arborée) et la Toronto Tree Tower ; tout comme l’immeuble Tel-Aviv Arcades signé cette fois-ci Penda (studio cofondé par Chris Precht en 2013). La plébiscitée Neri Oxman, à la tête du groupe de recherche Mediated Matter au MIT Media Lab, aspire quant à elle à une nouvelle architecture bioclimatique pour son Ocean Pavilion. En 2015, la designer a récupéré des coquilles d’un restaurant de fruits de mer de Boston et conçu une imprimante 3D utilisant ce matériau, à base d’eau et de chitosan. La prise de conscience semble infuser jusque dans les hautes sphères. Véritable Davos pour millennials, les rencontres Summit réunissent depuis douze ans, dans des yourtes à la déco bohème raffinée, entrepreneurs, sportifs, artistes, scientifiques, leaders spirituels… pour “changer le monde” tout en parlant business. En 2013, l’organisation a acheté d’immenses terrains sur la Powder Mountain en Utah, dans le but d’ancrer une communauté basée sur le bien-être et le network. Déjà quelques dizaines de maisons auraient été construites, selon des règles strictes afin d’altérer au minimum le paysage. Même dans la pop-culture, on ne se cache plus de ces lubies pour réinventer l’habitat : en 2018, Kanye West se lançait dans la construction pharaonique de Yeezy Homes, des “capsules durables” géodésiques sur les collines de son domaine en Californie, dans l’idée d’y loger des personnes précaires. Si le projet a été avorté dans un premier temps, le rappeur se voit déjà en incarnation du “néo-rural écoresponsable” dans le ranch qu’il s’est offert et qu’il compte transformer en campus d’expérimentation pour “renverser le paradigme de l’humanité”.