M. Il y a aussi un aspect très kinky dans tes créations, plus prononcé qu’à l’époque.
C. C. L’esthétique kink a toujours fait partie de l’identité Mugler. Mais oui, je crois que j’ai un peu de ça en moi. En tout cas, le fait de travailler pour la maison l’a fait davantage ressortir. Ça m’a poussé à être plus sexy, à proposer des choses plus fortes et plus osées. Notamment à travers mon choix de personnalités pour incarner les collections.
M. Justement, Mugler est connue et reconnue pour mettre en avant et célébrer différents types de corps, de genre, de sexualité, de taille, d’âge… Le plus souvent au travers de personnalités charismatiques, avec une force de caractère, comme les chanteuses noires Yseult et Lala &ce, les actrices transgenres Dominique Jackson et Hunter Schafer… D’où te vient cette volonté de proposer un casting aussi fort et varié ?
C. C. Ce en quoi je crois doit transparaître dans mon travail. La raison pour laquelle je collabore avec ces personnes, c’est que je les aime, que je les admire et que je crois en elles. Je veux les soutenir et leur donner une tribune. Certain.e.s diront que ça s’aligne avec une tendance de fond liée à la diversité et à l’engagement, mais c’est quelque chose qui a toujours été présent chez moi. La plupart des créateurs font travailler tel.le et tel.le mannequin parce qu’il.elle.s sont simplement cool et beaux.belles, sans vraiment s’intéresser à elles.eux ni échanger avec elles.eux.
Et sans savoir qui il.elle.s sont finalement. Je pourrais tout à fait choisir les mannequins parfait.e.s et neutres du moment pour incarner la marque, mais ma démarche est bien plus personnelle. Les gens que j’habille sont des personnes que je respecte et avec qui j’entretiens des relations. C’est comme une famille.
M. Quel est leur point commun ?
C. C. Elles incarnent toutes une autre forme de beauté. Et ce n’est pas seulement lié à leurs traits, mais aussi à leur attitude. Ce sont des personnes résilientes qui ont traversé des choses difficiles qui les ont rendues plus fortes, d’une manière ou d’une autre. Quand on est discriminé, on lutte toute notre vie pour se connaître soi-même, pour trouver sa place dans la société, définir son rôle au sein de sa famille ou dans son cercle d’amis… Paradoxalement, ces expériences permettent de se réaliser soi-même et d’en sortir grandi.e, plus fort.e et plus épanoui.e. C’est comme si ces personnes avaient une sorte de sagesse à partager avec le reste du monde. Pour moi, il s’agit de donner de nouveaux exemples de ce qui est considéré comme beau et puissant pour en faire de nouvelles références. Il faut rompre le diktat d’une mode pensée pour l’élite, les riches, les minces, et mettre en lumière d’autres visages, d’autres histoires et parcours tout en faisant sentir au plus grand nombre que la mode peut être pour elles.eux. Au final, pour quoi la mode est-elle faite ? Pour se sentir mieux et s’amuser. Si plus de gens s’identifient à ce que je véhicule à travers Mugler, alors mon travail est fait.
M. Te définirais-tu comme quelqu’un d’engagé ?
C. C. Oui, dans le sens où être engagé, c’est travailler et faire des choses qui reflètent qui on est et ce en quoi on croit.
M. Dans une société post #Metoo, post George Floyd et en pleine crise sanitaire, crois-tu qu’une marque de mode se doit d’être engagée ?
C. C. Selon moi, chaque maison devrait avoir un type d’engagement spécifique à défendre. Regarde Gabrielle Hearst chez Chloé, par exemple. Elle est très engagée dans la sustainability et le sourcing de ses produits, parce que c’est ce en quoi elle croit, et je la respecte pour ça. Toutes les marques ont la responsabilité de faire quelque chose de bien, de véhiculer un message positif. Le problème, c’est qu’encore beaucoup se positionnent sur ces sujets pour d’autres raisons, parce que c’est à la mode, un mouvement à suivre… Et ça se voit.