Louis Vuitton FW23/24

Depuis longtemps, Paris n’avait pas vécu une semaine de la mode masculine si intense, un tel foisonnement créatif et une surenchère d’événements (77 shows officiels contre 46 la saison précédente), éclipsant quasiment la Fashion Week féminine. Un bouillonnement ultra rafraîchissant mais qui donne aussi à réfléchir. Récap’ en 12 points.

Que va-t-il advenir de nous, de nos corps et de nos silhouettes dans les mois et les années à venir, alors que le monde est clairement de plus en plus bazardé ? Sans pourtant tomber dans le piège du désarroi le plus total, certain·e·s créateur·rice·s ont insufflé l’idée qu’une issue favorable était malgré tout possible pour le futur, à condition de se pencher véritablement sur la question… Si Walter Van Beirendonck a évoqué l’effondrement environnemental sous le crédo “Nous avons besoin de nouveaux yeux pour voir le futur” et un sweatshirt à inscription “Save the futur”, chez Louis Vuitton le message était tout aussi mitigé avec un “Blurry vision of the future” (vision floue du futur), qu’on pouvait lire sur les vestes. Chez Casablanca, le propos était clairement politique. Derrière un pupitre et un prompteur comme ceux des meetings de campagne, le créateur Charaf Tajer a tenu un discours anti-guerre, pro-migrants (avec comme décors une carcasse d’avion syrien rempli de fleurs) mais aussi de résilience appelant à la joie et à la fête. Dans la continuité de Milan, d’autres comme Rick Owens ont préféré abordé le réchauffement climatique en supprimant les couches de vêtements. Résultat on porte les manteaux torse nu et à ce rythme-là, d’ici 2050, ils seront certainement aussi inexistants que le charisme d’Hailey Bieber. Plus team science-fiction et anticipation, Rains et ses doudounes uni-bras, Loewe et sa veste-boules ou Comme des Garçons et ses vêtements à excroissances, ont joué la carte de la dysmorphie comme si les corps humains allaient se déformer et muter pour nous transformer en créatures hybride d’un avenir fantasmé.

1. Les démonstrations de force

LOUIS VUITTON
Alors que Louis Vuitton homme se remet encore de la disparition de son créateur Virgil Abloh, l’âme créative et fantaisiste du créateur afro-américain semble encore planer dans les studios. La preuve avec cette collection fun et flamboyante, aux accents enfantins, imaginée par Kidsuper (le designer invité par LV à concevoir les pièces de cette saison automne-hiver 2023/2024) qui a réussi à continuer de célébrer et développer l’héritage mode d’Abloh époque Louis Vuitton avec des accessoires fun (coucou, le sac caméra rétro), des pièces streetwear, du tailoring sharp ou encore de l’outwear tech et comfy. Bonus n°1 : le décor du set imaginé par le grand Michel Gondry. Bonus n°2 : la performance live de la Rosalia, notre reine à tou·te·s.

DIOR HOMME
Bienvenu.e.s au club de lecture de Kim Jones. Au défilé Dior, les mannequins défilaient au son des voix de Robert Pattinson et de Gwendoline Christie récitant le poème The Waste Land, de T.S Eliot, l’un des textes les plus iconiques du XXème siècle. C’est bien de cela qu’il s’agit : revisiter le passé. Kim Jones fait même le parallèle entre le poème qui évoque les temps qui changent et l’arrivée d’Yves Saint Laurent (à qui il s’identifie) à la tête de la maison à la mort de Christian Dior. Côté vêtements, la jupe et les shorts assez larges pour y ressembler sont à l’honneur. Les vêtements de pluie protège la laine, le tweed et un tailoring exemplaire, le tout décliné sur un camaïeu de blanc crème, de gris et de taupe, parsemé de touches de bleu.

GIVENCHY
Pour son show FW23/24, Givenchy a squatté le spot de l’École Militaire de Paris avec une grosse boite blanche épurée et minimaliste. Soit l’antithèse de shows qui en font des caisses sur le décor. Et ça paye. Ici, Matthew Williams s’affine et commence à donner une vision de plus en plus cohérente entre ses inspirations personnelles et les classiques de la maison française. Mention spéciale pour les smokings noirs en ouverture du show, sur les références punk et sur les jeux de layering multiples observés sur les silhouettes.

LOEWE
Chez Loewe, on a aussi jouer la carte du décor minimaliste (encore une autre grosse boite blanche installée au Tennis Club de la Porte d’Auteuil). Mais c’était pour mieux présenter une collection riche et fantaisiste avec une palette de couleurs chiadée, des manteaux oversize qui jouent sur la dysmorphie, des décolletés de dos, des mannequins torse nu qui sortent le bras de leur manche… Le clou du spectacle : ces manteaux XXL qui ressemblent étrangement à une sacrée paire de bijoux de famille. Ce qui est sûr, c’est que Jonathan Anderson reste maître dans l’art de savoir où placer la ligne entre le fun, l’absurde, le pointu et le désirable.

HERMES
Pour cette nouvelle ère post-pandémie et post-homewear, chez Hermès, on dégaine l’uniforme anti-fomo : du tailoring sexy, du cuir, des vestes impeccablement coupées et bien sûr, du bleu navy et du beige pour la palette plus classique. Et pour finir de répondre au moodboard “sexy de jour comme de nuit”, la créatrice Véronique Nichanian a mis le paquet sur les accessoires : des colliers en cuir, des boucles d’oreilles et des chaînes nommées “Chaos Fancy”, des chaînes de poche ou encore des sacs, façon Birkin XXL.

2. La confirmation des designers indé

Cette saison, Paris s’est aussi fait remarqué par son vivier de talents indépendants, qu’ils soient installés depuis quelques années ou fraîchement débarqués au calendrier, leur créativité et leur savoir-faire ne sont pas passés inaperçus.

EGONLAB
En étant l’une des premières marques à ouvrir la fashion week, Egonlab a mis la barre très haut en créant une collection mélangeant subtilement diverses références et influences. Au final, c’est un peu comme si on voyait Harry Potter se taper Raf Simons et Hedi Slimane (période Celine) dans une teuf organisée dans le quartier londonien de Shoreditch dans les années 2000. Une vraie proposition.

JEANNE FRIOT
Pour son deuxième défilé au sein du calendrier officiel, Jeanne Friot, créatrice de la marque éponyme rendait hommage au punk avec des silhouettes rouges énervées, du tartan pour seul imprimé, des cuissardes, du crochet et des jupes ceintures. Une idéologie rebelle qui colle parfaitement avec ce label engagé, dont toutes les créations genderless sont fabriquées à base de matières recyclées.

ARTURO OBEGERO
Le designer espagnol, qui n’en n’est pas à son premier essai, a présenté cette saison, sa vision de l’Homme fatal : un sacré mélange de romantisme, de drama et de sensualité. Rendez-vous amoureux, bouquets de roses, costumes à sequins et décolletés de dos vertigineux, Arturo Obegero, confirme son talent pour le sexy et la flamboyance.

LOUIS GABRIEL NOUCHI (LGN)
En quelques saisons, Louis Gabriel Nouchi a réussi à s’affirmer comme l’un des jeunes créateurs ayant développé une nouvelle esthétique masculine. Allant à l’encontre des classiques mannequins twinks et imberbes, il joue ici la carte d’hommes auxquels on peut davantage s’identifier, que ce soit en terme d’âge, de corps, de morphologie, de poids, de taille, de pilosité ou de sexualité. Le tout avec une esthétique homo-érotique qui n’est clairement pas pour nous déplaire. Les silhouettes sont propres, les pièces bien coupées, l’attitude en place. C’est un grand oui. Coup de théâtre politique du show : l’acteur porno américano-iranien Sharok qui, invité à fouler le catwalk, a déployé par surprise une pancarte contre la répression et les exécutions des manifestant·e·s ayant actuellement lieu en Iran.

OUEST PARIS
Créée en 2022 par Arthur Robert (un ancien de chez AMI), Ouest Paris s’affirme de plus en plus comme l’une des marques françaises de casualwear sur laquelle il va falloir compter. Les pièces sont parfaitement coupées (denim, outwear), les références sont là (la contre-culture suisse Halbstarken, l’univers du surf hivernal…) et le styling, réalisé par Arthur Robert lui-même, est vraiment on point. Le tout avec une petite pointe de fetish et d’érotisation plus que bienvenue comme le montre son débardeur blanc dont le décolleté plonge quasiment jusqu’au nombril.

WALES BONNER
Cette anglo-jamaïcaine de 32 ans, diplômée de la Saint Martins School (of course) organisait son premier défilé parisien dans un hôtel particulier baroque AF. Parquet et moulures dorées ont accueilli cette collection “timeless”, inspirée par l’écrivain James Baldwin ou l’artiste Joséphine Baker. Des costumes et robes délicates, agrémentés de maillots de foot rétro et de pantoufles de dandy, formaient un ensemble intemporel et métissé, pour proposer une approche raffinée de la masculinité.

3. Pimp my coat

Apparemment si vous voulez passer l’hiver prochain, il va falloir vous prendre pour un bon gros pimp qui aurait ressorti son énorme manteau fourrure. En mode P.Diddy des 90’s. Vu chez Egonlab, Hed Maymer, Rains, Jeanne Friot, Amiri, Junn.J…

4. Toujours plus de Y2K

Si le pantalon taille basse a connu un retour en grâce la saison dernière, cette fois-ci, place au bootcut (vous savez, cette coupe ni slim ni large, ni droite ni évasée, qui ne va à personne). Vu chez Acne Studios et Bluemarble, le vrai bootcut des années 2000 est forcément délavé. Autre pièce iconique Y2K, le pantalon chaps, qui dévoile l’aine ou le haut des cuisses. Une référence au sexy-dirty de Christina Aguilera, repérée chez Courrèges et Egonlab. Le label aux vibes punk coche d’ailleurs toutes les cases du bingo Y2K avec un bootcut chaps délavé. Chez Ludovic de Saint Sernin, pas de denim des années 2000 mais une ode à Paris Hilton et à l’ultra-sexy avec des jupettes à sequins et des tops transparents brodés de strass. Des années 2000 à leur paroxysme… Jusqu’à l’overdose ?

5. Les bras m’en sortent

S’il y a bien une attitude à pécho pour l’automne-hiver prochain, c’est de porter son manteau en sortant le bras de la manche (Loewe, Sacai, Botter, Dior…). Oui, oui vous avez bien lu. Une façon de porter/déporter le vêtement qui atteint son paroxysme chez Courrèges, où Nicolas di Felice a eu la bonne idée d’intégrer des zips à ses manches de manteaux. Le but ? Pouvoir tenir son téléphone à la main et ce, pour ne pas trop plier ni abimer le vêtement. Genius.

6. Self-protection

Comme une préparation aux temps difficiles et déprimants qui sont annoncés (crise climatique, grand froid, guerre, attaque nucléaire), les marques ont choisi de nous proposer des tenues afin de nous parer à toutes les éventualités et à tous les dangers : que ce soit en mode airbag gonflé à bloc, armure, ou gilet par balle. Vu chez Rains, Botter, Dior, Comme des garçons, Sacai, Walter van Beirendonck, Junya Watanabe…

7. La mode théâtrale (like literally)

En terme de lieu cette saison, plusieurs marques ont pris le parti de présenter leur collection dans des théâtres ou des opéras, plus particulièrement en investissant la scène en tant que telle. Que ce soit chez Ami à l’Opéra Bastille, Rains et Bode au théâtre du Chatelet, Kidsuper et son show de stand-up au Casino de Paris ou Bianca Saunders avec son déco tout droit sorti d’une pièce de théâtre contemporain, la mode essaierait-elle de nous dire qu’on vit dans une vaste comédie/tragédie ? Vous avez quatre heures.

8. L’hiver summer

Y’a plus de saisons, ma bonne dame. Voilà quelques années que le phénomène grandit : à mesure que le réchauffement climatique s’enflamme, les collections d’hiver ressemblent à celles de l’été. Couleurs vives, tons pastel, imprimés à fleurs, sont-ils une tentative de booster le moral atteint par l’éco-anxiété ou un statement écologique pour éveiller les consciences ? Un peu des deux. Reconnue pour ses imprimés floraux, la maison Dries Van Noten joue le mix and match avec des couleurs douces comme le rose ou le lilas, déclinées sur des matières fluides. Chez Casablanca aussi, on sort le vert menthe à l’eau ou le crochet multicolore façon retour de plage. Autre alternative pour découvrir son invincible été : on fait péter le color block comme chez Botter où l’on superpose les pulls fluo, comme chez Études avec une silhouette monochrome bubble gum ou comme chez Issey Miyake où l’on maîtrise la géométrie et l’art des couleurs pop : orange, ultraviolet, vert citron, un cocktail vitaminé svp.

9. Ça passe crème

Vous prenez quoi au petit déjeuner ? Vegan ou pas, les collections automne-hiver 2023-2024 ont tout ce qu’il vous faut : du blanc coquille d’œuf chez Dior, du beurre frais chez Ami et Loewe, du lait d’amande chez Wooyoungmi ou encore du beige moka chez Kenzo, sans oublier des nuances de crème pâtissière ou crème citron meringuée. La crème de la crème justement est de porter ce nuancier en monochrome. Et pour plus de fraîcheur, on mixe les matières comme chez Dior avec un sheer top sous un ensemble en maille ou comme chez Wooyungmi où chemise blanche, ensemble en laine crème se superposent sous une doudoune d’amande.

10. My tailor is rich

Côté tailoring, place à la sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes. Chez Kolor, on propose un costume déconstruit, fait de textiles différents, à la façon d’un rapiècement pour mieux valoriser l’art de l’upcylcing. Tandis que chez Givenchy, on réhabilite le costume classique, qui fit les épaules et cintre la taille. Chez Officine générale, le costume fait office d’uniforme. En bon basique, il doit pouvoir s’adapter et enrichir un dressing un peu « comme à la façon de Serge Gainsbourg qui ne cumulait pas plus de cinq pièces dans vestiaire », explique Pierre Mahéo. Enfin, chez Wooyoungmi, on respecte les bases classiques tout en insistant légèrement sur la carrure des épaules et la fluidité du pantalon. Pas prêt de se tailler le costume.

11. Valeurs refuges

Pour continuer d’exister dans ce flot de création et de nouveauté, certaines grandes maisons ont misé sur leurs basiques d’antan, comme bases inébranlables de leur image de marque. Avec une plongée dans les archives chez Saint Laurent, Anthony Vaccarello remet au goût du jour les années « sexy Saint Laurent » ces silhouettes androgynes aux smokings aux jambes infinies et chemises à col Lavallière ambiance bourgeoise provoc’. De son côté, John Galliano a renoué avec ses premières amours punk et sa jeunesse et livre une collection typique du Maison Margiela révolutionnaire : des résilles, du tartan et cette vibe « rebelle with a cause ». Idem pour Alexandre Mattuissi chez Ami, qui revient à ce qu’il fait de mieux : les silhouettes monochromes épurées et bien coupées avec au casting, d’autres valeurs sûres comme Amber Valletta ou Charlotte Rampling. Enfin, chez Dior, Kim Jones a revisité les archives de la maison, période Yves Saint Laurent à qui l’on doit l’inspiration look de pêcheur (ce qui était à l’époque d’YSL totalement subversif) et ces touches d’imprimé léopard qui en 2023, ornent un trench ceinturé et un col camionneur. Let’s go back to basics.

12. Le long chemin des mannequins homme plus size

À la fin de cette semaine de la mode masculine, le mannequin plus-size Silvano a dressé un constat alarmant sur son compte Insta. 79 marques faisant des défilés ou des présentations et seulement quatre mannequins plus-size bookés par deux marques uniquement : Doublet et LGN (Louis Gabriel Nouchi). Si la mode féminine s’engage de plus en plus dans la représentation des mannequins grosses et plus-size (même si, on le répète, ça n’est toujours pas assez !), la mode masculine a un sacré retard à combler. Thumbs down.