Que retenir de cette fashion week parisienne printemps-été 2024 ? Malgré un sentiment de frénésie et de démesure avec un nombre toujours aussi ahurissant de défilés et de présentations (42 shows et 38 présentations), il s’est aussi dégagé une certaine forme d’insouciance et de joie de vivre pendant cette semaine parisienne. Comme si chaque marque voulait proposer un véritable moment suspendu, presqu’onirique, histoire de continuer à nous faire rêver grâce à la fringue, à l’image de Louis Vuitton, Dior, Loewe, Dries van Noten, Marine Serre, 3.Paradis ou encore Issey Miyake. Car après tout, c’est bien ça le rôle de la mode. Nous faire rêver, désirer. Puis finalement acheter car il faut bien consommer (hello capitalism !). Mais comment réussir honnêtement à se projeter dans le rêve et l’insouciance quand on continue délibérément de fermer les yeux sur l’urgence sociale et climatique de notre monde ? Ce paradoxe s’est sûrement illustré avec Louis Vuitton qui a privatisé le Pont Neuf et tout l’hyper-centre de Paris (voies et accès bloqué·e·s, police mobilisée etc) uniquement dans le but de dévoiler la première collection réalisée par son nouveau directeur artistique Pharrell Williams. Un show gigantesque marqué par l’opulence et la richesse pendant que quelques centaines de mètres plus loin, au même moment, sur la place du Palais Royal, la police délogeait à grands coups de matraques des migrants mineurs venus faire un sitting et manifester avec leur tente installées à même le bitume pour demander à la ville de Paris et au gouvernement français leur droit à être logés et accueillis dignement au sein de la patrie des Droits Humains. Comme un coup du destin, le climat nous a aussi bien fait sentir qu’on était pas loin de la fin avec des défilés organisés pendant une semaine caniculaire (coucou les défilés en plein cagnard comme Koché ou Sacai et ceux sans clim’ comme Loewe) et que, alors qu’on essaye tou·te·s de déconstruire les représentations masculines au-delà du vêtement, AMI a fait ouvrir son défilé avec Vincent Cassel qui, il y a seulement quelques mois, vanter encore les propos d’Andrew Tate, un masculiniste LGBTphobe accusé de viol, de traffic d’êtres humains et de proxénétisme. Bref, on a encore du boulot. En attendant, on peut quand même continuer à regarder de la belle sape, histoire de pas trop déprimer. Récap’ en 13 points, c’est parti !
1. Les Highlights de la semaine
Le démonstration de force de Pharrell chez Louis Vuitton
Show majeur de cette semaine de la mode masculine printemps-été 2024, Louis Vuitton a tout écrasé sur son passage. Pharrell Williams oblige. Pour marquer son arrivée à la direction artistique de Louis Vuitton homme, le musicien/artiste/créateur/producteur a vu les choses tout en démesure, en présentant une collection de 75 silhouettes sur le Pont Neuf en plein Paris (ce qui lui a valu pas mal de critiques de la part de médias et d’associations écologiques). Peu importe, car sa collection se voulait être une célébration de la joie et de l’amour, comme l’a si signifié l’invitation siglée d’un “LoVers” et comme l’a si bien aussi chanté le chœur de gospel invité à performer pendant que les mannequins déambulaient sur le runway. Un chœur et des mannequins qui ont d’ailleurs été merveilleusement dirigés par Nick Coutsier, movement director en or de cette performance unique en son genre. Alors, certes il y a eu un front row à faire pâlir n’importe quelle A-list de cérémonie de remise de Prix (Jay-Z, Beyoncé, Rihanna, Zendaya etc), mais au-delà de ce m’as-tu-vu opulent, Pharrell a tout de même tenu la route niveau vêtements. Et ça tombe bien parce que c’est ce qu’on lui demande avant tout. Résultat, on a pu voir les classiques de Louis Vuitton revisités (le damier, le monogramme, la maroquinerie) le tout avec une esthétique propre à Pharrell (silhouettes loose ou près du corps, imprimés all over damier ou camouflage pixélisé, bonnet, casquette, skort, tailoring, sneakers…) qui n’a pas non plus hésité à aller piocher dans les références de Marc Jacobs et de feu Virgil Abloh. Bref, une excellente entrée en matière. Pharrell a réussi son pari haut la main.
Le sans faute de JW Anderson pour Loewe
S’il y a bien un créateur qui a mis tout le monde d’accord cette saison, c’est sans doute JW Anderson qui a probablement réalisé pour Loewe l’une de ses plus belles collections à ce jour. Pour le printemps/été 2024, il a clairement fait briller Loewe comme un diamant (oui okay, les diamants ne brillent pas, il réfléchissent, mais allez dire ça d’abord à Rihanna). D’abord, Loewe a choisi d’organiser son défilé SS24 dans l’arène équestre de La Garde Républicaine et avait fait construire pour l’occasion des structures fontaines de l’artiste Lynda Benglis. Dans ce décor où l’eau jaillissait et reflétait le soleil qui entrait dans le lieu, les mannequins ont arboré des tenues scintillantes : des hauts et pantalons pailletés, des tops torsadés, de gros pulls en maille à blocs de couleurs et des pantalons à taille ultra-haute. Et parfois, ici et là, des tops en forme de tube/grosse taie d’oreiller en cuir lisse, de longs manteaux qui trainent sur le sol, des grands sacs à main ou encore des chaussures à bout rond. Du fun et du chic : du JW Anderson tout craché, quoi.
Le classique audacieux de Kim Jones chez Dior
Comme n’importe quelle grande marque qui mise sur l’influence des célébrités, Dior n’a pas pu échapper à l’appel d’un méga front row (Demi Moore, Offset, Winnie Harlow). Mais ce ne serait pas rendre service à Dior que de s’attarder là-dessus tant la collection et le set pensé·e·s par Kim Jones pour la maison française étaient d’une créativité folle. Pour ses cinq ans chez Dior Homme, Kim Jones semble avoir atteint la quintessence de son art. Déjà, les mannequins sont tous sortis du sol par des trappes installées sur le catwalk (tu gagues). Un performance qui a fait applaudir le public dès le début du show (assez rare pour être mentionné). Et de là, on a pu observer une collection à la fois ultra portable mais aussi axée très couture avec des silhouettes tailoring assez classiques mais twistées avec par exemple du tweed texturé, des chapeaux fantaisies, des pantalons feu de plancher, des touches de fluo, d’imprimés léopard ou pied de poule le tout dans une palette généralement neutre (gris, bleu marine, beige, marron). Un focus juste et “on point” sur les vêtements et le savoir-faire de la maison. Ultra-désirable, une fois de plus.
L’élégance discrète et désinvolte de Dries van Noten
Peu importe la collection que produit Dries van Noten, ce dernier est toujours loué pour sa créativité et son sens du beau. Et ce défilé SS24 n’a pas échappé à la règle mais a d’autant plus marqué les esprits grâce à des silhouettes super élégantes et axées sur la nonchalance et la fluidité. Soit une sorte de chic cool et désinvolte (dont seul Dries à le secret) rendu possible grâce à des trenchs soyeux, de longues parkas, des tricots troués, des pantalons cargos amples, des blazers à épaules larges ; le tout dans une palette de couleurs ultra-recherchée allant du rouille au doré, en passant par le beige sable, le mauve ou le vert d’eau. En gros, c’était comme de contempler ce genre de coucher de soleil d’été qui t’en mets plein la vue et te donne la sensation d’un moment suspendu et éternel. Ovah.
L’affirmation de Matthew M. Williams chez Givenchy
D’habitude Matthew Williams nous propose des collections qui regorge de détails et de fioritures, avec un mélange des genres qui frôle parfois l’overdose et l’incompréhension. Mais on doit reconnaître que cette saison, il a step-up son game en proposant probablement l’une de ses collections homme les plus matures et les plus recherchées depuis son arrivée à la tête de la maison française. Dans une gamme de couleurs composée de blanc, de noir, de gris, de vert et de touches de bleu marine, de jaune et de rose, la collection a mis l’accent sur le tailoring et un aspect plus couture, jouant parfois avec l’amplitude des silhouettes. Mais Williams n’en oublie pas moins son dada qu’est le sportswear en ajoutant ici et là quelques éléments workwear et techwear qui pour une fois matchent parfaitement avec l’ensemble. Méga encouragements ! Croyez-nous, ça sent les félicitations données à l’unanimité au prochain conseil de classe.