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État second, conscience modifiée, perte de contrôle, lâcher-prise… la transe pourrait bien être le meilleur moyen d’accéder à un état d’euphorie tout en initiant un processus de rébellion.

Parmi les faits divers non élucidés, il persiste cette étrange “épidémie de danse” qui frappa Strasbourg au mois de juillet 1518 (un very cold case, donc). Alors que la ville traverse une période de famine et d’extrême pauvreté, une villageoise est prise de mouvements incontrôlables. Elle lève les bras au ciel, tape des talons et se met à danser, sans raison et sans que personne ne puisse l’en empêcher. Elle est rejointe par d’autres habitant·e·s, plusieurs centaines au total, qui dansent comme elle sans cesse pendant des semaines… jusqu’au malaise, et pour certains jusqu’à la mort. Porté·e·s par une transe collective qui reste à ce jour inexpliquée, les villageois·es ont les pieds en sang, certain·e·s s’évanouissent et d’autres font un arrêt cardiaque. Plusieurs théories tentent d’expliquer ce phénomène irrésolu aussi appelé “manie dansante”. Pour Paracelse, un médecin de l’époque, il s’agirait d’une révolte des femmes contre la tyrannie conjugale. D’autres spécialistes évoquent l’ergotisme, une intoxication par le seigle qui provoque des convulsions. Dans son roman Entrez dans la danse, Jean Teulé, récemment disparu, avance la thèse du désespoir. Dans ce contexte de crise politique et économique, les villageois·es se seraient lancé·e·s dans un ultime élan de vie.

Et si la transe par la danse devenait l’échappatoire ultime en temps de crise ? Quelle qu’en soit l’origine, le fonctionnement est souvent le même. La plupart du temps, les danseur·se·s accèdent à cet état modifié de la conscience par la répétition d’un mouvement. Libératrice, désinhibante voire politique, la transe offre souvent l’opportunité de devenir un·e autre ou encore d’accéder à une nouvelle dimension pour mieux échapper aux normes… Bref, un safe space bienvenu quand la première dimension est chaotique. En Iran, où la révolte s’intensifie depuis des mois, la danse est l’une de ses manifestations. Et les chorégraphies virales comme celle de Khodanour Lajai – jeune homme retenu prisonnier puis abattu lors d’une manif, et devenu l’une des icônes de la révolution – qui a été publiée sur Instagram, sont reprises partout dans le pays en signe de soutien. Pratique ancestrale, souvent prisée pour entrer en contact avec les dieux ou pour expier les démons de la colonisation, comme dans le film documentaire de Jean Rouch, Les Maîtres fous, la transe par la danse ne devrait-elle pas être réhabilitée en tant que forme de désobéissance civile artistique ? Redevenir un exutoire de l’oppression pour repousser les limites du contrôle et donner au corps en mouvement la fonction d’arme politique ? Comme le suggèrent les danseuses Grace, Lou, Mélodie et Myana, photographiées en état de transe (ou presque) pour Mixte, la transe engendrée par la danse reste un outil de “nettoyage énergétique”, un état de liberté et d’euphorie. En les interrogeant, nous avons retenu six bonnes raisons d’entrer en transe. Alors, dansez maintenant !

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1. PRATIQUER L’ART DE LA JOIE

 

Le jour du shooting, la météo est aussi glaçante que l’actualité mondiale. Malgré l’atmosphère anxiogène marquée par le dérèglement climatique et la sobriété énergétique, il se dégage du plateau une énergie bouillonnante. Sur le set, on sent d’où vient la chaleur : non pas d’une danse de vandales, mais des équipes de Simonagun qui s’affairent à diriger quatre jeunes danseuses autour du thème de la transe. Concentration au maximum, mouvements fluides : Grace, Lou, Mélodie et Myana improvisent ensemble ou en solo sous l’objectif de Charlotte Navio. L’émotion est palpable, et lorsque plus tard on demande aux professionnelles, en loge, leur définition de la transe par la danse, elles évoquent toutes un sentiment de bien-être et de lâcher-prise. Selon Mélodie, il s’agit de retrouver un safe space : “Inconsciemment, on pense à un endroit où l’on se sent bien, qui est chaud et qui ramène à l’enfance. Pour moi, c’est ma chambre.” Lou, qui accède à l’état de transe la plupart du temps lorsqu’elle est seule, s’en sert comme “d’une thérapie” pendant laquelle elle peut se mettre “à crier ou à pleurer d’un coup”. Le remède pour soigner la grande dépression ? Si elle est pratiquée dans le cadre de thérapies depuis les années 1960, la transe a plus récemment débarqué dans l’enseignement supérieur français (cours d’initiation donnés à Paris VIII depuis novembre 2021). Une première mondiale, que l’on doit en partie à Corine Sombrun, ethnomusicologue, fondatrice du TranceScience Research Institute en 2019 et autrice de plusieurs livres, dont La Diagonale de la joie (éd. Albin Michel) qui relate son expérience d’apprentie chamane en Mongolie. Devenue experte en la matière, elle continue d’introduire la pratique dans des domaines cliniques pour soulager les douleurs chroniques ou les patients oncologiques.

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2. ENCLENCHER UN REBOOT ÉNERGETIQUE

 

Après le retour de l’inflation, de la réforme des retraites ou des restrictions anti-Covid, vous avez l’impression d’être resté·e bloqué·e en 2020 ? Essayez donc d’accéder à la transe, histoire de changer d’air. Selon Myana qui la pratique régulièrement, cet état permettrait un nouveau départ émotionnel. “Je sais que les quelques fois où j’ai touché de près la transe, j’ai senti un renouveau intérieur, comme si je recyclais tout l’oxygène entré dans mon corps et que tout ce qui me polluait jusque-là sortait. C’est un peu comme un grand nettoyage permis par la danse”, témoigne la jeune danseuse. Idem pour Lou qui, malgré ses difficultés à maîtriser sa respiration, se sert de la transe pour remettre ses émotions à zéro : “C’est un peu le même chemin que quand on utilise une bougie pour souffler sur les mauvaises pensées.” Du côté des derviches tourneurs, une confrérie issue du soufisme, branche mystique de l’islam, née en Turquie au XIIIe siècle, c’est un peu le même objectif de renouvellement énergétique et d’alignement émotionnel. L’idée étant de reproduire les mouvements du cosmos en tournant sur soi-même à la façon d’une toupie. Lors des cérémonies, un joueur de flûte accompagne les danseurs vêtus d’une robe blanche, qui tournent sur eux-mêmes une centaine de fois, un pied servant de pivot, un bras tendu vers le ciel, l’autre vers la terre. Ce mouvement cyclique s’effectue les yeux fermés afin de faciliter l’accès aux émotions refoulées et ainsi décharger des tensions inconscientes. Ou apprendre à tourner en rond sans être en boucle.

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3. SE SURPASSER

 

Si, dans votre entraînement survivaliste, organisé en préparation de la fin du monde (on n’est jamais trop prudent·e), vous n’aviez prévu qu’un programme de crossfit, il serait temps de considérer la transe. Les quatre danseuses sont unanimes, cet état upgrade la performance physique. Le plus souvent, il conduit à un dépassement de soi, à la manière de ce fameux “second souffle”, phénomène physiologique qui passe nos organes en mode warrior. “On sait qu’on n’en peut plus, mais en réalité on peut encore et c’est cet ‘encore’ qui définit la transe, raconte Mélodie. C’est vraiment le 1 % de la batterie du téléphone. On s’épuise, on se bousille le corps, on se désarticule, mais sur le moment, on ne sent rien.” Une forme de super pouvoir ? “Cet état me fait penser à un animal en situation de survie, dont les réactions émotionnelles et physiques sont différentes de son état normal”, image Grace. Dans son récit d’apprentie chamane, Corine Sombrun raconte comment elle s’est retrouvée à porter un tambour de 80 kg pendant des heures sans éprouver la moindre douleur… Jusqu’à la sortie de son état second et aux courbatures le lendemain qui, elles, étaient bien réelles. Bien plus sain qu’un régime protéiné.

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4. SORTIR DU CONTRÔLE

 

Vous avez l’impression que votre téléphone vous écoute ? Sans parler de la puissance nocive des algorithmes, avérés dangereux pour la santé mentale, qui gardent bien au chaud toutes nos données. Depuis qu’elle existe, la transe par la danse est un acte politique et émancipateur. Au sens propre comme au figuré. D’abord parce qu’elle permet d’échapper aux règles qu’impose la danse académique, mais aussi parce qu’elle donne accès à un espace de la pensée non contrôlé, non maîtrisé. Concrètement, un·e danseur·se souhaitant expérimenter la transe, considérée et pratiquée comme une technique à part entière, doit oublier les codes académiques pour mieux lâcher prise. Myana a d’ailleurs suivi un workshop dédié, enseigné par Magnus Westwell, talent prometteur soutenu par l’organisation de danse anglaise Sadler’s Well qui finance les jeunes artistes. Chorégraphe et compositeur écossais ayant notamment travaillé avec Dua Lipa, Marcelino Sambé, le groupe Hurts… il propose des mises en scène pour visualiser la musique. Myana souhaite diversifier sa formation : “J’essaie d’explorer la transe dans ma danse, parce que je sais que mon training est assez classique et contemporain, basé sur des techniques plus anciennes comme Cunningham ou Graham. Des techniques qui demandent énormément de contrôle et ne m’offrent pas beaucoup d’opportunités de me laisser aller, ce qui est assez frustrant.” Sa technique : explorer un mouvement qu’elle répète en boucle, et se laisser transporter plutôt que de le maîtriser. Une expérience qu’il faut savoir s’autoriser : “C’est forcément très politique, tous les codes et automatismes n’existent plus, ils s’évaporent.” De quoi peut-être échapper au regard de Big Brother.

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5. REPRENDRE LE POUVOIR

 

Entre quête de sens et burn-out militant, le temps paraît long (coucou les élections européennes de 2024). En attendant, la transe par la danse peut aider (oui, oui). Premièrement parce qu’elle permet à cellui qui la pratique de reprendre le dessus sur soi, notamment grâce à ses vertus désinhibantes. “Personnellement, ça me terrifie de prendre la parole devant 10 ou 20 personnes. Mais sur scène, la transe par la danse m’apporte la confiance dont j’ai besoin, témoigne Mélodie. C’est un peu comme un moment d’absence que l’on sent monter et pendant lequel on cherche autre chose de soi.” Idem pour Myana qui lui reconnaît une fonction émancipatrice : “C’est comme un état de vulnérabilité, mais de force en même temps.” Grace, elle, s’affranchit du regard des autres qui peut parfois lui peser quand elle danse : “Je me crée une autre réalité, dans laquelle les autres n’existent pas.” Outre cette sensation de liberté, l’une des fonctions ancestrales de la transe fut aussi de servir la société. En 1954, Jean Rouch, référence du cinéma ethnographique de la Nouvelle Vague, a suivi une cérémonie de la secte religieuse des Haoukas à Accra au Ghana. Dans le très impressionnant film documentaire Les Maîtres fous, une dizaine d’hommes se transforment, la bave au coin des lèvres, en personnages de l’armée coloniale. Une façon pour eux de se servir de la transe comme exutoire à la soumission et à la violence de la domination coloniale. On retrouve cette portée politique dans la tribu mongole qu’a rencontrée Corine Sombrun lors de son reportage. Dans la transe chamanique, “il y a toujours un but. Et le but, dans les tribus sibériennes, ce n’est pas de danser, c’est d’obtenir des réponses qui vont être utiles à la communauté”, témoigne la reporter devenue experte ès transe.

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6. RETROUVER DU SENS

 

Au fil de la journée et de l’improvisation, les quatre danseuses se dévoilent. Chacune a son style, son énergie. Elles s’expriment par mouvements organiques pour certaines, plutôt saccadés pour d’autres, selon l’émotion. Elles le reconnaissent de façon unanime : l’entrée en transe est aussi le moyen de se reconnecter à soi, d’éprouver sa spiritualité. “La spiritualité c’est la croyance en quelque chose d’impalpable qui va au-delà de ce qu’on nous a appris, qu’il soit de l’ordre physique, matériel ou factuel. Or la danse est immatérielle et permet d’extérioriser certaines émotions”, développe Grace. Et si la transe par la danse apportait finalement un questionnement existentiel qui nous dépasse ? Un peu comme ce qui a entraîné des centaines de Strasbourgeois à danser jusqu’à la mort en juillet 1518. Un acte de rébellion pour s’émanciper des codes sociaux, voire un moyen de marquer la prospérité comme un ultime geste de vie (oui, rien que ça). Interrogé par M le Monde au sujet de la transe dans la danse contemporaine il y a quelques années, le chorégraphe Damien Jalet, qui s’est lui-même inspiré de différents rituels de transe pour son spectacle YAMA, répondait : “Que les chorégraphes renouent avec ces formes souligne, me semble-t-il, leur besoin de ‘faire sens” dans un monde qui en manque, de se fondre aussi dans quelque chose qui les dépasse, une sorte de temps mythologique. On se sent moins éphémère lorsqu’on se connecte à un acte qui semble ancestral.” Prêt·e·s pour l’ego trip transcendantal ?

PHOTOGRAPHE : Charlotte Navio / STYLISME : Franck Benhamou / DANSEUSES : Mélodie Gollé, Grace Lyell, Lou Luttiau et Myana van Cuiklenborg / COIFFURE : Shuhei Nishimura @ Wise & Talented / ASSISTANTE COIFFURE : Mily Serebrenik / MAQUILLAGE : Maud Eigenheer @ Wise & Talented / ASSISTANT PHOTOGRAPHE : Quentin Collas / DIGITECH : Paco Biagetti / ASSISTANTE STYLISTE : Léa Sanchez.

VIDÉO : Virna HAGEN et Nicolas Simon chez @la_belle_facon / ⁠Chef Opérateur Nicolas VASQUEZ assisté par Anthony POULON / Chef Electro Blaise BASDEVANT / Ingé Son Alex LEMOUROUX.

Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).