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Danseuse, chorégraphe, activiste et ancienne gymnaste de haut niveau, Maryam Kaba – tout juste nommée artiste associée au ballet national de Marseille pour une résidence de deux ans – s’apprête a mener a bien sa mission : inonder le monde de sa joie contagieuse et fédératrice, grâce au corps et au mouvement.

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Les gouttes de sueur perlant sur son corps, le sourire ravageur et le corps en ébullition, Maryam se déhanche et se déchaîne sur la scène du Makeda, club emblématique de la ville de Marseille. Nous sommes début 2022 et elle est venue s’enjailler à la Rapoustine, LA nouvelle et déjà culte soirée queer house/disco créée et organisée par Damien Lorenzi – alias La Lorenza – l’un de ses ami·e·s et éminence grise de la fête. Dire ici que bon nombre de regards sont tournés vers Maryam serait presque un euphémisme. Car, dès qu’elle danse, dès qu’elle bouge, elle irradie et attire comme un aimant les personnes intriguées par son aura et son énergie ultra-communicatrice. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que Clémence Sormani, la directrice déléguée du Ballet national de Marseille (BNM), présente ce soir-là, a décidé de s’avancer vers elle pour la saluer et lui faire part de son admiration. Normal, en vrai. Car depuis que Maryam a débarqué à Marseille en 2017, elle est devenue une figure de la ville, notamment grâce à sa participation active et à son investissement sans faille dans la vie culturelle et associative de la cité phocéenne.

En quelques années seulement, elle a converti toute une communauté au concept Afrovibe, une discipline danse et fitness qu’elle a créé en 2011 et qui est basée sur le cardio et les danses afro-descendantes (ses cours endiablés en plein air et face à la mer sur l’esplanade de la Porte d’Orient près du Vallon des Auffes sont d’ailleurs aujourd’hui presque aussi connus que la Bonne Mère. For real). En plus de ça, Maryam retourne la nuit marseillaise depuis 2019 en tant que membre de la Famille Maraboutage, célèbre collectif artistique pluridisciplinaire et inclusif, créé par les DJs Géo Parish et Scrap Coco. Le tout complété par son engagement pour sauver et soutenir les migrant·e·s et les exilé·e·s avec la création dès 2019 du festival Afrovibe Solidarity, organisé en collaboration avec l’ONG SOS Méditerranée ; sans oublier le fait qu’elle a été choisie pour incarner l’édition 2021 du Festival de Marseille en posant pour les affiches officielles de l’événement.

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Bref, quand on sait tout ça, on comprend mieux pourquoi Clémence Sormani l’a de nouveau approchée quelques mois plus tard, à l’été 2022, en se glissant dans ses DM Insta pour lui proposer de devenir, à partir de septembre et pour une durée de deux ans, la nouvelle artiste associée au BNM. “Quand on m’a fait cette proposition, j’ai été honorée mais je n’en revenais pas. Ça m’a pris par surprise et je me suis vraiment demandé : ‘Pourquoi moi ?’”, reconnaît modestement Maryam, encore bouleversée et reconnaissante de l’opportunité qui lui a été offerte. J’imagine que le Ballet avait dû voir ce que j’avais fait auparavant, puisque je connais Marine Brutti (directrice artistique et l’une des fondatrices de (La)Horde, le collectif qui a pris la direction du BNM en 2019, ndlr). Mais, venant du milieu du sport, avec tout ce que ça implique comme problèmes de légitimité, c’est quelque chose que je n’aurais jamais envisagé.” Pourtant, Maryam n’a pas à rougir. Elle devrait même envoyer balader pour de bon et sans crainte ce syndrome de l’imposteur, qui revient malheureusement frapper de temps en temps à sa porte. Déjà parce qu’à bientôt 45 ans elle a accompli de grandes choses, mais aussi parce que cette nomination au BNM sonne à la fois comme un aboutissement et un retour aux sources.

Formée au ballet et à la gymnastique rythmique dès son plus jeune âge, puis au modern jazz, Maryam est devenue championne de France de GR à 14 ans en individuel, puis une nouvelle fois en duo à 16 ans (excuse you !). Après avoir obtenu son brevet d’Éducatrice sportive des Activités gymniques option GRS et métiers de la forme, elle sort diplômée en 2005 de l’Université Paris V en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives, option sociologie du sport). Autant dire qu’elle a ça dans le sang, comme le reste de sa famille et en particulier sa sœur, Safi N’Diaye, six fois championne de France de rugby avec l’équipe de Montpellier et titulaire de 91 sélections en équipe de France avec laquelle elle a joué trois Coupes du monde et remporté deux grands chelems au tournoi des Six Nations. En 2014, pendant que sa sœur transforme l’essai, Maryam, qui à l’époque est coach sportive personnelle, décide de tout plaquer pour partir vivre à Rio de Janeiro au Brésil. “J’en avais marre de Paris. Le mood général, le climat, les gens… j’étais à bout. J’avais besoin de quelque chose de nouveau”, confesse-t-elle. Et elle va être servie. Comme cette fois en 2016 où, repérée par un chorégraphe, elle finit par danser dans le cortège officiel du carnaval de Rio 2017, devenant ainsi la première Française ever de l’Histoire à défiler en “comissão de frente” (cortège de tête).

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Quand on demande à Maryam de prendre le temps de se poser pour analyser l’ampleur de son parcours et de son influence, elle réfléchit et finit par lâcher, avec lucidité et fierté (comme si le syndrome de l’imposteur l’avait enfin quittée) : “Je vois ma nomination au BNM comme la suite logique de tout le travail que j’ai accompli depuis des années. Jamais je n’aurais pensé pouvoir réunir toutes ces petites victoires que j’ai obtenues, au travers d’un projet aussi vaste et complet qui va mêler la danse et la performance avec des conférences, des talks, des workshops… Finalement, c’est un véritable accomplissement, comme une sorte de consécration.” Et à bien y regarder, il semble tout à fait normal que Maryam soit ainsi célébrée. Partout dans son entourage, personnel ou professionnel, on loue sa personnalité hors normes, son authenticité, sa franchise et sa joie de vivre. Soit des traits de caractère qui, associés à son arme bienfaisante qu’est la danse, lui ont permis depuis des années de bousculer les codes établis, de partager, de fédérer et de prêcher la bonne parole, que ce soit sur les questions liées aux discriminations (sexisme, racisme, classisme, validisme, grossophobie, LGBTphobie), aux problématiques sociétales (écologie, égalité, équité) ou à l’acceptation de soi (bienveillance, estime, body positivisme).

“La danse, c’est puissant. C’est un éveil sur soi et sur les autres, assène Maryam. Danser, c’est connaître son environnement, ses limites, ses capacités. C’est aussi comprendre ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas. Finalement, c’est comme une forme de thérapie.” Une thérapie qui pourrait bien nous permettre de nous libérer, de nous déconstruire, voire de traiter nos traumas, comme s’apprête à nous le démontrer Maryam, qui prévoit entre autres de bientôt performer, dans le cadre de sa résidence au BNM, Entre mes jambes, une de ses créations chorégraphiées qui racontera l’agression sexuelle qu’elle a subie à 6 ans. “Je dois reconnaître que la joie est parfois difficile à cultiver, mais je sais au plus profond de moi que la danse est une façon d’y accéder. En ce qui me concerne, l’euphorie qu’elle me procure n’a pas d’égal. Danser a été une manière de survivre, de vivre et de me réjouir au quotidien. Et c’est particulièrement cet aspect libérateur, émancipateur, militant et guérisseur de la danse que je veux transmettre aux autres. Alors, c’est vrai, tout ne va pas comme on le souhaiterait. Le chantier est énorme. Mais littéralement bouger son cul et danser peut arranger pas mal de choses.”

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Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).