Création de Weinsanto.

Jusqu’au 6 novembre prochain, le Mucem, à Marseille, explore les dialogues entre les pièces haute couture et les costumes traditionnels, de la fin du XIXe jusqu’à maintenant. Renversement des genres, héritage, identités, réemploi… “Fashion Folklore” invite à la fois à la réflexion et à l’émerveillement.

Qu’y a-t-il de commun entre une coiffe tyrolienne et un chapeau Chanel ? Entre une blouse traditionnelle roumaine et un ensemble d’Yves Saint Laurent ? Ou encore, entre une veste de Jean-Paul Gaultier et un plastron breton ? C’est la devinette que nous pose la nouvelle expo du MUCEM, en mettant en parallèle des costumes traditionnels, principalement d’Europe et de Méditerranée, avec des pièces haute couture de designers. A priori, ces deux univers sont bien distincts. Le costume traditionnel résulte d’une appartenance à un groupe associé à un territoire précis et se définit comme un symbole de permanence. La haute couture, au contraire, est le produit d’une individualité plus prononcée qui combine le goût de l’éphémère à celui des injonctions créatives de son époque. Avec “Fashion Folklore”, le Mucem s’attèle pourtant à mettre en lumière les ponts qui relient ces deux univers et qui semblent concourir au même dessein : transmettre un savoir-faire artisanal.

Plus de 300 pièces exposées

Sous le commissariat de Marie-Charlotte Calafat, responsable du département des collections du Mucem et Aurélie Samuel, conservatrice indépendante et directrice des collections du musée Yves-Saint Laurent à Paris, “Fashion Folklore” rassemble près de 300 pièces issues des fonds du Mucem et de prêts de musées français et étrangers. Parmi celles-ci, on compte des pièces du Palais Galliera, du Musée des Arts décoratifs de Paris, du Musée de la Mode de Marseille, ou encore du Musée municipal de Bucarest. C’est en explorant la collection de textiles du Mucem, qui est constituée de milliers de costumes traditionnels d’Europe et de Méditerranée, que les deux commissaires ont eu l’idée de cette exposition. “Il était temps de penser une exposition d’envergure pour faire connaître cette collection au public du Mucem”, explique Marie-Charlotte Calafat. “Dans le cadre d’une exposition intitulée “Folklore” conduite en partenariat avec le Centre Pompidou de Metz en 2020, nous avions exploré les croisements entre artistes et folklores, entre arts populaires et art moderne et contemporain. Cette exposition propose de continuer ce dialogue autour de la création textile, en mettant en regard les costumes traditionnels et la haute couture, afin de rendre visible les croisements, les inspirations, la circulation de modèles et d’idées, entre ces deux univers.” Dans une scénographie impeccable réalisée par l’agence Nathalie Crinière, les costumes folkloriques côtoient les pièces de créateurs·rices comme Cristobal Balenciaga, Jeanne Lanvin, Riccardo Tisci, Elsa Schiaparelli, Dries Van Noten… aux côtés d’iconographies qui les mettent en contexte.

Identité, imaginaire et création

“Fashion Folklore” se déroule en trois actes. La première partie se concentre sur la question du vêtement comme affirmation de l’identité, en lien avec son lieu et sa culture d’origine. On peut notamment y voir une pièce de la créatrice ukrainienne Lilia Litovska, qui revisite la chemise vyshyvanka traditionnelle, emblème de l’identité ukrainienne. Cette première section met ainsi en lumière la manière dont certains·es créateurs·rices, comme en Ukraine ou en Estonie, s’emparent aujourd’hui d’éléments de leur patrimoine textile pour affirmer la spécificité de leur identité nationale. On trouve également dans cette première partie des costumes traditionnels russes, espagnols, albanais et français, notamment provençaux et alsaciens, avec la fameuse coiffe à nœud, récemment réinterprétée par Victor Weinsanto, jeune designer originaire du Bas-Rhin. C’est aussi l’occasion de redécouvrir des sublimes créations de Cristobal Balenciaga datant de 1957, lorsque le créateur, exilé à Paris, soignait son mal du pays en interprétant des vêtements traditionnels espagnols. La deuxième partie de l’exposition est consacrée à la question du vêtement comme signe social et symboliquement lié à des rites de passage. Dans les sociétés traditionnelles, le vêtement féminin peut indiquer si celle qui le porte est une mariée, une épouse, une mère ou…bonne à marier. C’est le cas des catherinettes – ces célibataires de vingt-cinq ans ou plus qu’on affichait en jaune et vert le jour de la Sainte-Catherine. “Fashion Folklore” donne à voir des chapeaux de catherinettes flamboyants signés Balmain, Schiaparelli et Chloé.

Transmissions et inspirations : des mondes imaginaires

Au milieu des centaines de pièces de designers européens·nes ornées de motifs et de broderies inspirées de multiples cultures, il est difficile de ne pas voir poindre le spectre de l’appropriation culturelle. C’est le sujet qu’aborde naturellement la troisième section de l’exposition. Valentino, Dior, Gucci, Dolce & Gabbana, nombreuses sont les marques de mode à avoir essuyé des tollés ces dernières années, fautes de ne pas bien saisir les enjeux de l’appropriation culturelle. Où se situe la limite entre inspiration et pillage ? Les broderies, motifs et autres techniques propres à une culture et à une communauté doivent-ils être protégés, labellisés et soumis à un droit d’auteur ? Comment perpétuer la transmission et la patrimonialisation des savoir-faire sans les dénaturer lorsqu’ils sont sortis de leur contexte d’origine ? “Fashion Folklore” souligne la légitimité de ces questions, et tente d’y apporter des éléments de réponses, en mettant, par exemple, l’accent sur de l’existence de collections de designers réalisées en réelle collaboration avec les artisans·nes de certaines communautés.

Fashion Folklore Week d’inauguration
Enfin, pour lancer cette expo pas comme les autres, le Mucem a vu les choses en grand avec une « Fashion Folklore Week », du 11 au 16 juillet. Le musée organise durant cette semaine de nombreuses activités pour jouer et rêver avec l’univers de la mode : une soirée de cinéma à la belle étoile en hommage à Yves Saint Laurent, des ateliers de création tous publics, des performances artistiques, et, pour finir en beauté : un bal de voguing animé par Vinii Revlon.

“ Fashion Folklore, Costumes populaires et Haute Couture “, du 12 juillet au 6 novembre au Mucem, 1 Esp. J4, 13002 Marseille, ouvert du mercredi au lundi de 10h à 19h.