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PANTALON EN DRILL DE COTON ET CEINTURE EN CUIR À BOUCLE EN MÉTAL HERMÈS,
CHAÎNE PERSONNELLE.

Révélé par les plus grands, dispersé aux quatre vents, étranger à toute forme de catégorisation, Finnegan Oldfield persiste à s’affirmer comme l’un des acteurs les plus insaisissables de sa génération.

Voilà dix ans que le visage de Finnegan Oldfield squatte les écrans du cinéma français, avec une volonté manifeste de n’appartenir à aucun espace établi, de bouger le plus possible d’une strate à l’autre, de ne pas se laisser enfermer dans une idée de lui-même ou de son jeu. Entré dès l’enfance dans un métier pour lequel il quitte l’école à 14 ans, c’est peu avant sa vingt-cinquième année que les cinéastes les plus respectés, comme Bertrand Bonello (“Nocturama”) ou Clément Cogitore (“Ni le ciel ni la terre”), jettent simultanément leur dévolu sur lui et le propulsent dans la sphère des espoirs du cinéma d’auteur. Mais dans le sillage de cette révélation éclatante, ce Franco-­Britannique n’a eu de cesse de vouloir s’en défaire, continuant perpétuellement de se chercher, dans la comédie, le cinéma de genre, ou les deux à la fois (“Coupez !”). 2024 est pour lui une année dense, mais toujours par la soif de paris et d’explorations plutôt que de conquêtes carriéristes, avec trois premiers films misant sur de jeunes signatures. Mixte a arrêté quelques minutes la course de ce reptile au regard de glace mais au franc-parler rare, pour un bilan d’étape.

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MIXTE. Tu as commencé très jeune. Qu’est-ce qui t’a conduit à ce métier ?
FINNEGAN OLDFIELD.
Le hasard. Un jour, j’ai accompagné ma sœur à un conservatoire de danse, à côté de Ménilmontant, et il y avait une affichette pour un casting sauvage. Ils cherchaient des acteurs entre 10 et 13 ans. J’ai essayé, ça m’a plu. Tout m’a plu. Le casting, le tournage. J’aimais depuis toujours amuser la galerie, clairement, me donner en spectacle, danser, faire rire… Et tout à coup, ça m’en a un peu plus donné le droit. J’ai d’abord eu l’impression d’être en vacances. Quand tu es gamin sur un plateau, les gens bossent autour de toi mais toi, tu n’as pas l’impression de bosser, tu joues. Quand on te met un HF, tu as l’impression d’être James Bond.

M. On te découvre en 2015 dans Nocturama, un rôle marquant de jeune terroriste. Connaissais-tu Bertrand ­Bonello avant de tourner pour lui ?
F. O.
Je le connaissais de loin. C’était une époque où ça marchait très bien pour moi, j’avais enchaîné Ni le ciel ni la terre, Gang Bang, Les Cowboys qui sont sortis en même temps, certains à Cannes au même moment. Je faisais un peu le cowboy, justement. Concernant Bonello, je crois que j’imaginais que le film allait être un événement colossal. Mais les attentats l’ont rendu très compliqué à sortir. On n’a fait aucune promo, ce que je comprends très bien, mais en toute honnêteté, cela m’a légèrement frustré à l’époque.

M. À peu près à la même époque, tu joues aussi dans une adaptation d’En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis, qui finalement désavouera le film, renommé Marvin ou la belle éducation. Comment as-tu vécu cette expérience ? Espérais-tu que le film et sa sortie s’associent au livre sans distance ?
F. O.
Cette affaire s’est jouée un peu loin de moi. J’ai voulu rencontrer Édouard Louis, mais la production ne voulait pas, et lui ne voulait pas non plus. Depuis, je ne l’ai jamais rencontré. Il y a beaucoup de choses qui sont dans le livre et pas dans le film, ce que je trouve dommage. Il y a aussi de très belles choses dans le film qui ne viennent pas du livre. Anne Fontaine a tout changé, elle s’est approprié cette histoire.

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M. Cela fait beaucoup d’obstacles un peu rudes, de rendez-vous manqués dans ton début de carrière.
F. O.
Ces films n’ont pas été des succès, ils n’ont pas cassé la baraque. Quand tu démarres, bien sûr, tu te focalises un peu là-dessus, parce que tu sais que c’est
ce qui va jouer pour que des portes s’ouvrent. Mais ce sont des films qui n’ont pas disparu, qui sont encore vus.

M. Tu as été très plébiscité, jeune, par le cinéma d’auteur. Est-ce que tu l’as découvert en y travaillant, ou étais-tu déjà très cinéphile avant ?
F. O.
C’est un mélange des deux. Ce qui est sûr, c’est que je l’ai très vite perçu comme une distinction à l’échelle du travail. Dans un film d’auteur, à la fin d’une prise, on reste sur toi pendant parfois vingt, trente, quarante secondes, et on ne sait jamais trop pourquoi. On a envie de dire “Bon, c’est bon, on passe à autre chose ?”. Et si on fait ça, le réalisateur sort de ses gonds : “Non mais t’es con, c’était génial !” Dans un film de genre, rien de tout ça : le texte est dit, on a la prise, bim, bam, on passe à la suite.

M. Est-ce qu’à ce moment où on t’expose, tu commences à identifier ce qui pourrait devenir ton “profil” de rôles ? Ce que tu pourrais explorer, mais aussi qui pourrait t’enfermer ?
F. O.
J’ai très rapidement voulu le fuir, justement. J’ai tout de suite vu le truc : des mecs un peu taiseux, un peu nerveux… Et j’ai refusé de me bloquer là-dessus. Donc j’ai cherché à faire de la comédie. J’ai tourné dans un court-métrage, Trucs de gosses, qui était une sorte de comédie romantique pour la Fémis, et ça m’a fait beaucoup de bien. Je ne sais pas si je suis forcément tombé sur les meilleurs projets dans cette voie-là, mais je ne me voyais vraiment pas jouer des rebelles. Ma carrière aurait été différente si j’avais suivi tête baissée cette veine un peu sombre, presque mortifère. Mais à l’arrivée, j’ai par exemple fait Coupez !, dont je suis très heureux.

M. Tu es aussi un acteur “mat”, assez illisible, et ces films qui ont participé à ta révélation sont eux-mêmes des films très opaques dans leurs intentions, qui ont l’air de couver un secret qu’ils refusent de délivrer. Est-ce que c’est une dimension que tu cultives ?
F. O.
Carrément, oui. Sur Ni le ciel ni la terre, ma participation n’était pas indispensable, c’est pratiquement de la silhouette. Mais je suis là du début à la fin, et j’en suis extrêmement heureux car j’ai senti un film totalement captivant. On m’a beaucoup dit, à cette époque, que ce qui était intéressant chez moi, c’était qu’on ne savait pas qui j’étais, ce que je pensais. C’était l’incertitude. Bonello, sur Nocturama, m’a très peu dirigé. À un ou deux moments, il m’a poussé, genre “allez, jette-toi à fond”. Mais quand je lui demandais des éclaircissements, il me répondait à peine, il me regardait en souriant. Il y avait une distance, très troublante. J’ai revu le film récemment, et je trouve que je ressemble à un mannequin de vitrine. Je me cherche une prestance mais je suis rigide, embarrassé. Il a vu ça, il l’a mis dans son film.

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M. Tu es à moitié anglais et pourtant on t’a assez peu vu dans cette langue, contrairement à d’autres acteurs·rice·s de ta génération totalement français, mais qui sont partis à la conquête de la fiction anglo-saxonne.
F. O.
C’est deux mondes différents. Quand ça marchait bien pour moi, on m’a fait rencontrer une directrice de casting en Angleterre. Il a été question de faire une formation assez lourde. Je ne sais pas si je suis prêt à ça. J’ai un pote qui s’est retrouvé dans une série Star Wars. Il a accompli des choses ici, mais une fois que tu passes de l’autre côté, ça n’existe plus, tu n’es personne, tu repars de zéro. Et tout ça pour finir par jouer le “French waiter” avec un petit accent sexy dans Emily in Paris. C’est difficile de mener les deux de front. César Domboy, par exemple, cartonne à l’international, pourtant en France on ne l’appelle pas forcément pour les premiers rôles.

M. Entre Coupez ! et Vermines, tu t’associes de plus en plus au renouveau du cinéma de genre en France. Est-ce que ça te tient à cœur ?
F. O.
À la base, pas vraiment. Je me suis plutôt rendu compte en cours de route que ça me plaisait beaucoup. J’ai été marqué par Grave, et aussi par un film qui s’appelle La Nuit a dévoré le monde, qui a moins fait parler de lui mais qui m’a conforté dans mon sentiment qu’il se passait quelque chose de nouveau. Ça représente un cinéma audacieux, c’est très excitant. J’ai été une année jury au festival du film fantastique de Gérardmer, j’ai adoré. Et je prépare actuellement la réalisation de mon premier court-métrage, qui sera un film de genre. Je ne peux pas encore en dire beaucoup plus…

M.  Vermines, sorti en début d’année, est un film d’horreur qui vient plutôt de YouTube en termes de forces vives. Est-ce que tu as ressenti que c’était une nouvelle clique qui apportait un vent de nouveauté ?
F. O.
Clairement, j’ai vu la différence avec un plateau d’Anne Fontaine ! Réussir sur YouTube, c’est très difficile, et je sais que ce qu’ont fait notamment ­FloBer, le scénariste, ou Jérôme Niel, avec qui je suis devenu assez ami, est exemplaire. Après, je n’y suis pas allé dans cet état d’esprit, je ne me disais pas : “Ah, les petits youtubeurs !” J’ai plutôt eu le sentiment d’être avec des passion­né·e·s qui jouaient leur vie. Niel a une immense notoriété, mais il rêve de cinéma. Quant à Vanicek, le réalisateur, pour lui c’est tout ou rien : avant de réaliser, il bossait à Disneyland… Ça, ça me touche.

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M. Que peux-tu nous dire sur Les Truites, dans lequel on te verra également cette année ?
F. O.
C’est une vraie rencontre avec une réalisatrice très insaisissable elle aussi, Lucie Prost, avec laquelle j’ai adoré travaillé, même si elle s’est obstinée à très peu me parler du rôle. Ce qui m’a plu, c’est cet élément de comédie dans le scénario sur un sujet très sombre. C’est l’histoire d’un type dont le père agriculteur s’est suicidé, et qui décide de vendre les terres à une multinationale pétrolière. Il a des problèmes d’érection, mais il fait mine que tout va bien… Il y a quelque chose d’à la fois comique et tragique, de très déstructuré.

M. La crise de la masculinité est un sujet assez en vogue dans le cinéma, et plus largement dans la société. Quel est ton point de vue sur ce sujet ?
F. O.
Il y a beaucoup de choses que j’ai mis du temps à capter mais que j’ai fini par comprendre, sur la masculinité toxique, des images et des situations avec lesquelles on a grandi. Je suis très fan de l’œuvre de Scorsese, du cinéma américain des années 80, mais c’est quand même caricaturalement centré sur le mec qui doit se taper la fille. C’est pour ça aussi que ça me fait plaisir de travailler avec une cinéaste, dont ce n’est certes pas le seul sujet mais qui a un regard là-dessus, bien sûr.

M. Justement, on va te voir aussi dans un film de mafia, qui est aussi un premier film, Brûle le sang d’Akaki Popkhadze.
F. O.
Oui, la mafia de la Côte d’Azur. Popkhadze est géorgien. Il était videur dans des boîtes la nuit, et en école de cinéma le jour. Il ne dormait pas. Lui aussi mise beaucoup, et ça me touche. Mon personnage est encore une fois très différent de ce que j’ai joué jusqu’à présent, cocaïnomane, complètement aliéné. Je suis très content d’avoir fait ça. Je ne me fixe pas comme règle de miser sur des premiers films, mais le fait est que ça m’apporte beaucoup.

M. Le thème de notre numéro est l’escapisme. Que t’évoque cette notion ?
F. O.
Quelque chose d’à la fois intérieur et extérieur. Se barrer en van dans les pôles. Mais aussi s’évader en soi-même dans sa passion ou dans son métier.

M. En quoi l’idée d’évoquer ou de se construire un ailleurs est particulièrement pertinente pour toi ces temps-ci ?
F. O.
Je crois qu’elle est fondatrice de mon rapport au cinéma. Je crois que notre responsabilité est d’offrir un ailleurs à quelqu’un qui est enfermé au huitième étage d’une tour sans ascenseur, et de lui permettre de s’échapper.

PHOTOS STEFANO GALUZZI. RÉALISATION FRANCK BENHAMOU. COIFFURE : BEN MIGNOT @ CALL MY AGENT. MAQUILLAGE : RUBY MAZUEL @ CALL MY AGENT. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : VINCENZO SASSU. DIGITECH : MANOLA CASCIANO. ASSISTANT STYLISTE : BARNABÉ WHITE.

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2024 ESCAPISM (sorti le 1er mars 2024).