Du 29 novembre 2023 au 24 avril 2024, l’exposition Sculpting The Senses au Musée des Arts Décoratifs rend hommage au travail sensible et technique de la créatrice néerlandaise de 39 ans, Iris Van Herpen. Plongée dans un monde aussi onirique que surréaliste.

Il aura fallu cinq ans à la designer et son équipe pour admirer l’aboutissement de ce projet d’envergure, une exposition des plus belles pièces – une centaine – signées Iris Van Herpen mais aussi de son travail d’atelier, de recherche et de son art de sculpter les sens et les matériaux inédits qui confèrent à ses créations des airs de chimères plus oniriques les unes que les autres. L’eau, le squelette, les champignons ou encore les vibrations, l’exposition est construite autour de sept thèmes chacun relié à un artiste contemporain. Les œuvres d’une douzaine de talents triés sur le volet accompagnent les robes iconiques de la maison, leur donnant une résonance toute particulière. Lorsqu’on passe le pas de la première salle, l’effet immersif est immédiat grâce au travail de l’artiste sonore qui accompagne Iris Van Herpen depuis des années, notamment pour la musique des défilés. Ces onomatopées minéraux un peu flottantes tintent tout le long de la visite et de l’interview faisant échos au charisme placide de la créatrice dont le phrasé sonne presque comme une séance d’ASMR. Nous abordons notamment son rapport à la nature, aux nouvelles technologies, au rêve et au féminisme, tout ce qui en somme construit l’univers d’Iris Van Herpen.

Mixte. Vos créations sont toujours très organiques, la nature est très présente dans votre travail. De quel élément tirez-vous le plus d’inspiration en ce moment ?
Iris Van Herpen. J’ai grandi dans une très belle région, un petit village des Pays-Bas, Walem, et la nature m’entoure depuis mon enfance. L’eau, la mer, mais aussi les montagnes et les éléments microscopiques m’inspirent beaucoup. La nature recèle de nombreuses beautés cachées comme les algues ou le mycélium qui poussent sur le sol et dont la structure de croissance est magnifique. Le livre Entangled Life m’a vraiment influencé, il explique le système de croissance dans la nature. Et en fin de compte, c’est elle la plus grande artiste.

Tout ce que notre cerveau peut imaginer existe déjà dans la nature d’une manière ou d’une autre, donc en la regardant très attentivement, on alimente notre imagination. C’est aussi un moyen de se reconnecter. Je pense que nous vivons à une époque où il est crucial d’interroger notre relation à la nature. L’approche durable est un élément très important de mon travail et j’espère qu’en le découvrant, les gens auront envie de se reconnecter. Il faut absolument savoir observer la nature, s’en rapprocher pour mieux la comprendre.

M. Comment avez-vous découvert et choisi les artistes et les œuvres qui accompagnent vos créations ?
I.V.H. C’est un mélange d’artistes avec qui je travaille depuis longtemps et d’autres que j’ai découvert plus récemment. Nous avons beaucoup échangé avec les curateurs. On s’est vraiment stimulés ensemble en se faisant découvrir mutuellement des artistes, ce sont de très belles conversations qui ont conduit à monter ce projet qui mêle l’art, l’architecture ou encore la science. C’était indispensable de proposer une exposition qui va plus loin que la mode et qui soit aussi reliée à la science et à la biologie.

M. En 2010, votre première création en 3D, Crystallization, voit le jour. Quelles sont les techniques qui représentent le futur pour vous ? Vers quelle technologie vous tournez-vous en ce moment ?
I.V.H. On est en train d’expérimenter l’impression 4D qui est le next step après de la 3D où l’on peut ajouter la notion de transformation dans l’équation, c’est-à-dire que l’on peut créer des structures évolutives” qui changeront de forme au fil du temps. Ça m’excite beaucoup mais les pièces ne sont pas portables pour le moment. On travaille dessus depuis deux ans et je pense que cela risque de prendre encore quelques années avant de pouvoir proposer quelque chose

M. Vous avez été l’une des premières femmes à intégrer le calendrier Haute Couture en tant que marque indépendante, comment l’avez-vous vécu ?
I.V.H. Je suis tellement fière de faire partie de la Fédération. Je trouve aussi très intéressant de pouvoir mixer l’artisanat et les nouvelles technologies car je pense que l’on peut vraiment amener la Haute Couture dans le futur mais aussi la rendre pertinente pour le présent. Ça permet de porter un nouveau regard sur la Haute Couture.

M. Et plus généralement, pourquoi y’a-t-il selon vous, un manque de femmes à des postes clés dans la mode, comme en témoignent les récentes nominations à la tête de nombreuses maisons de couture comme Gucci et Alexander McQueen ?
I.V.H. Je trouve ça dur. La mode doit faire preuve de plus de parité et d’inclusivité. J’ai l’impression que l’on régresse et je ne comprends pas pourquoi cela arrive maintenant et surtout chez les grosses marques. C’est comme si plus personne ne se souciait de l’égalité hommes-femmes, que l’on n’en avait jamais entendu parler… Il y a trop de retours en arrière, comme il y a dix, vingt ou trente ans. S’il y avait plus de parité dans la mode, il y aurait un meilleur équilibre et de nouvelles perspectives.

M. Quelles sont les pièces dont vous êtes la plus fière dans cette exposition ? Lesquelles vous ont le plus marqué et pourquoi ?
I.V.H. Il y a une pièce qui est vraiment spéciale pour moi, c’est la robe Crystallization. Parce que toute l’année précédent sa création, j’avais essentiellement travaillé des techniques artisanales traditionnelles, ce qui était super car j’ai appris beaucoup de choses mais j’avais des envies de créations que je n’arrivais pas à traduire. Par exemple, j’avais envie de travailler sur la fluidité pour exprimer l’immatérialité et j’avais l’impression que je ne pouvais pas fabriquer la robe que j’avais en tête avec un fil et une aiguille. Je me sentais limitée par mes outils à ce moment-là. Et la robe Crystallization est la première que j’ai développé en dépassant ma discipline. J’ai commencé à travailler avec des architectes et des scientifiques et ils ont compris qu’eux aussi pouvaient à leur tour dépasser leur discipline, je les ai entraînés dans mon monde. Ça a ouvert mes perspectives. Ça a vraiment été un moment clé pour moi.

M. La mode et la création sont-ils des moyens pour se rapprocher de ses rêves ? Pensez-vous avoir accompli les vôtres ?
I.V.H. Oui, je pense qu’avec tout ce que j’ai accompli j’ai influencé mes rêves comme mes rêves avaient motivé tout ce que j’ai créé. C’est un fonctionnement cyclique et non pas à sens unique. Un cercle vertueux.

Exposition « Sclupting The Senses » au Musée des Arts Décoratifs, du 29 novembre 2023 au 24 avril 2024.