M. Ressens-tu une pression en tant que jeune créateur indépendant, propriétaire de ta propre marque, dans le business ultra-concurrentiel de l’industrie de la mode ?
K. G. C’est difficile, et je ne conseillerais à personne de lancer sa marque. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Et elles sont toujours là derrière moi pour m’aider. Pas seulement sur le plan esthétique, mais sur le plan business, production, et vente aussi. Je suis chanceux également d’être entouré de gens qui me portent, que ce soit mes collègues, mes employés, ma famille, mes partenaires. Sans eux, Germanier n’existerait pas. Et puis, il faut dire aussi qu’il y avait une brèche et une place à prendre dans le marché quand je me suis lancé. Personne à l’époque ne faisait de robes glamour, colorées, scintillantes et éthiques. Et même encore aujourd’hui, je suis le seul à faire ça. Germanier reste une marque de niche.
M. Tu viens de mentionner tes créations voyantes, très colorées. D’où te vient cette esthétique extravagante ?
K. G. Quand j’étais à la Central Saint Martins, on m’a souvent dit que j’étais coincé ou control freak. Tous mes projets étaient en noir ou en gris ; je ne prenais pas de risques de ce côté-là. Tout a changé juste avant d’effectuer mon second stage chez Louis Vuitton. Alors que j’étais encore stagiaire chez Shanghai Tang à Hong Kong, j’ai trouvé un stock de perles colorées. Je les ai rapportées avec moi à Paris avec l’idée d’en faire quelque chose. Je me suis dit qu’à ce stade j’étais encore autorisé à expérimenter et à faire des erreurs. Du coup, j’ai développé une nouvelle technique et commencé à créer quelques jupes avec ces perles collées dans du silicone. J’aime le challenge, et ne pas avoir de regret fait partie de ma philosophie. C’est en travaillant spontanément ces perles que j’ai découvert ma capacité à mixer les couleurs. C’est aujourd’hui l’un des codes de la maison. Tous ces coloris, ces strass, ces sequins, ces cristaux… Je pense que ça a aussi à voir avec mon amour pour le manga Sailor Moon et l’univers de la K-Pop, par exemple. Ça peut être perçu comme tape à l’œil, mais moi j’aime bien dire que c’est du glamour sans concession. Un glamour clinquant totalement assumé.
M. Et le côté durable ?
K. G. C’est une forme de contrainte avec laquelle j’ai appris à créer depuis le début. Quand je suis arrivé à Londres, le coût de la vie et l’école étaient très chers. Mes parents m’ont demandé de me financer moi-même. À ce moment-là, je me souviens avoir été énervé et m’être senti frustré car je ne savais pas comment j’allais faire. Je suis donc parti d’un budget zéro. C’est comme ça que j’ai commencé à utiliser mes draps pour créer des prototypes ; puis je suis allé dans les boutiques vintage et les stocks de tissus pour trouver des matières premières. Et c’est ainsi que je fonctionne désormais. Je suis beaucoup plus créatif dans la contrainte. Quand je démarre une collection, je ne sais jamais à quoi elle va ressembler. Elle se crée au fur et à mesure, en fonction des déchets textiles que je trouve.
M. Quel est ton processus créatif ? Combien de pièces produis-tu par collection ?
K. G. C’est simple, en récupérant mes déchets textiles, je sais exactement le nombre de pièces que je vais pouvoir produire : dix, quinze, vingt, trente au maximum. Par exemple, lorsque Matches Fashion a acheté ma collection, ils voulaient l’une des pièces en vingt-cinq exemplaires. Je leur ai dit que ça n’était pas possible car avec ce que j’avais comme matière, je ne pouvais en faire que douze. Notre production se limite à nos ressources. Je n’achèterais jamais en plus pour produire davantage. Et ça, c’est un principe que l’acheteur doit comprendre. Je pense qu’on peut refuser tant qu’on explique pourquoi. C’est une nouvelle façon plus raisonnable de produire et d’acheter. C’est ça, la beauté de Germanier : on trouve et on crée dans la contrainte, dans les limites. Honnêtement, si on me demandait de produire 250 jupes, je ne crois pas que je pourrais dormir tranquille.