Rentrée littéraire 2020, La Petite Dernière, premier roman de Fatima Daas paru aux éditions Notabilia, rencontre un fort succès médiatique. La thématique qu’il aborde questionne, sur le fond, la société française et ses discriminations. L’écrivaine de 26 ans raconte, entre autres thématiques puissantes, une histoire qu’elle connaît bien : celle de la construction identitaire d’une jeune musulmane lesbienne. Entrée en écriture à l’adolescence, à la suite du décès d’une petite cousine, pour comprendre ce qu’elle ne comprenait pas dans la vraie vie, Fatima Daas n’arrêtera plus d’écrire. Des ateliers et des premiers textes de ses années de lycée au master de création littéraire, l’écriture l’a accompagnée tout au long de sa (jeune) vie, sans que jamais elle ne doute de son importance. Forte, fière et en phase avec ses paradoxes, Fatima Daas incarne une génération d’artistes au plus près de son identité et de ses valeurs.
MIXTE. Tu commences à écrire à l’adolescence, pour pallier un manque, une douleur. En 2020, tu publies La Petite Dernière, qui traite d’une autre réalité que tu connais. Comment as-tu construit ce roman ?
Fatima Daas. J’étais dans un cours du Master de Création Littéraire, et je travaillais avec un groupe de ma promo sur l’écriture d’une contre-fiction liée à l’Islam. À ce moment-là, j’ai écrit un texte sur mon rapport personnel à la religion. Et tout de suite, j’y ai créé le personnage de Fatima, une sorte de double fictionnel, qui se retrouve confrontée à cette opposition entre homosexualité et Islam. La Petite Dernière est donc né de ce conflit-là. J’avais vraiment envie d’en faire un roman éclaté : c’est-à-dire de pouvoir parler de points de contradiction, de la notion du choix, de la norme, d’exclusion, mais aussi du sentiment qui fait qu’on ne se sent jamais vraiment à sa place. Pour moi, ça se manifestait évidemment de différentes façons : Française d’origine algérienne, petite dernière d’une fratrie, musulmane, lesbienne… Mais c’était important pour moi d’aller plus loin que l’Islam et l’homosexualité. J’ai l’impression que les gens s’en rendent moins compte, mais j’ai aussi écrit sur l’amour, l’amitié, l’amour, les relations…
M. Il y a une forte présence de l’arabe dans ton texte, quel est le rapport que tu entretiens à ta langue maternelle ?
F. D. C’est une relation à la fois de conflit et d’amour. Moi j’ai toujours davantage parlé le français, l’arabe étant la langue de mes parents, la langue avec laquelle on s’adressait à moi. Quand on naît en France, qu’on est la petite dernière et qu’on parle l’arabe de manière un peu tordue et maladroite, avec un mauvais accent, forcément on développe un léger complexe. Mais c’est une langue que j’aime énormément. Aujourd’hui, j’ai envie de l’apprendre, de savoir la lire, l’écrire.
M. L’écriture du roman a aussi été nourrie de ta rencontre avec d’autres femmes lesbiennes musulmanes, ou de culture musulmane, et pour certaines issues de l’immigration. Qu’as-tu appris de ces rencontres ?
F. D. Qu’on n’a pas à choisir entre être musulmane et lesbienne, et qu’il est possible de concilier les deux de multiples façons. Ce qui était important, c’était de dire aussi qu’on n’a pas à renoncer à sa religion. Si on arrive intimement à la vivre avec son homosexualité, alors personne n’a à nous dire ce que l’on peut être ou ne pas être.
M. Il y a peu de romans en France qui parlent d’homosexualité et de foi (encore moins musulmane), contrairement aux États-Unis avec Living Out Islam: Voices of Gay, Lesbian, and Transgender Muslims, un recueil de témoignages de personnes LGBT et musulmanes, ou If You Could Be Mine, le roman d’amour lesbien en Iran de Sara Farizan. Ça doit être difficile de se construire sans repères ?
F. D. C’est vrai qu’au niveau de la représentation, on n’y est pas ! Je dois reconnaître que je me suis dit pendant très longtemps qu’être une femme lesbienne et musulmane, ça ne pouvait pas exister. J’ai vraiment grandi seule, avec zéro représentation et, du coup, zéro connaissance sur le sujet. C’est extrêmement difficile de ne rencontrer personne qui nous ressemble. On finit par se dire qu’on est la seule et qu’il faut changer. Grandir sans aucun exemple auquel se rattacher ou s’identifier nourrit l’incompréhension et l’ignorance, mais aussi une grande souffrance. C’est un sentiment qui a été très prégnant dans mon parcours et c’est aussi pour ça, je pense, que j’ai publié ce roman. L’idée était clairement de changer ce paradigme. Quand le roman est sorti, j’ai reçu plein de messages de lectrices qui me remerciaient d’avoir écrit des choses qu’elles n’avaient jamais lues ailleurs. C’est là que je me suis dit que quelque chose de fondamental était en train de se passer. J’ai compris que ce sentiment d’urgence qui m’a poussé à écrire était également ressenti par une multitude d’autres personnes. Ça m’a fait repenser à moi adolescente, entre 13 et 15 ans, une période où je n’avais aucun élément sur lequel m’appuyer. Rien dans ma vie ni en littérature ne faisait que je me sentais représentée. Il n’y avait pas le moindre miroir pour m’aider à savoir qui j’étais.