Soa de Muse porte une combinaison noire Riz Poli
une robe et des guêtres Antidote Studio,
des santiags Untitlab,
un collier et boucles d’oreilles Laruicci.
Stylisme : Liam Derouiche

Désormais portée par une génération d’artistes pluridisciplinaires et engagé·e·s, la scène cabaret parisienne opère un véritable renouveau, tout en restant fidèle à sa mission : cultiver une ode à la joie transgressive.

Qui aurait cru que le titre si mélancolique “Ne me quitte pas” de Jacques Brel deviendrait un numéro de cabaret hilarant ? Pour la fin de l’année 2022, l’historique Madame Arthur proposait de revisiter des tubes du patrimoine francophone afin de tenter de les rendre compréhensibles pour les touristes de passage dans la capitale. Le résultat était inattendu, autant pour les yeux que pour les oreilles des vacanciers comme des locaux. Les créatures Bili L’arme à l’œil, Maud’Amour, La Biche et Charly Voodoo ont ainsi détourné Serge Gainsbourg ou encore Dalida en hymnes joyeusement queer. En réalité, les cabarets affichent une effervescence insolente au sortir de la pandémie qui a pourtant provoqué la fermeture de centaines de clubs à travers la France (ils étaient 4 000 en 1980, 1 500 en 2020, et à peine 1 200 en 2021). Si les confinements et couvre-feu à répétition ont challengé notre santé mentale, ils nous ont aussi amenés à repenser nos manières de festoyer et surtout de faire communauté, comme l’illustre justement la popularité renouvelée des cabarets parisiens qui, dans un contexte culturel, social et économique encore bancal tiennent le cap et répondent toujours plus à notre désir d’échappatoire. À l’image de la réouverture du Lido 2 Paris (ex-Lido), qui se spécialise désormais dans le théâtre musical, ou de la prochaine résidence du nouveau et très sulfureux spectacle Fantasma Circus Erotica au Théâtre des Variétés à partir du 13 avril, la nouvelle scène cabaret a de quoi nous faire vibrer.

Tuna Mess au Zèbre.

BRIAN SCOTT BAGLEY, AU ZÈBRE.

Liberté d’expression

 

Qui aurait cru que le titre si mélancolique “Ne me quitte pas” de Jacques Brel deviendrait un numéro de cabaret hilarant ? Pour la fin de l’année 2022, l’historique Madame Arthur proposait de revisiter des tubes du patrimoine francophone afin de tenter de les rendre compréhensibles pour les touristes de passage dans la capitale. Le résultat était inattendu, autant pour les yeux que pour les oreilles des vacanciers comme des locaux. Les créatures Bili L’arme à l’œil, Maud’Amour, La Biche et Charly Voodoo ont ainsi détourné Serge Gainsbourg ou encore Dalida en hymnes joyeusement queer. En réalité, les cabarets affichent une effervescence insolente au sortir de la pandémie qui a pourtant provoqué la fermeture de centaines de clubs à travers la France (ils étaient 4 000 en 1980, 1 500 en 2020, et à peine 1 200 en 2021). Si les confinements et couvre-feu à répétition ont challengé notre santé mentale, ils nous ont aussi amenés à repenser nos manières de festoyer et surtout de faire communauté, comme l’illustre justement la popularité renouvelée des cabarets parisiens qui, dans un contexte culturel, social et économique encore bancal tiennent le cap et répondent toujours plus à notre désir d’échappatoire. À l’image de la réouverture du Lido 2 Paris (ex-Lido), qui se spécialise désormais dans le théâtre musical, ou de la prochaine résidence du nouveau et très sulfureux spectacle Fantasma Circus Erotica au Théâtre des Variétés à partir du 13 avril, la nouvelle scène cabaret a de quoi nous faire vibrer.

Robe zippée imprimée Infinity Dots, Sac « Keepall 25 » en toile Monogram Reverse imprimée Painted Dots, Boucles d’oreilles « LV Edge Painted Dots » Louis Vuitton x Yayoi Kusama, Bottes en cuir Louis Vuitton.
Soa de Muse porte une combinaison noire Riz Poli, une robe et des guêtres Antidote Studio, des santiags Untitlab, un collier et boucles d’oreilles Laruicci. Stylisme : Liam Derouiche

Il a travaillé pour diverses formations, de Berlin à San Francisco, avant de lancer la sienne : “J’en avais marre de travailler avec des vendeurs de limonade qui ne bookaient des cabarets que pour le décorum. Que les gens consomment, mangent et boivent fait partie du travail, bien sûr, mais je ne voulais plus dépendre de patron·e·s qui n’avaient que ça en tête, ou une vision fantasmée du cabaret bloqué dans les années 1920-1930.” Depuis 2016, cet auteur caste chaque mois des artistes différent·e·s avec qui il écrit de nouvelles chansons, mises en musique par un orchestre de jazz, d’abord dans un squat à Bastille, puis un bistrot de l’île Saint-Louis, et maintenant au Zèbre de Belleville. Quand on lui demande si le cabaret a toujours été un safe space queer et féministe, Martin Dust répond : “Le cabaret a toujours été un espace où les personnes marginalisées peuvent être au centre. Dans l’histoire parisienne, ce sont des lieux dirigés par des femmes. Toutes les personnes en dissidence de genre peuvent s’y épanouir et porter un point de vue acéré sur la société dominante.”

Tee-shirt en coton, Bustier et Short en cuir, Bottines en cuir et toile Monogram imprimée Multicolor Dots, Sac « Twist Infinity Dots » en cuir épi grainé, Boucle d’oreille « Louisette Infinity Dots » Louis Vuitton x Yayoi Kusama.
Sur toutes les bouches

 

Le regard s’aiguise aussi du côté de La Bouche, cabaret autogéré par les artistes Soa de Muse, Grand Soir, Bili Bellegarde et Mascare, qui l’ont fondé dans la cave d’un restaurant du 18e arrondissement en octobre 2020 . Mascare, dont les performances sont à la lisière du chant, du théâtre et de la poésie spoken word, nous raconte : “Chaque soir, sortent de ma bouche des mots d’êtres disparus, je dis les mots des gouines d’avant, de celleux qui ont combattu dur pour que je puisse me tenir debout devant un public.” Parmi les cofondateurs, Grand Soir vient d’ouvrir L’Œil, avec l’aide du génial DJ Amina Oui (autre grande figure de la nuit parisienne), un nouvel espace plus club que cabaret mais toujours résolument queer, signe de l’effervescence renouvelée du genre. L’un des fondements aussi peut-être de la vitalité éternelle des cabarets : les artistes circulent librement de lieu en lieu, ce qui leur permet à la fois d’affirmer leur propre singularité et celles des espaces dont ils réinventent les dynamiques. “C’est très commun depuis longtemps de voir les artistes passer d’un lieu à un autre. Déjà parce qu’il faut manger, et parce que chaque lieu apporte quelque chose et que chaque artiste apporte quelque chose au lieu”, confirme Mascare.

CLARA BRAJTMAN, DEE HUANG ET MARTIN DUST, AU ZÈBRE.

GRAND SOIR, À LA BOUCHE.

C’est cette libre circulation des artistes qui a permis à un plus large public de découvrir Soa de Muse, artiste non-binaire et cofondateur·trice de La Bouche, qu’on peut aussi voir performer chez Madame Arthur, Cabaret de Poussière, et d’autres espaces encore, dont l’émission Drag Race France : “J’ai découvert le cabaret il y a treize ans, via un pote qui m’a proposé de participer à un show burlesque sans que je sache ce que c’était. Je rêvais d’être artiste et ça m’a ouvert une voie. Devenir cette créature chimérique qu’est Soa de Muse n’est pas un déguisement, mais plutôt une prise de conscience de ma multiplicité. D’ailleurs, quand j’ai commencé, les personnes racisées dans ce milieu pouvaient se compter sur les doigts d’une main.” Pour l’artiste martiniquais·e, le cabaret est un espace d’émancipation, une plateforme pour toutes les formes d’art dont le chant, la danse, la magie, ou encore le drag qui était une suite logique de son affirmation personnelle et professionnelle : “Maintenant, des gens me reconnaissent parce que j’ai fait Drag Race, mais je ne pourrais pas vivre que de ça. Je suis aussi danseur contemporain, par exemple, un artiste, qui fait aussi bien du drag que du cabaret.”

MISS YOU, AU ZÈBRE.

GRAND SOIR, À LA BOUCHE.

Connecting people

 

Selon Soa de Muse, la pandémie a eu le mérite de revaloriser les métiers du spectacle vivant aux yeux du grand public : “Elle a été extrêmement violente pour tout le monde, y compris pour les artistes qui ont été fortement précarisés. Depuis, on assiste à une multiplication de création de soirées burlesques, de festivals, comme si les gens en étaient assoiffés, lassés de rester chez eux à se connecter aux autres par écran interposé. Ça a renforcé la vision qu’on a des artistes. On veut aider les gens à partir en vacances d’eux-mêmes, débrancher des problèmes.” Mascare confirme combien les crises sanitaires, économiques et politiques qui s’accumulent peuvent accroître le désir d’échappatoires comme le cabaret : “Ces lieux ont toujours été plus prospères aux moments de fractures. Et c’est vrai, je fais ce métier aussi pour offrir pendant 3 heures à 60 personnes un temps calme, une petite mi-temps dans le quotidien.” Plutôt que de répondre par de l’individualisme à la violence du contexte social actuel qui frôle l’absurde, certaines personnes préfèrent donc au contraire se fédérer au cabaret où l’absence de quatrième mur théâtral rend l’ensemble d’autant plus électrique, abonde Martin Dust : “On marche sur la tête en tant que société, et s’il y a bien un endroit sur cette basse terre où l’on peut exorciser ça, c’est le cabaret. Le public est sans cesse invité à réagir, dialoguer avec les artistes : ces interactions font la moitié du spectacle, à partir de laquelle les artistes improvisent beaucoup. Si on va voir trois soirs de suite le même show, il paraîtra complètement différent à chaque fois, car l’audience sera composée de personnes différentes.”

LALA RAMI, AU ZÈBRE.
SOA DE MUSE, À LA BOUCHE.
MARTIN DUST, AU ZÈBRE.
CLARA BRAJTMAN, AU ZÈBRE.
MARTIN DUST, AU ZÈBRE.
LALA RAMI, AU ZÈBRE.
MARTIN DUST, AU ZÈBRE.
TUNA MESS, AU ZÈBRE.
MARTIN DUST, AU ZÈBRE.
MASCARE, À LA BOUCHE.
BILI BELLEGARDE, À LA BOUCHE.
MASCARE, À LA BOUCHE.
MASCARE, À LA BOUCHE.

Mais le maître de cérémonie du Cabaret de Poussière tient tout de même à nuancer l’idéalisation du spectacle vivant post-Covid : “Dans l’ensemble, dans tous les secteurs du spectacle vivant, le public n’est pas revenu au niveau d’avant la pandémie. C’est typiquement français que de se gargariser de l’idée qu’on se serait précipité en masse dans les lieux de fêtes et de culture au déconfinement.” C’est aussi la précarité qui explique pourquoi les artistes circulent autant de scène en scène, où ils sont bien souvent en charge de leur propre maquillage, coiffure, texte, etc. Comme le soulignait récemment Les Échos, les cabarets ne bénéficient pas du crédit d’impôt spectacle, contrairement au théâtre, à la musique, à l’humour ou au cirque. Ils ne sont pas éligibles au pass Culture non plus, ce qui en dit long sur la perception qu’en a le gouvernement français, quand bien même des institutions comme le Moulin Rouge, le Lido, le Crazy Horse, Le Chat Noir, ou encore les Folies Bergères comptent dans l’image du pays à l’international. Si même les grosses machines peinent à maintenir un équilibre financier, les plus petites structures rusent pour s’y retrouver, notamment par l’autogestion : “Depuis une bonne dizaine d’années, on constate une reprise de pouvoir de la part des artistes sur la création de cabaret. On se rend compte que c’est nous qui avons les moyens de production. On est la matière première et les premiers ouvriers”, résume Martin Dust. Clara Brajtman constate en effet une multiplication de petites scènes extrêmement créatives : “C’est réjouissant de voir des collectifs comme La Flaque ou encore La SCEP (Société communautaire des Effeuilleurs parisiens). L’effervescence est évidente ! Plus les cabarets foisonnent, plus ça peut faire vivre d’artistes !”

Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).