Veste en cuir et fausse fourrure, Robe en tulle, Sandales en cuir
et Boucles d’oreilles en or Saint Laurent par Anthony Vaccarello.
Sous-vêtement en laine Rick Owens

Dans une société toujours trop patriarcale et validiste, la discrimination par l’âge n’épargne personne, en particulier les femmes. Mais finis les artifices pour paraître plus jeune. La vraie audace, c’est d’assumer de vieillir, personnellement, et surtout collectivement.

En janvier aux Golden Globes 2023, la superbe Jennifer Coolidge recevait le prix de la “best supporting actress” pour son rôle de Tanya McQuoid dans la saison 2 de White Lotus. Mais plutôt que de faire un discours de remerciement classique, elle en a profité pour rappeler la dure réalité de sa condition d’actrice dans une industrie obsédée par la jeunesse : “J’avais des rêves et beaucoup d’attentes quand j’étais jeune, mais tout ça a été un peu érodé par la vie (…) J’ai eu des idées formidables, et à mesure que je vieillissais, je me suis rendu compte qu’elles ne se concrétiseraient pas”, déclarait-elle dans un speech émouvant et lucide. Même chose du côté de Michelle Yeoh qui déplorait, lors de la même cérémonie : “Vous toutes, les femmes, sachez que plus vous prenez de l’âge, plus les opportunités se font rares.” Les deux comédiennes, âgées de plus de 60 ans, se voyaient donc récompensées pour leurs rôles, faisant ainsi un gros bras d’honneur à une industrie qui méprise ses actrices passées un certain âge.

Robe en satin technique Loewe

Une audace devenue tendance de fond. Ces derniers mois, le monde du divertissement a connu plusieurs épiphénomènes de ce genre : Angela Bassett récompensée aux Oscars, la légende du lifestyle Martha Stewart en couv’ du numéro spécial maillots de Sports Illustrated, Diane von Furstenberg en maillot de bain sur Instagram ou encore les mannequins Amber Valletta, Shalom Harlow et Talytha Pugliesi (photographiée pour cet article par Lukas Christiansen) qui continuent avec succès leur carrière de mannequins alors qu’elles ont passé 40 ans (un âge équivalent normalement à la retraite pour les models dans le milieu de la mode). Leur point commun à toutes ? Avoir osé. Et ce, passé un certain âge qui, il n’y a encore pas si longtemps, était injustement synonyme de date de péremption. Du coup, on pourrait croire que le changement est bel et bien amorcé et que les femmes vieillissantes ont enfin le droit d’exister médiatiquement. Pourtant, au même moment, Madonna, après avoir été critiquée pour son apparence lors des Grammys 2023, s’est fendue d’un post Instagram pour rappeler et dénoncer les discriminations que subissent toujours les femmes de plus de 45 ans. Le mot était lâché : “âgisme”. Et parce que nommer, c’est déjà conquérir, il est temps d’analyser de plus près ce problème systémique, et les meilleurs moyens pour le contrer, toujours avec audace.

L’âge et l’usage

 

Oui, l’âge est bien un critère de discrimination. Et pour le comprendre, il convient de se pencher sur le contexte social des États-Unis des années 1960. En 1964, le Civil Rights Act est prononcé pour mettre fin à toute forme de ségrégation et discrimination, notamment raciale, religieuse ou liée au genre. Considérant que la vieillesse charrie elle aussi son lot de préjugés négatifs, le psychiatre et gérontologue américain Robert N. Butler théorise l’âgisme en 1969 avant de publier en 1975 son essai Why Survive? Being Old in America, couronné d’un Pulitzer. Si, initialement, le concept a été pensé par rapport à la vieillesse, aujourd’hui sa définition peut toucher tous les âges. Selon l’OMS, l’âgisme regroupe “les stéréotypes, les préjugés et la discrimination dont on est soi-même victime ou dont autrui est victime en raison de l’âge”. Par exemple, l’activiste écologique Greta Thunberg ou le syndicaliste lycéen Manès Nadel sont régulièrement critiqués pour leur jeune âge par leurs détracteurs à court d’arguments. En Europe, toujours selon l’OMS, une personne sur trois aurait déjà été victime d’âgisme. Plus préoccupant, l’âgisme auto-induit – le fait d’avoir soi-même des préjugés sur nos propres capacités – est un vrai problème politique, mais aussi de santé publique, notamment, car il précipiterait un déclin cognitif. Mais qu’est-ce que l’âge ? Étudiante chercheuse en sociologie, Rachel Andrieu travaille sur la mise en scène du corps féminin vieillissant sur Instagram.

Robe en laine Louis Vuitton. Collier asymétrique en or blanc serti de diamants et saphirs taille bouffée, d’un saphir birman et pierres de lune Chaumet. Lunettes de soleil en acétate Celine par Hedi Slimane
Robe en laine Louis Vuitton. Collier asymétrique en or blanc serti de diamants et saphirs taille bouffée, d’un saphir birman et pierres de lune Chaumet. Lunettes de soleil en acétate Celine par Hedi Slimane

Elle explique que “la notion d’âge renvoie d’abord à l’âge civil d’une personne, à savoir le nombre d’années qui nous séparent de notre naissance, avec des données mesurables et objectives, mais aussi à l’âge social, plutôt pensé comme une catégorie, avec des étapes à franchir à un moment donné. C’est socialement construit. C’est dans cette notion d’âge social que se révèlent les normes des rapports de genres.” Autant dire qu’en la matière, les inégalités sont criantes : dans The Double Standard of Aging, un article publié en 1972, l’essayiste Susan Sontag pose la question suivante : “Pourquoi les femmes mentent-elles sur leur âge ?” La réponse n’est que trop prévisible : aux hommes, le droit de se “bonifier”, aux femmes, la double peine de l’âgisme et du sexisme. Elles citent “l’humiliation” de vieillir à cause du “dégoût social” qu’elles suscitent. Une violence lexicale, mais surtout internalisée. Car alors que deux modèles masculins existent (le jeune homme et l’homme mûr), les femmes sont uniquement considérées comme des “jeunes femmes”, dont la valeur sociale est intrinsèquement liée à l’aspect physique. Un capital par définition périssable. “Il s’est aussi construit une nouvelle norme du ‘bien vieillir’, qui revalorise la vieillesse, mais si on est actif et en bonne santé, ajoute Rachel Andrieu. Cela offre une nouvelle image du vieillissement qui est plus positive, mais renforce les stigmatisations d’une autre forme de vieillesse en mauvaise santé qui peut aussi exister. C’est pour ça qu’il faut penser les vieillesses au pluriel, car cette image du bien vieillir et de s’investir pour bien vieillir fait peser aussi la faute et la responsabilité sur l’individu vieillissant.”

Top en coton, Bretelles en tulle, Short en tricot à paillettes noir kei ninomiya. Bague « Les Multi-Picots » pyramides en or blanc pavé de diamants et onyx collection Clash [Un]limited Cartier

Robe en satin Prada. Lunettes de soleil en acétate Celine par Hedi Slimane. Gants Personnels

zone grise

 

En France, quinze millions de citoyens ont 60 ans et plus (#boomance). Partant de ce constat, la productrice et réalisatrice Laure Adler a récemment sorti le documentaire-manifeste La Révolte des vieux (dans Infrarouge, diffusé sur France 2 le 15 février dernier) pour en finir avec “le mépris, l’invisibilisation et la détestation” des vieux. Dans sa note d’intention, elle explique : “Le déclencheur a été la COVID, le moment où tout le monde voulait enfermer les vieux qui devenaient des corps fragiles et encombrants pour la bonne marche du reste de la société”. Mais pourquoi cette “mort” sociale ? Le militant Francis Carrier, fondateur de l’association Grey Pride qui travaille à l’inclusion des gays de plus de 50 ans, et auteur de Vieillir comme je suis, l’invisibilité des vieux LGBTQI+ (éd. Rue de Seine), détaille : “C’est un sujet qui n’est pas sexy, pas prioritaire, qui fait plus peur qu’envie. Parce que la vieillesse est négativement connotée : ça pue, c’est un poids, on valorise tout ce qui est nouveau, ce qui est vieux est inintéressant. Parler des vieux, il y a déjà un risque de contamination, on risque de penser que nous-même on est vieux. On a beau dire ‘je ne suis pas vieux’, ce sont les autres qui vous diront que vous l’êtes !” On ne peut que lui donner raison : l’âge est le seul biais de discrimination susceptible de toucher tout le monde, sauf les hommes cis hétéros blancs, qui eux, occupent l’espace public, comme Frédéric Beigbeder, omniprésent sur tous les plateaux pour dire à quel point “les hommes blancs de plus de cinquante ans” sont devenus les boucs émissaires d’une société qui les taxe de “vieux cons”. Ouin, ouin. Pour les autres, c’est le début d’une évaporation médiatique, notamment dans la pop culture.

Top en dentelle orné de camélias, Pantacourt et Collant en dentelle, Bottes en cuir Chanel. Chapeau Personnel

Manteau cape, Robe en laine et Bottes en cuir suédé Hermès. Collier en rubis et diamants Chaumet

Consciente des enjeux de représentations, l’association AAFA a créé le Tunnel de la comédienne de 50 ans pour tenir les comptes : sur l’ensemble des films français sortis en 2021, seuls 7 % des rôles sont attribués à des actrices de plus de 50 ans. Lors du Festival de Cannes, elle propose même le Test du Tunnel des 50, inspiré du test de Bechdel, pour savoir si dans le film, il y a au moins une femme de plus de 50 ans qui a un nom et un prénom, au moins deux scènes parlées et une fonction sociale ou professionnelle. Une initiative salutaire et même un enjeu de société car, comme le rappelle le collectif : “qui n’est pas représenté·e n’existe pas”. Pour autant, tout le monde ne vieillit pas comme Catherine Deneuve ou Fanny Ardant. Rachel Andrieu tempère : “Certes, les comptages permettent de ne pas invisibiliser le sujet, mais on reste dans une sorte d’incorporation. L’âgisme est quand même intériorisé, le sexisme aussi. C’est comme avec le marketing anti-âge. La rhétorique s’est déplacée vers le fait de ‘retarder les signes du vieillissement’. L’idée est un peu la même, à savoir vieillir bien, vieillir belle, et c’est assez insidieux. Andie MacDowell est valorisée pour ses cheveux gris parce qu’elle a un capital de beauté, un capital social. D’autres femmes qui assument leur corps vieillissant et n’ont pas ce capital sont stigmatisées. Je pense à Corinne Masiero nue aux César : les seules remarques étaient classistes, sexistes, âgistes. Elle, on ne la valorise pas.”

Manteau en cuir effet peau de serpent Balenciaga. Lunettes de soleil en acétate Celine par Hedi Slimane
Robe cape à franges en satin Giorgio Armani. Bracelet en diamants et améthystes Cartier

 

Tous mes vieux de bonheur

 

Outre les faibles représentations de la vieillesse, il manque cruellement de figures prêtes à s’emparer du sujet. Francis Carrier détaille : “Récemment, Didier Eribon a sorti un livre sur sa mère dans lequel il fait le constat du silence des vieux, de leur absence de parole, etc. Je partage totalement ce qu’il dit, sauf que lui se situe en porte-parole, il ne parle pas de lui alors qu’il a 70 ans. Or les causes n’avancent que lorsque les gens parlent d’eux-mêmes. Est-ce que le féminisme s’est construit par les hommes ? Non. Est-ce que le mouvement LGBT s’est construit par les hétéros ? Non. Jamais. Et pourquoi dans le secteur vieillesse, on n’arrive pas à avoir des gens qui parlent en leur nom ? C’est un repoussoir.” En attendant que le sujet prenne dans l’imaginaire collectif, sur le terrain, un nouveau terreau militant s’organise. Si aux États-Unis, l’activiste Maggie Kuhn a créé le mouvement Gray Panthers pour lutter en faveur des droits des personnes âgées dès 1970, en France, outre quelques projets associatifs (La maison des Babayagas à Montreuil (93), par exemple, un habitat partagé par des femmes de plus de 60 ans), les grandes luttes sociales ne se sont pas concrètement emparées du sujet. Récemment, de plus en plus de collectifs s’intéressent au sujet de la vieillesse comme Fouffe Qui Peut, en Ariège, ou Ménopause Rebelle, à Marseille, qui se réapproprie l’espace public en taguant des messages comme “Vieilles et punk” ou “Sous les cheveux blancs, la rage”.

Top en maille, Jupe midi en satin de soie brodé, Collant en nylon et Sandales en cuir Gucci. Chapeau en plastique MM6 Maison Margiela. Bague en or blanc serti d’une opale taille poire cabochon, de saphirs bleus, jaunes et roses, de grenats oranges et verts, d’émeraudes, de tourmalines bleues et de diamants Boucheron

 

Robe chemise en soie à cravate et Bottes militaires en cuir Valentino

En mai dernier, dans le Sud Finistère, le collectif Very Bad Mother a organisé le festival Kozh! (qui signifie “vieux/vieille” en breton) pour questionner et déconstruire les préjugés et lutter contre l’âgisme avec des tables rondes comme “Âgisme et capitalisme impérialiste postcolonial” ou “Vieillir, c’est grandir ou le refus d’être achevée”. C’est dans le but de se réapproprier la vieillesse que Francis Carrier, via son association Grey Pride, fait un travail de sensibilisation dans les Ehpad sur le sujet des personnes LGBTQI+ vieillissantes. “J’étais aux Petits Frères des pauvres, raconte-t-il. J’accompagnais des gens à la fin de leur vie et, naturellement, je me suis demandé comment ça se passait pour les gays, les lesbiennes, les minorités. Quand j’ai posé cette question, on m’a regardé comme si ça n’existait pas. Est-ce qu’on n’a plus d’orientation sexuelle lorsqu’on vieillit ? Apparemment non, on redevient progressivement un objet de soin, qui n’a plus de sexualité, plus d’histoire. C’est ce qui m’a le plus choqué, c’est une forme de violence faite aux individus.” Et le militant a une nouvelle idée pour s’emparer du sujet : “En novembre, nous organisons le Cnav, le conseil national autoproclamé de la vieillesse, le salon des vieilles et des vieux. Ce sera la première fois qu’on phosphorera sur la vieillesse dans la société, la culture, les relations sexuelles ou l’habitat. Le bien vieillir, j’en n’ai rien à faire. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on va vieillir et quelles sont les possibilités. La libération des vieux, elle doit se construire par les vieux et c’est cette prise de conscience essentielle qui doit être déclenchée avec ce salon.” De quoi faire de vieux os.

MANNEQUIN : Talytha PUGLIESI @ w360Management
CASTING : Alexandre Junior CYPRIEN
COIFFURE : Anastasiia TYMOSHCHUK @ A.S.G
MAQUILLAGE : Camille SIGURET @ Wise & Talented
SET DESIGN : Prudence PALLE
ASSISTANT PHOTOGRAPHE : Lucas GRISINELLI
DIGITECH : Florin ELBEL
ASSISTANTE STYLISTE : Ece ACAR

Cet article est originellement paru dans notre numéro fall-winter 2023 AUDACITY (sorti le 26 septembre 2023).