Corset en tulle, WEINSANTO. Jupe en satin et escarpins en fausse fourrure, MM6 Maison Margiela.

À travers une joie de vivre débordante, l’artiste queer pluridisciplinaire Mariana Benenge délivre un message d’acceptation de soi et d’empowerment à toute une génération.

Nous sommes en 2022 et si vous n’avez pas encore trouvé le temps de vous intéresser à Mariana Benenge ces derniers mois, c’est sans doute parce que vous avez perdu trop de temps et d’énergie à faire la queue pour des tests Covid-19 PCR à répétition. Rassurez-vous, pendant que vous étiez en train d’angoisser sur vos résultats et sur le futur incertain de ce monde qui part en vrille, Mariana était là pour remettre un peu de gaieté et de bon sens dans ce bordel ambiant. Que ce soit en tant que danseuse sur la scène des soirées LA CREOLE, militante au sein du collectif anti-harcèlement Trop c’est trop (qu’elle a cofondé), mannequin dans la dernière campagne body positive de Darjeeling, créatrice de mode avec sa marque Tantine de Paris, ou encore performeuse renommée de la scène ballroom parisienne, cette artiste pluridisciplinaire originaire du Congo-Kinshasa a réussi en quelques années à marquer de son empreinte si particulière la scène culturelle française. À seulement 23 ans, Mariana nous montre qu’à travers la danse et la mode, on a toutes et tous le pouvoir de s’affirmer, de se revendiquer et de faire entendre sa voix. En somme, d’affirmer qu’on est libre, non sans mal, et d’être véritablement qui on est. Et si vous n’êtes pas encore persuadé.e de tout ça, lisez les six mantras suivants qui la définissent et qui, pour certain.e.s, prendront sans doute des allures de paroles d’évangile. Preach girl !

 

1. Danser sur tous les fronts

 

“J’ai toujours dansé. C’est toute ma vie. Petite, à l’école, j’ai commencé par des cours de danses traditionnelles congolaises tout en dansant sur du Prince, du James Brown ou du Diana Ross à la maison. Arrivée en France à l’âge de 12 ans chez ma tante, j’ai découvert en premier le hip hop dans les MJC de ma ville, en Picardie. J’aimais tellement ça, que j’allais en cachette à Paris voir des performances et des compétitions. Et c’est au 104 (lieu culturel parisien du 19e arrondissement, ndlr) que j’ai découvert le krump qui, avec son énergie si particulière, m’a toujours fait beaucoup penser aux danses traditionnelles congolaises. Après mon bac, je savais que je voulais vivre de la danse, alors j’ai fait une formation très complète et très éclectique (voguing, hip hop, locking, etc.) qui m’a permis de découvrir le waacking, grâce à ma prof de l’époque, Sonia Soulshine. Je crois que c’est la première fois que j’ai ressenti une aussi forte connexion avec une danse et un type de musique… J’ai su que c’était ce qui me correspondait le mieux. Et quand j’ai découvert que l’aspect mode y était extrêmement important, ça a été comme une sorte de confirmation ultime. J’aime son mood général, son intensité, son énergie, son histoire… C’est une danse très politique et très militante, qui a été créée dans les clubs des années 1970 par la communauté queer hispanique et afro-américaine. Elle a un côté fierce et extravagant tout en prônant la confiance et la fierté. Ça reste pour moi la meilleure façon de m’exprimer.”

Veste en denim, Max Mara. Boucle d’oreilles en or blanc, Boucheron.
2. Faire part de son engagement

 

“Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours donné mon opinion et milité d’une manière ou d’une autre contre les injustices. Mais je sais qu’au début, c’était surtout une question de survie. Adolescente, je me faisais une certaine image de la France et de l’Europe. Mais quand je suis arrivée du Congo chez ma tante, dans un trou paumé en Picardie, j’ai déchanté en me prenant de plein fouet les réflexions racistes des habitants d’une région où presque tout le monde vote Le Pen. On se moquait de mes cheveux, de mon accent… C’est là que je me suis mise à prendre la parole, sur Facebook à l’époque. J’avais besoin de m’exprimer et d’extérioriser tout ça. Et je ne voulais surtout pas subir les mêmes restrictions que ma tante qui, par le passé, avait dû faire profil bas pour éviter les problèmes. C’est comme ça que j’ai commencé à me battre contre mon école et mon entourage. Puis, par sa diversité, le milieu de la danse m’a montré qu’il y avait beaucoup plus que ce côté négatif dans le paysage français. Avec les années, j’ai pu apprendre l’histoire très politique des danses comme le krump, le disco, le waacking, etc., ou des scènes artistiques comme la ballroom. Aujourd’hui, que ce soit sur l’antiracisme, le féminisme, le sexisme, l’appropriation culturelle ou le body positive, j’essaie autant que possible et à ma manière d’éduquer les gens et mes followers. Et toujours dans la joie, le rire et la bonne humeur. Je crois d’ailleurs qu’à terme, j’aimerais bien créer un one-woman show qui mêle danse, humour et engagement.”

 

3. Imposer son propre style (vestimentaire)

 

“En septembre 2020, j’ai présenté en off de la Fashion Week parisienne la première collection de Tantine de Paris. Cette marque que j’ai créée, c’est comme l’extension par le vêtement de ce que j’exprime sur scène quand je danse. J’ai toujours été un peu la meuf reloue aux looks excentriques qui voulait mettre de la couleur partout et qui critiquait les silhouettes trop sombres des gens. On me disait : “T’es trop une tantine !” C’est de là qu’est né le nom de ma marque. Je voulais vraiment créer ma mode à moi, qui mêle à la fois mon amour de la couleur, de l’extravagance et de la culture de la sape kinoise et congolaise. Alors, j’ai commencé à faire mes propres sapes pour mes prestations lors de compétitions au sein de la scène ballroom parisienne. Tout le monde me disait : “J’adore comment tu t’habilles, c’est trop bien ce que tu portes…” Dans ma tête, il y a eu comme un déclic. Je me suis dit : “Okay, je vais créer ma propre marque”, avec l’idée d’une mode flamboyante et joyeuse qui ne se prend pas au sérieux. Et si ça plaît aux autres, tant mieux. Sinon, OSEF ! Mais ce détachement lié à la création ne sauve pas tout. Je n’ai pas fait d’école de mode et ça a été l’une des premières difficultés auxquelles j’ai dû faire face. En France, quand tu n’as pas de diplôme qui prouve tes compétences et ton expertise, on ne t’aide pas, on ne te soutient pas. J’ai été rejetée par plusieurs institutions, mais c’était mal me connaître de penser que ça m’arrêterait. Quand je crois à quelque chose, j’y vais à fond, jusqu’au bout, quitte à me planter. Le fait est que les gens ont vraiment apprécié la première collection, plus particulièrement la communauté LGBT+ qui m’entoure. J’ai une vision très claire pour Tantine de Paris. Ma deuxième collection est en cours de confection. Mais elle ne sera pas prête à temps pour la prochaine Fashion Week. Je ne veux simplement pas me presser.”

Corset en tulle, WEINSANTO. Jupe en satin et escarpins en fausse fourrure, MM6 Maison Margiela.
4. Défendre son identité d’artiste

 

“Notre société ainsi que les personnes qui ont fait le choix d’avoir un métier et des vies normé.e.s ne se rendent pas compte de l’importance de l’art. C’est justement grâce aux artistes que les gens peuvent respirer un peu après le travail… Et ce sont clairement les créatif.ve.s, toutes disciplines confondues, qui ont sauvé pas mal de gens du confinement et de l’isolement. Ça a été une période très dure pour nous, et pourtant on s’est donné du mal pour trouver des solutions en menant notamment nos cours et nos performances par visio pour continuer de divertir et d’enseigner… Alors, entendre dire que tu n’es pas essentiel.le, forcément c’est assez blessant. D’autant plus dans un pays comme la France, qui ne fait que vanter son exception culturelle. Ici, quand tu es artiste, on a encore cette fâcheuse tendance à te voir comme quelqu’un qui fait la manche… La vérité, c’est que ce sont d’abord les artistes qui dénoncent et qui créent, qui font rayonner la France à l’international. Quand je vais faire des compétitions à l’étranger, on m’appelle la danseuse française. Pas la danseuse congolaise, portugaise ou autre… Donc on participe clairement à ce rayonnement français, et j’estime qu’on nous doit le respect qu’on mérite. Hélas, la seule façon d’être pris.e au sérieux et d’être considéré.e comme légitime, c’est encore de travailler au sein d’institutions historiques telles que l’Opéra de Paris.”

 

5. Faire corps avec soi-même

 

“J’ai toujours aimé mon corps. Mais je crois qu’au début, on m’a mise par défaut dans une case body positive, car c’était assez bizarre pour les gens et pour le public de voir une femme comme moi s’assumer. Aujourd’hui, j’ai compris en quoi je pouvais être importante pour le combat des personnes qui me ressemblent. Et c’est une lutte que j’ai encore plus conscientisée au sein de la scène ballroom, qui aide beaucoup à s’aimer tel.le que l’on est et à célébrer toutes les parties de son corps. Que ce soit le waacking ou le voguing, ces danses créent des espaces où on t’accepte vraiment pour qui tu es. Peu importe que tu sois trop maigre, trop gros, trop grand, trop petit : on veut juste voir comment tu t’aimes, comment tu brilles et comment tu arrives à sublimer ce que tu as. Parce que ce que tu as, c’est juste magnifique, en fait. Ça peut paraître un peu simple dit comme ça, mais la danse m’a vraiment permis de comprendre et d’embrasser cette notion. Maintenant, je reçois beaucoup de messages de la part de jeunes filles qui me disent qu’elles s’acceptent davantage et qu’elles ont osé s’exprimer de telle ou telle manière avec leur corps.”

Manteau en jacquard de coton, Dries Van Noten. Gants en coton, MM6 Maison Margiela. Escarpins en cuir vernis, CHRISTIAN LOUBOUTIN.
6. Prôner la collectivité et la sororité

 

“Si je devais trouver quelque chose qui lie toutes mes activités, ce serait le concept du collectif. L’idée d’une famille dont les membres se soutiennent mutuellement, c’est très important pour moi. Que ce soit à travers ma participation en tant que danseuse aux soirées LA CREOLE, en tant que membre du collectif anti-harcèlement Trop c’est trop, ou en tant que créatrice de mode avec Tantine de Paris, je suis quelqu’un qui aime entretenir et nourrir la notion de groupe. C’est naturel chez moi. J’aime prendre soin des gens et partager, même si aujourd’hui, je me suis un peu calmée car j’ai trouvé ma meute. J’ai beaucoup de chance d’être entourée par des amies qui prennent soin les unes des autres. Je ne vis que pour ça, et c’est justement à travers cette famille que j’ai vu comment on pouvait s’entraider. Nous sommes des femmes noires et, soyons réalistes, nous devons nous battre trois fois plus que les autres pour y arriver, notamment dans le milieu de la danse où l’esprit de compétition féminine est très fort. Je me souviens que, dès mes débuts, j’allais voir les autres filles pour leur proposer qu’on danse ensemble. Les hommes le font entre eux et forment des crews, alors pourquoi pas nous ? Il est temps pour nous de créer et de cultiver davantage d‘espaces de paix, sans jalousie ni concurrence malsaine.”

Trench à épaules structurées en peau de Karung, Lanvin. Collier en argent, STATEMENT. Mules en satin à ornements, MANOLO BLAHNIK.

Photographe : Bojana Tatarska. Styliste : Alexandra Osina. Talent : Mariana Benenge @City Models. Make Up artist : Axelle Jerina. Hair artist : Ben Mignot. Digital opérateur : Rebecca Lievre @Imagin Paris. Assistant lumière : Stan Rey-Grange. Assistante stylisme : Bia Carvalho.