Humoriste, danseur, poète et membre emblématique de la scène Ballroom parisienne, Noam Sinseau s’affirme à travers son premier seul-en-scène “Makoumé Superstar” comme l’une des nouvelles figures de proue du stand-up queer français. Rencontre avec un polymathe qui rebat down les cartes de l’humour et de la fantaisie.

Si vous êtes un·e lecteur·rice assidu·e de Mixte, vous avez sans doute déjà vu et lu Noam Sinseau dans nos pages, tout simplement parce qu’il a déjà collaboré pour nous à deux reprises. Une fois en tant que modèle pour un sujet dédié à la scène Ballroom parisienne (en partenariat avec la marque Karl Lagerfeld et shooté par Charlotte Navio dans notre numéro Empowerment) et une autre fois en tant qu’auteur afin d’écrire un poème poignant accompagnant la série mode principale de notre numéro Euphoria shootée par Fabien Montique. Deux exemples qui prouvent la versatilité et les multiples talents de cet artiste queer qui se lance officiellement en 2024 dans une nouvelle aventure : celle du stand-up. Et ce grâce à son spectacle baptisé “Makoumé Superstar” qui vient de faire salle comble au théâtre de La Nouvelle Seine fin janvier et d’être reprogrammé le 14 mars prochain. Dans ce seul-en-scène qu’il a écrit et peaufiné pendant un an, puis rodé pendant tout le mois de décembre dernier à L’Appart de la Villette, Noam Sinseau aborde avec joie de vivre, bienveillance et juste ce qu’il faut d’outrecuidance, de sarcasme et d’ironie, son parcours et son identité d’homme noir queer antillais au sein de la société française. Une façon pour lui de bousculer avec fantaisie les codes classiques du stand-up en y intégrant de la danse et de la poésie, mais aussi en nous donnant quelques leçons de sociologie (comme celle sur le retournement de stigmate) tout en nous faisant part de ses positions politiques : ACAB, féministe, anti-Darmanin et pro-LGBT. Obviously. Rencontre avec un érudit drôle et engagé qui pour nous a déjà atteint le statut de SU-PER-STAR. Ha !

Mixte. On te connaît comme membre éminent de la scène Ballroom parisienne, ainsi que pour tes contenus sur les réseaux et ta participation en tant que danseur à différents spectacles comme Le Journal de Paris d’Edouard Baer. Aujourd’hui, tu te lances officiellement dans le stand-up. Comment es-tu arrivé dans le milieu de l’humour ?
Noam Sinseau.
C’est venu à moi en 2021, par le biais de Marine Baousson, une humoriste lesbienne qui m’a proposé de faire un plateau organisé par le magazine en ligne Mademoizelle. À l’époque, je faisais des blagues et des story time sur X (ex-Twitter), sans autre ambition que de faire rire les gens. Je n’avais jamais fait de stand up à proprement parler avant et c’est Marine qui m’a convaincu de me lancer.

M. Tu connaissais pourtant la scène et la performance depuis longtemps, non ?
N.S.
Oui, j’étais danseur depuis l’âge de 10 ans et je faisais aussi du twirling bâton. J’ai toujours eu un rapport à la scène très particulier. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé et que j’ai utilisé très tôt comme une forme de protection.

M. À partir de quel moment tu t’es décidé à créer Makoumé Superstar, ton seul-en-scène que tu viens de jouer à La Nouvelle Seine et qui dure une bonne heure ?
N.S.
J’ai fait environ deux ans de stand-up avant de jouer le spectacle. J’ai d’abord enchaîné quelques plateaux par-ci par-là sans penser que ça pouvait devenir une opportunité professionnelle. Mais une fois que j’ai vu que ça prenait et que je m’étais fait une place dans le milieu, j’ai pensé à écrire ce spectacle. Ça m’a pris environ un an. J’ai écrit tout seul et j’ai fait appel à mon ami Amiel Maucade pour la mise en scène et pour m’orienter.

M. Qu’est-ce que tu voulais raconter dans ce spectacle qui ne soit ni vu ni entendu ailleurs ?
N.S.
En vrai, je savais qu’en faisant Makoumé Superstar, je présenterais quelque chose de totalement nouveau dans le sens où, en tant que jeune homme noir et gay, j’ai une place unique dans le milieu du stand-up français. Rien qu’en parlant de moi, ça allait changer les codes. Je voulais faire quelque chose d’inspirant, qui soit la pièce manquante que je voulais avoir quand j’étais ado.

M. Tu voulais pallier le problème du manque de représentation des personnes minorisées en fait ?
N.S.
Absolument. Je voulais être une caution de représentation, sans vraiment savoir comment au départ. C’est pour ça que j’ai décidé de parler de mon parcours, de l’avant-après coming out notamment. D’ailleurs au départ, le spectacle devait s’appeler le placard mais je trouvais ça trop facile. Je voulais transmettre quelque chose de beaucoup plus empouvoirant, un discours avec une vraie dynamique d’acceptation. Et surtout sans s’excuser. D’où le titre Makoumé Superstar. En général quand on s’autoproclame star, il y a une forme de second degré derrière. Ça n’est pas mon cas. Je suis une superstar et c’est totalement assumé (rires). L’utilisation du terme Makoumé est aussi bien évidemment volontaire. Ça veut dire “pédé” en créole. Je voulais ainsi opéré un retournement de stigmate, c’est-à-dire me réapproprier une insulte dont j’ai été la cible et en faire une force et une fierté.

M. À ce propos, tu fais tout un travail d’éducation dans ton spectacle. Au-delà des traits classiques du stand-up, tu ouvres d’autres champs avec un aspect plus sociologique et politique. En quoi c’était important pour toi d’intégrer ces éléments-là ?
N.S.
Le retournement de stigmate, qui a été un pilier dans la construction de mon identité, est sans doute l’une des meilleures armes de défense que nous avons en tant que personnes minorisées, insultées et agressées. Le mettre dans mon spectacle, c’était comme offrir une sorte de master class aux personnes queers racisées qui manquent d’outils et à qui on ne permet pas de s’accepter pleinement. Et d’une façon générale, je fais très peu de blagues qui n’ont pas de résonance politique, que ce soit les blagues sur les violences policières, le racisme, l’homophobie, Darmanin…

En vrai, le spectacle aurait pu s’appeler “Déconstruction et cassage du système”. Je voulais prouver que le problème, ce n’est pas que l’homophobie. C’est un tout un système où les discriminations sont liées les unes aux autres. C’est pour ça que Makoumé Superstar se veut définitivement comme un spectacle intersectionnel. Enfin, l’une des différences majeures avec les spectacles de stand-up classiques, c’est que j’inclus très peu voire pas de moments d’humiliation. Je ne voulais pas de ce mécanisme qui consiste à se rabaisser pour faire rire les gens. Au contraire, je préfère les faire rire en me célébrant le plus possible et en humiliant les personnes dominantes.

M. Au-delà de ton propos sur ton identité queer et sur tes engagements politiques, tu inclus aussi sur scène quelques passages de danse et aussi de poésie. Ce qui est unique. Pourquoi on n’observe pas plus ce mélange des genres selon toi aujourd’hui dans le stand-up ?
N.S.
Parce qu’on est en France et qu’on a un problème avec tout ce qui sort des cases. On aime pas les gens qui mélangent différents univers. C’est peut-être un cliché mais c’est vrai. Au début, quand j’ai commencé, les gens étaient très choqués que je danse ou que je fasse de la poésie, même quelques secondes. Je crois que ça résulte aussi d’une peur réelle d’assumer de faire ou de proposer quelque chose de nouveau. Après, ces pseudo règles viennent d’un milieu où on trouve une majorité de mecs cis-hétéro qui sont juste là avec leur micro et un faisceau de lumière. On peut pas attendre grand chose d’eux en termes de nouveauté (rires). Et heureusement qu’on observe une nouvelle vague de stand-up en France avec tout un tas d’humoristes queers et/ou racisées qui viennent changer les choses.

M. Justement, tu as récemment créé Comédie Love, un collectif d’humoristes féministes et queers aux côtés de Tahnee, l’autre, et Mahaut Drama qui vient sérieusement mettre à l’amende le stand-up classique hétéro, binaire et patriarcal.
N.S.
Oui, c’était important pour nous de créer un safe space humoristique où pour une fois on n’est pas constamment la cible des blagues et où nous-mêmes, on est pas obligé·e·s de rire de nos défauts. C’est important de montrer qu’il existe d’autres discours, surtout quand on voit qu’il y a encore énormément de travail d’éducation à faire concernant divers sujets ultra-problématiques. On peut notamment parler de Seb Mellia qui a récemment été accusé de viols et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes. Ce qui ne l’empêche pourtant pas de faire encore salle comble et de pouvoir jouer tranquillement…

M. Qu’est-ce que tu ne supportes plus comme poncifs dans le stand-up classique ?
N.S.
Tout ce qui est lié à la binarité et aux stéréotypes de genre. C’est quelque chose qui m’agace particulièrement. Et plus largement, toutes les blagues faciles et gratuites qui viennent se moquer du physique et des cultures différentes des gens et qui, en vrai, ne font rire que les beaufs. Ce qui m’agace le plus, c’est cette forme de shaming utilisée comme outil humoristique et qui n’est que l’illustration d’un manque crucial d’angle et de recherche.

M. Histoire qu’on se refasse une bonne culture stand-up féministe et pro-LGBT et qu’on rigole vraiment, aurais-tu des humoristes français·e·s et étranger·ère·s à nous conseiller ?
N.S.
Sans aucun doute mes potes pour commencer : Tahnee L’autre, Mahaut Drama, Alicia C’est Tout, Lou Trotignon, Natacha Gomez… Il·elle·s sont incroyables et me font énormément rire. Sinon, je conseille fortement l’humoriste lesbienne australienne Hannah Gadsby qui est une référence et une pionnière dans le stand-up queer tout comme Matteo Lane aux États-Unis.

Makoumé Superstar, de Noam Sinseau, mise en scène Amiel Maucade, le 14 mars 2023 au théâtre de la Nouvelle Seine