C’est de la bombe bébé
Disclaimer d’office : les créateur·rice·s contemporain·e·s ne sont pas en réalité les bad guys dans le film. Car même si quasiment tou·te·s les designers ont repris le camouflage, de John Galliano à Junya Watanabe, en passant par Jean-Paul Gaultier, la réappropriation de la garde-robe militaire fait en fait partie de l’ADN de la mode depuis des siècles, comme le démontre “Le style militaire envahit la mode” (éd Phaidon, 2017). Dans cet ouvrage, l’auteur Timothy Goldbold dresse un constat sans appel : la guerre se cache partout dans nos placards, à commencer par nos simples t-shirts qui, à l’origine, étaient utilisés comme sous-vêtement par la Navy américaine lors de la Guerre hispano-américaine de 1898. De même, le trench coat vient lui aussi des champs de bataille (“trench” veut dire tranchée en anglais), puisque conçu en 1914 par un certain Thomas Burberry, créateur des uniformes de l’armée britannique. Et si votre tatouage Peace & Love commence à vous gratter, sachez que votre blouson de cuir noir s’inspire directement des pilotes de la Luftwaffe, l’armée de l’air du troisième Reich (don’t gag). Quant aux pantalons cargo, treillis et cie, ils ont tous réussi l’exploit de se fondre dans le décor sans que personne ne remette en cause leur origine belliqueuse.
Une annexion du style militaire par la mode qui vaut à Troy Patterson, journaliste au New York Times, d’établir le constat suivant : “Aujourd’hui, la moitié des gens que l’on croise dans la rue est habillée pour tuer”. CQFD. La mode va d’ailleurs encore plus loin et revendique désormais le champ lexical de la guerre : les mannequins “paradent” et “défilent” pour les maisons de mode, n’en déplaise à Olivier Rousteing qui s’autoproclame à la tête de la “Balmain Army” et qui comporte, entre autres, Beyoncé dans ses troupes. Le designer français est même allé jusqu’à dessiner pour les Destiny’s child des tenues de scène à l’imprimé camouflage version strass et paillettes lors de leur performance au festival Coachella de 2018 : “Le camouflage et l’habit militaire sont désormais plus souvent utilisés comme vecteurs de force et de pouvoir”, nuance Juliette Lecuyer, journaliste mode pour le site du magazine ELLE, avant de préciser : “Lorsqu’il est repensé pour les femmes, ces items de combat habituellement réservés aux hommes servent alors à l’empowerment féminin et deviennent, quelque part, féministes.” Preuve de plus s’il en fallait, la saharienne, uniforme officiel de l’armée britannique en Inde à la fin du XIXe siècle, qui est devenue quant à elle une pièce iconique d’Yves Saint Laurent dès 1967 et qu’on retrouve déclinée à l’envi dans la collection printemps-été 2024 de Saint Laurent par Anthony Vaccarello qui a voulu présenté une collection inspirée de femmes pionnières comme Amelia Earhart et Adrienne Bolland, connues pour avoir infiltré des secteurs à prédominance masculine comme l’aviation et la course automobile. Makes sense.