Norman Mabire Larguier, directeur artistique et fondateur de la maison éponyme
Remarqué au 38e festival d’Hyères avec ses silhouettes post-genre noires et sculpturales, le jeune créateur a lancé sa maison dont le modèle économique repose sur les commandes, pour éviter les surplus. Grand Prix du concours de mode ModaPortugal 2022, il appelle à une mode plus sensible dans ses designs, ses systèmes de production et sa communication.
“J’ai choisi un système de couture sur mesure, sur commande, et je travaille avec les stocks dormants de grandes maisons de luxe. C’est en soi une réponse à la surproduction et une critique implicite de la manière non naturelle et polluante dont fonctionne l’industrie de la mode. Cette démarche est le résultat d’un questionnement de long terme : travailler sur demande, c’est aussi se reconnecter avec les client·e·s, être attentif à leurs besoins. J’ai lancé ma marque pour disposer d’un espace permettant de questionner le rapport du corps au vêtement, le rapport à soi, le rapport au monde qui nous entoure. La collection présentée en octobre 2023 au festival d’Hyères portait sur le sentiment d’entravement. Il s’agissait d’exprimer la difficulté à trouver sa place au milieu d’un monde normé dans lequel on ne se reconnaît pas, mais aussi d’élaborer une manière de se protéger, cultiver son intérieur et préserver sa sensibilité. Je mène un travail important sur l’architecture du vêtement pour traduire le sentiment que celui-ci est en mutation, en transformation, telle une éclosion qui permet de s’affranchir – notamment des codes de genre. Chaque pièce équivaut à un espace d’expression visant à mettre en forme un monde indicible. Dire, nommer, c’est ériger des limites, et pour moi, la sensibilité queer, c’est aussi se délier des référents, laisser les choses dynamiques. Ce n’est pas naturel de fixer. Moi-même, j’ai du mal avec les mots, j’ai besoin de passer par le vêtement pour ne pas réduire mes émotions, mon intime, à des notions figées et parfois complexes qui me dépassent. Mes vêtements expriment des sentiments que je n’arrive pas à formuler.”