VESTE ET PANTALON EN POLYESTER HOMME PLISSÉ ISSEY MIYAKE, BASKETS “TERREX FREE HIKER” ADIDAS

À seulement 27 ans, le danseur et chorégraphe belge Nick Coutsier peut déjà compter parmi ses collaborateurs Marine Serre, le Ballet Royal de Flandre et Beyoncé. Mixte est allé à la rencontre de cette nouvelle figure montante de la danse contemporaine sur la scène internationale.

Cette année, sans le savoir, vous avez été probablement initié à la danse contemporaine grâce au travail de Nick Coutsier. Son nom ne vous dit peut-être encore pas grand-chose mais, ces derniers mois, vous avez sûrement vu passer sa tête sur vos écrans ; car en l’espace d’un an, ce jeune danseur et chorégraphe belge a pris une place considérable dans le milieu de la danse contemporaine et de la pop culture. Une place dont même le premier intéressé a encore du mal à mesurer l’ampleur : “Jamais je n’aurais cru…” répète Nick à l’envi quand on lui demande de nous raconter son parcours et sa jeune mais prolifique carrière. C’est simple. De l’été 2019 à l’été 2020, il a dansé dans le clip Spirit de Beyoncé, a performé en tant que “guest dancer” au Ballet Royal de Flandre dans le Mea Culpa du célèbre chorégraphe belge d’origine marocaine Sidi Larbi Cherkaoui. Pendant le confinement, Nick Coutsier a également agité le monde chelou des Instagram Lives en prodiguant, en collaboration avec la marque Marine Serre (dont la créatrice est une amie de longue date), des cours de danse et d’échauffement inclusifs baptisés Body Party. Il aurait pu s’arrêter là. Mais non. Nick a aussi travaillé sur Black Is King, le dernier projet phénomène de Beyoncé (encore elle) sorti en juillet dernier sur Disney+, tout ça avant de finir par donner une petite summer class aux danseurs du collectif (La)Horde du Ballet national de Marseille. Busy, on vous dit. Nick a toujours dû s’occuper. Normal pour un gamin, fils unique de surcroît, originaire d’un bled paumé en pleine campagne, à quelques kilomètres de Bruxelles. “Dès que je m’ennuyais, on me disait d’aller faire un tour et de trouver une occupation dans les bois ou avec les animaux. C’est quelque chose qui m’a poussé à m’occuper de moi-même très tôt”, nous explique le danseur. Résultat, Nick enchaîne les activités : cours de sport, scoutisme, athlétisme et équitation, qu’il pratiquera assidûment et compétitivement de 6 à 16 ans, concours de jumping inclus (tu peux pas test) ; avant de finalement mettre le pied à l’étrier côté danse. 

TEE-SHIRT EN NYLON WOOYOUNGMI, SHORT EN COTON MAISON MARGIELA, CHAUSSETTES FALKE, CHAUSSURES EN CUIR DR. MARTENS, MONTRE “PASHA” EN ACIER CARTIER, ANNEAUX ET BAGUE PERSONNELS

ALLEZ DANSE, DANSE, DANSE, DANSE !

Alors qu’il traîne avec sa bande de scouts, qui chaque fin d’année organise une petite compétition pour challenger ses membres, le pré-ado remporte celle consacrée à la danse grâce à une petite choré dont lui seul a le secret. La vérité, c’est que Nick et cette discipline, à cette époque, est une histoire d’amour pas vraiment officialisée qui a commencé dès l’âge de 3 ou 4 ans, lorsque sa tante le traîne sur le dancefloor des mariages et autres fêtes de famille. Mais jusque-là, il s’agissait plus d’un bon moment à passer que d’un éventuel projet de carrière. “La danse est arrivée de façon un peu sinueuse dans ma vie. C’est quelque chose que je ne prenais pas trop au sérieux. Mais en gagnant cette compétition, je me suis rendu compte que j’étais doué et que je pouvais être aimé pour ça.” Vers 13 ans, au milieu des années 2000 – cette parenthèse (dés)enchantée où les programmes de télécrochets danse, musique et chant sont aussi nombreux que le nombre de singles de Mariah Carey classés numéro 1 au Billboard Hot 100 –, Nick commence à prendre des cours de hip hop. “Ce n’était pas vraiment pour apprendre à danser, parce que je dansais déjà tout le temps. C’était d’abord pour avoir un environnement dans lequel explorer mon identité, exploiter mes ressources et canaliser mon énergie.” Deux ans plus tard, après avoir explosé les compteurs en matière de nombre de pas effectués, de “tchac tchac, boum boum” prononcés, de gouttelettes de sueur sécrétées et de regards vers le miroir passionnés, Nick passe un casting pour un nouveau projet d’émission sur Disney Channel qui cherche de jeunes chanteurs et danseurs. Il est sélectionné et travaille pendant quelques mois pour la chaîne américaine. C’est là qu’il rencontre une chorégraphe française qui, voyant en lui un potentiel de malade, lui suggère de partir se former à Los Angeles dès qu’il aura terminé ses études. Nick suit son conseil et, le bac en poche, s’installe chez son oncle en Californie pour upgrader ses 1, 2 steps. Dans ce berceau du hip hop, des danses commerciales et de la culture entertainment, les studios sont quasi tous ultra-réputés, et on peut facilement y tenir la jambe aux chorégraphes du moment et prendre son pied en croisant les stars venues répéter (Madonna, Justin, Britney, Beyoncé…). Bref, “c’est là que ça se passe”, et se retrouver là-bas à 17 ans, ça fait vraiment un effet “oh wow !”

PANTALON EN CUIR VINYLE ACNE STUDIOS, ANNEAUX ET BAGUE PERSONNELS

UNE QUESTION D’ÉQUILIBRE

Une fois sur place, Nick danse tous les jours. Le problème, c’est qu’au niveau de la pratique et de l’ambiance, ce n’est pas vraiment ça : “Je trouvais ça un peu vide. On faisait le cours, on apprenait la choré, on la répétait, on la dansait. C’était très répétitif et très compétitif. Il fallait se faire remarquer, être sélectionné par le prof, avec une pression du résultat pas toujours facile à vivre, explique-t-il. J’avais clairement besoin de plus que danser pour quelqu’un, devenir un back-up dancer. Certains s’accomplissent très bien là-dedans. Pas moi. C’est à ce moment-là que je me suis demandé s’il n’y avait pas d’autres schémas de réussite et de fierté que ‘J’ai dansé pour untel’. Est-ce que ça ne pouvait pas être plutôt ‘J’ai dansé pour moi’ ?” Bingo, cow-boy ! Après quelques mois passés dans la Cité des anges, Nick Coutsier revient en Belgique en 2011. Et par l’intermédiaire d’un ami élève au deSingel, le conservatoire national de danse contemporaine d’Anvers, il y passe une audition. Il n’a alors pas vraiment de formation en contemporain et, sans trop y croire, se dit quand même que s’il rate cet examen d’entrée – “le plus dur de ma vie ! J’ai fini les pieds en sang” –, les balancés, les cambrés, les ball change, les antéversions et autres circumductions auront eu raison de lui, que la danse, ce sera fini. Heureusement, les dieux de la pirouette en ont décidé autrement : après un dernier entretien, Nick est validé pour intégrer un cursus de trois ans, période durant laquelle il aime à dire qu’il a “gagné en légitimité” en approfondissant ses connaissances à la fois pratiques, techniques et théoriques. À peine diplômé du conservatoire, Nick continue de faire la nique au système et obtient, après audition, son premier véritable boulot en tant que danseur, sur l’un des nouveaux projets de la compagnie Lali Ayguadé Farró. Direction Barcelone, pour une durée de cinq mois, où se trouve cette compagnie de danse dirigée par la célèbre chorégraphe catalane du même nom, qui a elle-même fait ses armes avec les grandes figures de la discipline que sont Akram Khan et Hofesh Shechter (pour vous donner une idée, c’est comme si on citait Christian Dior et Yves Saint Laurent pour parler chiffon). Bref, Nick n’en est qu’au tout début de sa carrière naissante et il fait pourtant déjà exploser son quota de name-dropping prestigieux.

 

HUMAN AFTER ALL

Les deux années qui suivent, Nick, avec son statut de freelance, s’associe à différentes compagnies qui le font voyager dans toute l’Europe. “J’ai très vite vécu la vie de danseur à un rythme effréné. Ce qui peut être euphorisant au début, mais est finalement assez déstabilisant, reconnaît-il. Voyager sans cesse, passer de ville en ville, ne pas avoir d’attaches peut vite créer un sentiment de solitude et un décalage avec des amis et collègues qui ne vivent pas la même chose. Heureusement, ce contexte particulier m’a poussé à me ménager et à prendre davantage soin de moi au niveau personnel et humain.” Masha’allah, car l’aspect humain joue un rôle essentiel dans son rapport à la danse. C’est même une base de réflexion intrinsèque à son travail. Il suffit de voir Nick s’exprimer pour le comprendre. Dès qu’il parle, se déplace, dès qu’il interagit, c’est comme s’il dansait : ses bras, ses mains et ses doigts dessinent des formes et prennent de l’espace dans les airs, son cou et sa tête font des mouvements circulaires à mesure qu’il réfléchit à ce qu’il veut dire. C’est là l’illustration parfaite de ce qu’est pour lui la danse : “À mon sens, chaque geste, chaque mouvement, chaque partie du corps, en action ou non, peut être de la danse. Si on a tous la capacité de se mouvoir, ça veut dire qu’on est tous capables de danser. C’est en tout cas la manière dont je vois le monde”.

Même dans la démarche pédestre humaine, il y a des mouvements qui peuvent être magnifiés : un pied mis devant l’autre, un pouce levé, une poignée de main, une accolade…

Ce concept de désacralisation et d’humanisation de la discipline, Nick a commencé à l’aborder et à le traiter dans le cadre des récents workshops qu’il a donnés aux danseurs de différentes compagnies, comme ceux de (La)Horde cet été à Marseille. “Je me souviens leur avoir expliqué que même dans la démarche pédestre humaine, d’apparence basique, tout comme dans le langage corporel primaire, il y a des mouvements qui peuvent être magnifiés : un pied mis devant l’autre, un pouce levé, une poignée de main, une accolade… Une fois qu’on applique cette vision, on peut trouver tout aussi magnifique deux personnes qui se serrent la main que deux autres qui se lancent dans un duo de spirales complexes ou une série d’arabesques synchronisées.”

L’AFFIRMATION DE SOI

Serrer une main, rien de plus simple a priori. Sauf que pour être un bon danseur, il faut certes avoir du talent, mais il faut aussi connaître son corps et savoir comment l’utiliser. “C’est beaucoup plus difficile de rendre, à travers le mouvement, la sensation de quelque chose d’effortless que de complexe. C’est beaucoup plus dur, car ça demande plus d’honnêteté et de confiance en soi”, assène Nick. Oui, dans la danse, tout est une question de confiance. Surtout quand on évolue comme lui en tant que personne noire et homosexuelle dans un milieu professionnel artistique connu, comme beaucoup d’autres, pour entretenir des stéréotypes tenaces liés au genre et à son expression ; et pour maintenir une discrimination systémique favorisant le manque de représentation des personnes racisées, sur scène comme en coulisses. “Même si, quand j’étais au conservatoire, énormément de nationalités et d’origines étaient représentées, j’étais le seul élève noir de ma promotion, tient à rappeler Nick. Et je n’avais bien évidemment aucun modèle de danseur me ressemblant auquel me référer.” C’est pour cette raison que lorsque Nick a débarqué sur le tournage du film Black Is King l’année dernière et qu’il y a vu un staff 100 % noir, il s’est “pris une bonne petite claque”. Heureusement, quand les danseurs noirs de contemporain issus des nouvelles générations auront besoin de s’identifier et de trouver des modèles de représentation, ils pourront toujours se tourner vers Nick, et lui envoyer des messages pour le remercier de ce qu’il est et de ce qu’il a fait. Spoiler : il paraît que c’est déjà ce qui est en train de se passer…

MANTEAU TISSÉ EN LAINE ET NYLON ACNE STUDIOS, PANTALON EN CUIR IMPRIMÉ ET CALEÇON MARINE SERRE, CHAUSSURES EN CUIR DR. MARTENS, MONTRE “PASHA” EN OR JAUNE, BRACELET CUIR CARTIER, BAGUE PERSONNELLE