Le 27 septembre dernier. Le jardin des Tuileries, d’ordinaire si calme, vibre pendant de longues minutes. Sous les parapluies, une ferveur monte, les bras se lèvent, brandissent des téléphones, la foule n’émet plus qu’un même cri à l’unisson. Escortée par un service de sécurité musclé, Jisoo de Blackpink, sort du défilé Dior. Malgré la pluie, la K-pop star salue, sourit, reste professionnelle devant l’intimidante forêt de caméras et de fans hurlants. La scène se répétera aux abords de la plupart des défilés de la dernière semaine de la Mode. Est-ce le contexte pandémique ? Le besoin de star-system pour créer un peu de dopamine dans une époque si morose ? Suffisamment en tout cas pour que le journaliste Derek Blasberg tweete : “Si votre show n’est pas sur le site Just Jared, a-t-il vraiment eu lieu ?” Car, de Kylie Jenner à Cher ou Zendaya, une impressionnante liste de méga célébrités a fait le déplacement. Et avec elles, forcément, une horde d’admirateur·trice·s, prêts à les stalker pour les suivre à la trace. Écrasé·e·s par les barrières aux abords des défilés, rabroué·e·s par des services de sécurité à cran, crevé·e·s par des heures d’attente à piétiner, les fans sont pourtant toujours déter’ à apercevoir leur star quelques secondes. Mais est-ce que pleurer et crier devant une célébrité suffit pour être un·e fan ? Pas du tout, et cette condescendance est à côté de la plaque. Chercheuse en sciences de l’information et de la communication et autrice de Les Fans, publics actifs et engagés (éd. C&F), Mélanie Bourdaa explique : “Le fan est un public expert et actif, intégré dans une communauté. Il pratique des activités de création (fanfiction, fanart, cosplay…) mais surtout, il produit du contenu et du sens.” Et cela n’a rien de nouveau. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, le mot “fandom” remonte à 1903 : “La figure du fan existe depuis longtemps. Des conventions sur Sherlock Holmes ou la SF existaient dans les années 30 et les fanfics s’écrivaient déjà autour de Dickens. Plus récemment, le web a brisé les frontières. Le chercheur Henry Jenkins parle de ‘caisse de résonance’. Cela a rendu les fandoms plus visibles.” Et même incontournables. Car, de nos usages web jusqu’à des initiatives activistes en passant par des décisions juridiques, la fandom energy s’infiltre partout dans notre quotidien. La preuve en six points.
1. DICTER SON STORYTELLING
Plus les fans postent des contenus sur leurs idoles ou séries préférées, plus il·elle·s travaillent gratuitement pour elles : pourtant, ce “fan labor” peut aussi permettre aux communautés d’imposer leur vision. Car, de par leur nombre, les fans ont un immense pouvoir : occuper le terrain numérique pour peser dans les décisions des pontes de l’entertainment… Et peu importe la méthode. En 2015, les Directioners (fans du groupe One Direction, ndlr) lancent le projet “No Control”, du nom du morceau qu’ils souhaitent voir sortir en single, contre l’avis du label. La fanbase se coordonne sur Tumblr et Twitter : chacun·e doit streamer le morceau en boucle, le réclamer sur les radios, le Shazamer, mais aussi le hisser en top trend Twitter. Lorsque les One Direction passent chez James Corden, celui-ci dit : “J’ai reçu tellement de tweets de vos fans à ce propos, que si je ne vous pose pas de questions là-dessus, il·elle·s pourraient me tuer”. Et ça marche : même les médias trouvent la démarche “punk” pour son approche DIY. Même chose du côté des séries. Selon Mélanie Bourdaa, “les fandoms peuvent avoir une action sociale, culturelle et politique, ils se servent de la narration comme levier d’engagement pour mener des actions politiques ou un activisme social, auprès des lobbies ou des productions. Parfois, les showrunners les mobilisent, en cas d’annulation de la série par exemple. Mais ils peuvent aussi exprimer leur désaccord : par exemple, lorsqu’un personnage lesbien est mort dans la série The 100, la communauté a levé des fonds pour protéger les personnes LGBTQ+.”