Mean Girls (2024)

Sur scène comme sur grand écran, les comédies musicales s’apprêtent à déferler sur 2024. De Mean Girls à Manon des sources, en passant par Le Diable s’habille en Prada, décryptage d’un business qui n’a pas fini de nous faire chanter.

Préparez-vous, le mercredi 10 janvier, à porter du rose. Si vous n’avez pas la ref (shame on u), c’est que vous êtes passé.es à côté du phénomène Mean Girls, ou Lolita malgré moi pour la version française, film sorti en 2004 qui a introduit pour l’éternité Lindsay Lohan et Rachel McAdams au panthéon du teen movie. La scénariste et réalisatrice américaine Tina Fey récidive vingt ans plus tard dans une adaptation que personne n’attendait : une version chantée de la comédie culte. Ce n’est d’ailleurs pas le seul projet musical qui verra le jour cette année puisque dès le 24 janvier, La couleur pourpre débarque dans les salles dans une version elle aussi mélodique. De quoi donner aux fans du genre un amuse-gueule avant le graal : une adaptation de Wicked, légendaire spectacle de Broadway inspiré du Magicien d’Oz, prévue pour le 27 Novembre dans les salles avec dans les rôles principaux Cynthia Erivo et Ariana Grande. Véritable mastodonte hollywoodien, le film en deux parties du réalisateur Jon chu possède un budget de production digne d’un Marvel : près de 310 millions de dollars qui promettent des décors vertigineux et des costumes à faire pâlir les candidates de Drag race. Reste tout de même à savoir si le grand public sera au rendez-vous ?

Sing or die

 

Le monde magique des comédies musicales connaît aussi quelques plantades. On se souvient (ou pas) de l’adaptation de 2012 sur grand écran des Misérables version Anne Hathaway incarnant une Fantine donnant l’impression d’être sortie du Berghain après trois jours de teufs. Véritable carton aux USA avec près de 148 millions de dollars de recettes et un Oscar pour la comédienne, le film de Tom Hooper se voit boudé par les Français (à peine 220 000 entrées) qui préfèrent relire le classique de Victor Hugo plutôt que de voir les américains saboter leur patrimoine : « Savoir comment marketer un film musical est toujours un problème pour la France » nous explique Fanny Beuré, spécialiste du sujet et maîtresse de conférence à l’université de Lorraine ainsi qu’autrice d’une biographie sur Fred Astaire, « prenez Mean Girls par exemple, lorsqu’on regarde la bande-annonce, on ne comprend pas vraiment qu’il s’agit d’une comédie musicale. Même si on peut espérer un beau succès, on sent que dans ce cas, le distributeur tente surtout de capitaliser sur le film culte. » L’œuvre se veut d’ailleurs non pas un reboot mais bien l’adaptation musicale du classique qui a déjà eu droit à sa version scénique en 2017. « Les films musicaux ne font que prolonger une tendance qui se dessine depuis vingt ans : le fait d’adapter sur grand écran les comédies musicales de Broadway. Hormis Lalaland, plus personne n’écrit de films musicaux originaux de la manière dont on le faisait dans les années 30, 40 ou 50. Ces adaptations ne font que reprendre des méga cartons qui ont séduit des millions de spectateurs, à l’image de Mamma Mia. » indique Fanny Beuré.

La comédie musicale Le Diable S’habille En Prada.
Fa si la chanter

 

Spectacles musicaux et septième art ont toujours su mener leur tambouille interne, proposant au public deux versions bien distinctes afin de satisfaire le goût des spectateurs, tout en s’adaptant au contexte financier du moment : « Si l’on prend l’exemple de Broadway, l’activité des comédies musicales scéniques s’est ralentie pendant la Grande Dépression » nous explique Patrick Niedo, président des trophées de la comédie musicale, « Durant cette période, de 1930 à 1943, ce sont les films musicaux qui ont attiré le public qui payait une place de cinéma 25 cents alors qu’une place de théâtre valait jusqu’à 4 dollars. La production de comédies musicales à Broadway ne s’est bien sûr pas arrêtée mais elle a été considérablement ralentie par la faillite des propriétaires de théâtres et des producteurs. »
Depuis le covid, de nombreux théâtres de Broadway subissent à nouveau une crise. Selon le New York Times, la production de spectacles musicaux en 2024 baissera de 20% comparé à l’avant Covid. La faute aux aides de l’État en baisse, et à l’inflation qui ne permet plus au public de se ruer sur les devants de la scène comme au bon vieux temps. « Il est encore plus difficile de produire un spectacle en temps de crise économique qu’en temps de croissance » nous rappelle Patrick Niedo,  » Il existe une difficulté à trouver le financement nécessaire pour la production et une incertitude sur la venue du public qui n’a pas forcément l’argent pour venir y assister. La production de spectacles est un métier extrêmement risqué ». C’est sans doute pour cette raison que la plupart des spectacles musicaux s’inspirent d’œuvres déjà existantes bien identifiées (et appréciées) du public. Alors que la version live de Dirty dancing vient d’enflammer les Folies Bergère en décembre dernier, le West end (nom du Broadway Londonien) accueillera en novembre sur la scène du Dominion Theatre Le diable s’habille en Prada dans une adaptation signée Sir Elton John. Et si votre guilty pleasure du dimanche soir est de regarder pour la 48ème fois Burlesque avec Christina Aguilera et Cher, il sera possible dès juin prochain de découvrir sur scène le cabaret prendre vie dans une adaptation produite par Xtina herself qui nous promet un spectacle « bigger than life ».

Le monde est stone ?

 

Mais comment expliquer cette appétence pour le public à se plonger dans un monde où le chant prend le pouvoir sur la parole ? « Le succès actuel des comédies musicales est le fruit d’un travail de production et de programmation qui dure depuis des dizaines d’années, analyse Fanny Beuré. C’est grâce à cet accroissement de l’offre et, par suite, à l’accoutumance progressive du public au genre qu’on peut aujourd’hui choisir entre des spectacles très variés. » En effet, on aurait tort de réduire la comédie musicale à un genre désuet, pouvant parfois frôler le kitsch. Les thématiques abordées dans les spectacles reflètent aussi les maux de notre société, et ce dès 1927 avec la création de Show Boat, un spectacle inspiré d’un roman d’Edna Ferber qui évoquait les problèmes raciaux envers la communauté noire. En 1957, la cultissime comédie musicale du maestro Leonard Bernstein West Side Story réinventait le mythe de Roméo et Juliette afin de l’adapter dans une Amérique contemporaine empreint de racisme envers la communauté des latinx. Depuis, les œuvres proposées ne se contentent plus de nous offrir une réalité bubble-gum, elles s’emparent aussi de notre actualité pour évoquer des thèmes tels que la santé mentale des adolescents (Dear Evan Hansen) ou le changement climatique (Noé, la force de vivre) : « Bien sûr la comédie musicale correspond souvent à une envie de légèreté et d’évasion de la part du public, mais pas seulement » nous rappelle Fanny Beuré, « Prenez Starmania par exemple : c’est une dystopie qui évoque des situations anxiogènes et qui, plus de 40 ans après sa création a de très fortes résonances avec la situation actuelle. Ce n’est pas un spectacle dont on ressort le cœur léger et pourtant les spectateurs sont au rendez-vous. » Ainsi, nul doute que le théâtre du châtelet fera salle comble en Novembre prochain avec une ré-adaptation des Misérables, spectacle en résonance totale avec le climat actuel, comme l’expliquait déjà disait si bien Victor Hugo en préambule de son œuvre en 1862 : “Tant qu’il y aura sur terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.” Drop the mic Mister V. Mais on ne peut terminer ce sujet sans vous faire part du prochain album de Jennifer Lopez qui s’intitule “This is me… Now”, prévu pour le 16 février et qui se veut être un album visuel dont la musique sera illustré par un film musical présenté comme une “réimagination visuelle” de la vie romantique de Lopez, y compris sa relation actuelle avec son mari Ben Affleck. Dans le teaser du projet, on voit d’ailleurs J-Lo rejouer la fameuse scène de “Singin’ in the rain”. Bref, on redoute encore ce que ça va donner. Ce qui est sûr en revanche, c’est que J-Lo n’est jamais la dernière a récupéré un bon filon.