M. Il est aussi question dans ton texte de la difficulté de se construire quand on cumule plusieurs oppressions.
A.V. Absolument. En ce qui me concerne, j’ai d’abord eu conscience d’être noir avant d’être queer, notamment parce que c’est quelque chose qui était explicité par mes parents. Quand j’ai compris que j’étais queer et que je l’ai accepté, ça m’a permis de revoir mon identité noire. Cette identité plurielle, j’en ai fait une arme, un outil de lecture du monde, et ça m’aide beaucoup dans mon métier de journaliste. En effet, quand on est à la marge de la marge, on a une vue imprenable sur la société. On arrive mieux à voir les enjeux de race, de classe, de genres et de sexualités, ainsi que leurs angles morts. Ce qui m’a souvent aidé dans les moments difficiles, c’est de choisir parfois de me ressourcer en non-mixité, avec des gens qui vivent les mêmes violences systémiques que moi au quotidien, et qui ne vont pas me soupçonner d’exagérer, de mentir, ou d’être paranoïaque.
M. Tu es passionné de mode, tu en as d’ailleurs fait ton métier, mais tu expliques dans ton texte avoir longtemps refoulé cette passion.
A.V. Dans ce refoulement de mes goûts, il y avait beaucoup d’homophobie intériorisée. Dans mon esprit à l’époque, si j’assumais mon amour pour la mode par exemple, j’avais l’impression que ma sexualité allait être révélée au grand jour, parce que beaucoup de raccourcis sont faits par homophobie, et je les avais moi-même intériorisés. Mais à mesure que j’ai assumé mon identité de personne queer et déconstruit ma propre homophobie intériorisée, j’ai assumé en même temps mes gouts.
M. Tu as évoqué le soudain intérêt pour les droits des personnes LGBT+ des dirigeants européens à l’occasion de la coupe du monde de football qui a eu lieu au Qatar : pourquoi ?
A.V. Le football est le sport le plus populaire, rémunérateur et surexposé médiatiquement et politiquement. C’est un miroir grossissant de notre société, qui en révèle énormément de contradictions. Et je trouve intéressant de voir qu’on mette autant d’intérêt autour d’un brassard arc-en-ciel, alors qu’à la fin de la journée, peu importe qui a porté le brassard ou non, cela n’a rien changé aux droits des personnes LGBT+ au Qatar ou ailleurs. Tout ça, ce sont des histoires de performativité, de symboles creux, et c’est ça qui me dérange profondément. C’est un exemple symptomatique de l’instrumentalisation des droits des personnes LGBT+ à des fins marketing et politique.