Dans sa quête frénétique de pouvoir absolu, Louis XIV avait compris bien avant tout le monde que la mode était la meilleure façon d’imposer son ascendant sur les autres (et aussi de mettre le seum à ses concurrent·e·s). Retour sur la naissance du concept de power-dressing ainsi que sur les débuts de la propagande stylistique et de la mode capitaliste.

Si Kim Kardashian a aujourd’hui réussi à s’imposer, par ses vêtements et ses looks, comme l’une des personnalités les plus influentes et célèbres au monde, c’est grâce à Louis XIV (no shade). Lorsque ledit Louis – aka Dieudonné, Louis Le Grand ou encore le Roi Soleil (ça va, les chevilles ?) – arrive sur le trône de France en 1643, c’est Madrid et non Paris qui est la capitale de la mode. Normal, puisque à l’époque c’est l’Espagne – en plein âge d’or de la dynastie des Habsbourg et de son empire colonial lui permettant d’exploiter en toute impunité les ressources mondiales – qui domine le monde et dicte alors ce qui se porte dans les cours royales européennes. Aussi, ce qu’il faut savoir, c’est qu’alors les aristocrates français, en plus d’importer leurs fringues d’Espagne, achètent également leurs tapisseries à Bruxelles, leurs dentelles et leurs miroirs à Venise, ainsi que leurs soies à Milan (hello, do you know circuit court and bilan carbone ?). Autant dire qu’à l’époque, sur le marché du pouvoir économique, du soft power et de l’influence, la France est autant irrelevant et à la ramasse que Katy Perry. Mais plus pour très longtemps. Car avec l’ego démesuré et la soif de pouvoir qu’on lui connaît, Louis XIV décide bientôt de changer tout ça pour se récupérer la plus grosse part du gâteau. Tout faire pour développer l’industrie du luxe, c’est un peu pour Louis XIV l’équivalent du Plan Marshall lancé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par les USA afin d’aider à la reconstruction des villes et des installations européennes endommagées.

Louis XIV par le peintre Claude Lefebvre.

Ainsi ce grand plan de développement de l’industrie du luxe (mobilier, textiles, vêtements, bijoux, vaisselles, parfumerie…) voit le jour par le biais de Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances, qui avait d’ailleurs déclaré à l’époque : “La mode est pour la France ce que les mines du Pérou sont pour l’Espagne”. À savoir la source d’un produit domestique d’exportation extrêmement lucratif. Résultat, le règne de Louis XIV a vu environ un tiers des salariés parisiens trouver un travail dans les métiers de l’habillement et du textile (what’s up Pôle Emploi ?). Après quelques années de développement assidu (Colbert organise notamment ces travailleurs en corporations professionnelles hautement spécialisées et strictement réglementées, assurant un contrôle de la qualité et les aidant à concurrencer les importations étrangères tout en les empêchant efficacement de se concurrencer), le power-dressing à la française était bel et bien né. Si bien que “rien de ce qui pouvait être fabriqué en France n’était autorisé à être importé”, nous rappelle l’historienne de la mode Kimberly Chrisman-Campbell, autrice de Fashion Victims: Dress At The Court Of Louis XVI And Marie-Antoinette (éd. Yale University Press, 2014). Elle ajoute : “Louis ordonna une fois à son propre fils de brûler son manteau parce qu’il était fait de tissu étranger”. Bref, un plan de relance économique ultra-protectionniste et nationaliste assez flippant, doublé d’une volonté d’hégémonie écrasante ayant permis à la France de devenir rapidement la puissance politique et économique dominante en Europe. Et la mode française de commencer à éclipser la mode espagnole en faisant naître quatre concepts mode qui font encore loi aujourd’hui.

1. Le concept d’une mode institutionnalisée

 

Alors que bon nombre des innovations, institutions et réformes entamées par Louis XIV n’ont pas passé le couperet de la Révolution (oupsy…), celles liées à l’industrie de la mode et du textile haut de gamme ont survécu et sont toujours restées aussi fortes, apportant avec elles pouvoir et influence à la France. Par exemple, dès 1675, Louis XIV fait voter une loi créant la corporation des couturières parisiennes, groupements de femmes capables de confectionner et de vendre des vêtements pour femmes et enfants, agréés par le Roi lui-même (#egotrip). Ce fut le premier pas vers l’établissement de la haute couture au XIXe siècle et de l’industrie actuelle.

Encore aujourd’hui, plus précisément dans l’industrie hautement réglementée et spécialisée de la haute couture, les fleurs artificielles, les broderies, les tapisseries, les boutons et même les éventails continuent d’être fabriqués à la main en utilisant les compétences et techniques traditionnelles transmises depuis le XVIIe siècle. Plus important encore, sans oublier de mentionner la création de manufacture royale spéciale comme celle du textile, créée en 1667, l’héritage de Louis XIV est d’autant plus évident dans l’attitude de la France moderne envers la mode. Ce n’est pas une industrie frivole ou triviale, mais une industrie tout à fait sérieuse, indissociable de la santé économique et de l’identité nationale du pays. “Les Français n’ont jamais partagé la conviction anglo-américaine qui fait du chic le contraire du sérieux” rappelait l’essayiste et romancière américaine Susan Sontag, autrice de ‘Notes on Camp’ (1964), un ouvrage sur la mode et la culture Camp tape-à-l’oeil et opulente dont Louis XIV serait l’un des principaux instigateurs (tiens, tiens).

.

Colbert et Louis XIV par Charles Le Brun.
2. Le concept d’influence et de tendance

 

Louis XIV était l’ultime arbitre du style. Passionné de théâtre, il a pris son sobriquet auto-sélectionné « le Roi Soleil » de ses performances de jeunesse en tant qu’Apollon dans les ballets de la cour, et son amour de l’artifice dramatique et de la splendeur rococo a imprégné sa garde-robe hors-scène. En gros, les modes qu’il a introduites étaient colorées, volumineuses et ornementales. Camp à souhait. Camp as fuck. Soit l’antithèse totale d’un style espagnol austère digne d’une sévère dépression saisonnière hivernale. Les représentations idéalisées du roi sont alors apparues dans les gravures de mode et ses looks ont été rapportés dans les magazines de couture de l’époque. Avec sa crinière bouclée distinctive et ses chaussures hautes à talons rouges emblématiques (werk missy !), Louis a combiné l’autorité incontestable d’une Anna Wintour avec le talent d’entertainer d’un Ru Paul. C’est aussi comme ça qu’il a réussi à imposer la fameuse “étiquette”, ce code vestimentaire strict et absurde imposé à la cour qui, au-delà d’obliger les courtisans à s’habiller et à se comporter suivant leur rang, assurait un marché stable pour les vêtements et les bijoux de fabrication française.

En bons Poutine et Kim Jong Un de leur époque, Le Roi Louis XIV et Colbert ont ainsi utilisé toute la gamme des médias disponibles au service de leur campagne de propagande de mode. Comme l’écrivait l’historien de l’art Maxime Préaud dans le catalogue de l’exposition du Getty Research Institute “A Kingdom of Images: French Prints in the Age of Louis XIV”, “dès le tout début de son règne, Louis XIV a compris que les images avaient le pouvoir de façonner la perception”. Or, on reproche souvent à Louis XIV d’avoir essayé de contrôler ses nobles en les forçant à se ruiner sur les modes françaises (ce qui n’est pas faux), mais, en réalité, il a souvent lui-même couvert ces dépenses, estimant que le luxe était nécessaire non seulement à la santé économique du pays mais aussi au prestige et à la survie même de la monarchie (une sorte d’état-providence avant l’heure mais uniquement pour les riches, sinon c’est moins drôle).

Gravure de Louis XIV en Apollon.
3. Le concept de saisonnalité

 

​​L’une des innovations les plus efficaces et les plus capitalistes initiées par Louis XIV – par le biais de Colbert – a été d’introduire le concept de mode bisannuelle, et d’exiger que de nouveaux textiles apparaissent de manière saisonnière, deux fois par an donc, encourageant les gens à en acheter davantage, selon un calendrier prévisible. Les imprimés de mode étaient souvent étiquetés hiver ou été, avec des accessoires correspondants comme des parasols, des masques et des éventails pour l’été; pour l’hiver, il y avait des fourrures, des capes et des manchons pour hommes et femmes. Les soies légères étaient réservées à l’été ; le velours et le satin l’étaient pour l’hiver.

“En raison du climat français changeant, il y avait toujours eu un certain rythme saisonnier dans le commerce textile, explique Kimberly Chrisman-Campbell. Mais maintenant il est devenu formalisé et incontournable. Quelle que soit la météo, la saison de la mode estivale a commencé rapidement à la Pentecôte (le septième dimanche après Pâques, c’est-à-dire de mi-mai à la fin mai), avec des vêtements d’hiver enfilés dès le 1er novembre, jour de la Toussaint. Malheur à la femme qui se présentait à la cour en robe d’été le 2 novembre !”. C’est en voyant les résultats économiques indécents de cette obsolescence capitaliste programmée que plusieurs autres pays ont commencé à imposer des règles saisonnières similaires à leurs propres artisans.

Louis XIV par Pierre Mignard.
4. Le concept de conso et de fast-fashion

 

Si l’industrie de la mode française s’est enrichie grâce la mise à jour constante des garde-robes, c’est aussi parce que les Français avaient tendance à s’ennuyer si une tendance durait trop longtemps. Comme l’observe l’économiste Jacques de Savary dans son traité de 1675 Le Parfait négociant, “les Français sont naturellement changeants” ; À l’image de consommateur.rice.s qui s’empressent d’acheter des nouvelles fringues tous les 15 jours, les courtisans de l’époque se devaient par exemple de changer de types de rubans (matériau, couleur) en fonction des tendances qui changeaient elles aussi tous les deux semaines. Ainsi, la mode telle que nous la connaissons aujourd’hui est simplement le reflet du caractère national, commodément alignée sur les objectifs économiques de l’époque. Bingo !

Merci qui ? Merci Louis. “Tout au long de l’histoire, les dirigeants ont utilisé les vêtements comme forme de légitimation et de propagande, conclut Philippe Mansel, auteur de ‘Dressed to Rule: Royal and Court Costume from Louis XIV to Elizabeth II’ (éd. Yale Univeristy Press, 2005). Alors que les palais, les images et les bijoux pouvaient refléter le choix des prédécesseurs ou des conseillers d’un monarque, les vêtements reflétaient les préférences du monarque lui-même. Étant à la fois personnel et visible, le bon costume au bon moment pouvait transformer et définir la réputation d’un monarque. De nombreux chefs royaux l’ont connu, de Louis XIV à Catherine la Grande et de Napoléon Ier à la Princesse Diana”. Crown drop.

Louis XIV par Hyacinthe Rigaud.