Alors que le pride month touche à sa fin, la question d’un véritable message politique déployé au sein des marches des fiertés semble prendre davantage d’ampleur cette année, comme en témoigne la 2e édition de la Pride Radicale organisée le 19 Juin dernier à Paris. Une pride militante, féministe, pro-migrant.e.s et anticapitaliste à laquelle Mixte s’est rendu pour rencontrer plusieurs collectifs composés de personnes LGBTQIA+ et racisées.

Les slogans se font voir “Queer solidarty smashes borders”, “No borders / Que des sisters”, “Pas de fiertés pour les frontières”, “Régularisez les sans-papiers”. Et surtout se font entendre : “Assez de cette société qui ne respecte pas les putes, les trans, les femmes voilées”. Le ton est donné. À la veille des élections législatives, la Pride Radicale s’est tenue pour sa deuxième année consécutive : une marche dont le but est de lutter contre la récupération des luttes LGBTQIA+ par des organisations et des entreprises, et qui rentre ainsi en opposition avec la Pride de l’Inter-LGBT, la grande marche officielle parisienne. Selon les manifestant.e.s, la Pride Radicale serait en premier lieu une manière de revenir à la source de ce qu’est la Pride – à savoir à l’origine une série d’émeutes initiées au Stonewall Inn, aux États-Unis, en 1969 par les clients de ce bar gay de New York après une énième descente de la police dans ce lui qui était l’un des seuls établissements de la ville où leur présence était tolérée.

La “Pride radicale” à Paris, le 19 juin 2022. © Roller Derby Panthers et Oeildeso.

Ces émeutes avaient d’ailleurs été menées par Marsha P. Johnson, une femme trans afro-américaine qui découvrira sa séropositivé quelques années plus tard. La pride radicale, c’est donc une volonté de rappeler les origines politique du mouvement et d’y réinsérer toutes les personnes qui ont permis de se battre pour les droits des personnes LGBTQIA+. En particulier celles trans et/ou racisées qui aujourd’hui sont fatigué.e.s des récupérations politiques. Toujours victimes d’un système néo-libéral qui instrumentalise et précarise leurs combats, elles font malheureusement encore face à de réelles problématiques sociales. Du coup, on est allé à leur rencontre pour recueillir leurs témoignages et délivrer au plus grand nombre le message de leurs revendications.

Marsha P. Johnson

Pour Maxime, 24 ans et personne trans, il y a clairement à la Pride radicale une organisation « mieux gérée autour de vraies actions et de vraies revendications contrairement à celle de la Pride de la l’Inter-LGBT où ce sont principalement des représentations festives avec des lobbys qui sont mises en avant”. Selon le militant, “l’intersectionnalité doit être une base dans nos luttes. Il faut prendre en compte le fait que la représentation queer doit aussi être profondément politisée sans que l’aspect festif prenne le pas sur nos luttes.” Cette Pride est donc clairement une manière de s’opposer à celle de l’Inter notamment à travers le plan dès cortèges, non mixtes ou racisés. “J’ai l’impression qu’ici nous sommes dans un environnement plus sain sans participation d’un cortège du corps de métier de la police, une institution qui met en permanence en danger les queers racisés et/ou précaires”, ajoute-il.

Pour Alex, non-binaire et militant-e anarchiste, antiraciste et anticapitaliste “l’inter-LGBT est une organisation transphobe et anti-travailleur.euse.s du sexe (TDS), et ce n’est absolument pas ce que nous défendons. Les personnes racisées, trans et TDS font partie des luttes. C’est grâce à ces personnes que la Pride existe et que nous avons nos droits”, rappelle-t-il précisant que son but était alors de “boycotter l’Inter-LGBT, qui autorise des associations transphobes ou anti-TDS. C’est grâce aux combats des TDS, que nous avons tous.tes obtenu nos droits.”

Première pride suite aux émeutes de Stonewall, New York, 1970.

En ce qui concerne les politiques du gouvernement, les militant.e.s jugent que les personnes queers sont victimes de ces politiques hypocrites. « Ils (les hommes politiques) nous donnent le stricte minimum, pour ne pas qu’on se révolte. Les personnes queers en France ont des pensées suicidaires, elles se sentent en danger. Il faut rappeler que la France vient seulement d’interdire les thérapies de conversion…”. À cela, Alex nous rappelle aussi l’influence néfaste du système capitaliste dans les luttes queer : “Il est important de revenir sur la définition du capitalisme, qui est la recherche de profit sur le dos des êtres humains et la performance. Le capitalisme instaure dans le cerveau humain le fait de devoir produire et d’imposer une domination sur l’autre; le capitalisme dans les esprits, les échanges ou la production est le moteur des discriminations, que cela soit la suprématie blanche ou le patriarcat.”

Le flyer de la “Pride Radicale” parisienne.

Un sentiment partagé par Adèle, pour qui la parade de l’inter-LGBT ne représente pas d’intérêt dans la mesure où celle-ci est davantage un évènement festif et markété qu’un véritable évènement militant. Elle explique : “D’autre part, il y a une sur-représentation des problématiques qui sont propres aux hommes cis-hétéro, ce qui invisibilise les problématiques concernant les femmes, à l’image des difficultés que peuvent rencontrer les travailleuses du sexe comme, par exemple, l’accès aux soins et le cumul de l’exclusion et des discriminations. Ce sont des problématiques qui passent totalement à la trappe avec l’inter-LGBT”. Selon la manifestante, la pride de l’Inter, est une fête d’hommes gays bourgeois blancs, et “contient presque une logique de domination à l’intérieur de nos luttes”.

La “Pride radicale” à Paris, le 19 juin 2022. © Victorine de Oliveira

“Nous sommes parmis les premières victimes de ce système raciste et capitaliste” – renchérit Heather, militante queer et antiraciste. Selon elle, la Pride Radicale ”nous donne la possibilité d’être à l’unisson pour ce mois sacré ». L’année dernière, Heather s’était rendue à la manifestation de l’Inter et “était loin d’être à sa place, au milieu de slogans transphobes et de pancarte Pro-Milla.”. Selon elle, les personnes queer et racisées sont “exlues dans presque tout : travail, droits, logement, soirées, interactions sociales. Nous sommes également associé.e.s à leurs idées perverses, infondées, leurs pseudos “peurs”, ajoute-t-elle amère.

La “Pride radicale” à Paris, le 19 juin 2022.

“C’est bien joli d’afficher des rainbow flags, mais derrière, personne ne nous aide.” – intervient alors Ravel, 22 ans, jeune femme trans. “Cela fait un moment que je n’avais pas fait une Pride et les revendications politiques de celles-ci me paraissent importantes.” – Pour la jeune femme, les luttes anticapitalistes sont primordiales : “typiquement pour les transitions de genre, il y a des intérêts économiques derrière. Les produits hormonaux sont encore privilégiés pour les femmes cis ménopausées, on a souvent des produits sous-optimaux et derrière, on privilégie les intérêts des labos.”

Pour Bilal, pour qui c’était la première Pride Radicale, “le système capitaliste vise et défavorise les personnes précaires, et ce système va être d’autant plus violent dès lors que la personne va cumuler les discrimination.” – Selon lui, “la Pride Radical permet également de lier les discriminations LGBTphobes avec toutes autres discriminations, qu’elles soient sociales ou raciales, que cela concerne également l’égalité des chances dans la société.

La “Pride radicale” à Paris, le 19 juin 2022. © Victorine de Oliveira

“Je pense qu’il est important d’organiser une Pride anticapitaliste et de boycotter celle de l’Inter-LGBT dans laquelle on peut voir des chars Mastercard parce que le capitalisme est tout ce que nous combattons dans nos luttes”, nous raconte Angèle, femme trans.. On pourrait penser qu’il n’y a pas de lien entre capitalisme et LGBT mais en vérité je pense que le capitalisme se retrouve partout, qu’importe la lutte. Le capitalisme nuit au bien-être des personnes autant que celui de la planète. Donc nous sommes pour une Pride qui rompt avec tout cela, hors de question en 2022 de marcher à côté de ce que l’on combat.” Pour elle, L’hétéro-normativité est également un véritable moyen d’oppression : “Un papa, une maman, une fête chacun. Le papa fait des cadeaux, la maman fait le ménage. On le voit très bien dans les grandes surfaces ou dans les magasins en général. La fameuse taxe rose sur les filles, les produits bleus pour les garçons. Tout est hétéro. Les rares produits lgbt ne sont que du pinkwashing. Cette hétéro-normativité ne laisse pas la possibilité de sortir des cadres que l’on nous impose depuis notre naissance”.

Voilà, vous l’aurez compris. Être queer, ce n’est pas défiler avec le char de la police ou celui de grandes entreprises bancaires. Être queer, ce n’est pas acheter des vêtements de fast-fashion aux couleurs de l’arc-en-ciel uniquement quand le Pride Month pointe le bout de son nez en juin. Être queer, c’est un combat quotidien. Être queer, c’est être féministe, antiraciste, anticapitaliste, pro-trans, pro-migrant et pro-TDS. Tout ça à la fois. Être queer, c’est être radical.e. Let that sink in.