Quatre ans après son premier EP, l’auteure-compositrice-interprète signe son retour avec Moment in Time. Un six-titres aux accents pop et R&B, interprété dans la langue de Shakespeare, qui sonne comme une inspirante renaissance.

On la découvrait en 2017 avec le titre “Puis danse”. Sorti sous la houlette du géant Universal Music, qui la signe après une série de reprises publiées sur les réseaux sociaux, ce premier single attire rapidement des millions d’auditeurs, séduits par le mélange de sonorités électroniques et de paroles chantées en français. C’est pourtant dans la pop anglaise et le R&B américain que la native de Dourdan en Essonne connaît ses premiers émois. “Dans ma famille, on n’écoutait pas vraiment d’artistes français, c’était beaucoup d’influences anglophones. La première chanson que j’ai chantée sur scène, à l’âge de 13 ans, c’était ‘Killing Me Softly’ des Fugees.” Pas étonnant donc, que le nouvel EP d’Eugénie, Moment in Time, paru en indépendant le 17 juin dernier, soit ancré dans des mélodies pop accrocheuses, des textes écrits en anglais et une interprétation infusée au R&B. Composé loin des rouages de l’industrie, ce projet sonne en somme comme un véritable renouveau, une ode à l’affirmation de soi et à sa liberté créative. “C’est aussi le premier dans lequel je me rends aussi vulnérable”, souligne Eugénie, qui y aborde aussi bien la rupture amoureuse que sa relation avec sa mère ou ses profonds moments de doute. Pour Mixte, l’artiste de 27 ans revient sur la genèse de Moment in Time, sur l’importance de la spontanéité et sur la façon dont elle a repris le contrôle sur sa musique.

Top en soie, Pantalon en laine, Mules en cuir, Fendi.

Mixte. Avant d’offrir Moment in Time, tu as été propulsée sous le feu des projecteurs en 2017 avec “Puis danse”, ton premier single distribué en major qui a connu un vif succès. Quel regard portes-tu sur ce début de carrière ?
Eugénie.
Je ne m’attendais pas à ce que ça prenne si rapidement. En arrivant chez Universal, j’avais en tête cette image de l’artiste qui galère, d’autant plus que j’avais déjà un peu connu ça avant de signer… Le fait de voir mon premier titre passer en radio aussi vite, d’enchaîner les promos et les concerts, c’était une grande surprise ! Mais c’était aussi assez frustrant, car tout allait très vite. Quand tu n’as pas d’expérience et que tu es lancée sur l’autoroute, tu passes en pilote automatique : tu écoutes les gens plus âgés, tu te laisses un peu embarquer…

M. Tout ça ne t’a pas un peu dépassée ?
E.
Si. Quand je suis retournée en studio après la sortie de mon premier EP chez Universal, Eugénie en 2018, j’étais complètement perdue, je ne savais plus ce que je voulais faire. Une évidence s’est alors imposée à moi : quitter le label et me retrouver face à moi-même, loin du bruit des autres. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une année sabbatique, et au moment où je commençais à construire un nouveau projet… le confinement est arrivé !

M. La pandémie a affecté les artistes du monde entier. Quel impact a-t-elle eu sur toi ?
E.
La période était flippante ! Tu te retrouves face à toi-même, et tu dois te poser les bonnes questions. C’est pour cette raison que certain.e.s l’ont mal vécue, parce qu’ils.elles n’étaient peut-être pas prêt.e.s pour ça. En ce qui me concerne, c’était le bon moment. Et puis, c’est durant le confinement que le musicien David Spinelli m’a contactée. Il m’a envoyé une prod’ qui m’a tout de suite inspirée, qui a été comme un déclic. J’ai topliné dessus direct ! Dans la foulée, j’ai illustré ce début de morceau par une vidéo d’une minute hyper ludique, que j’ai postée sur mes réseaux sociaux et… ça a trop bien marché ! J’ai donc demandé à d’autres beatmakers de m’envoyer des instrus d’une minute, sans me poser de questions sur le genre ou la cohérence artistique… c’était vraiment ouvert, et cette ouverture m’a permis de sortir du carcan dans lequel j’étais enfermée (quand tu es signée en maison de disques, il faut que ton projet s’inscrive dans une stratégie marketing, mettre trois mots sur ta musique pour que les gens puissent bien l’identifier…). C’est comme ça que mon concept 1min2génie est né. Ça m’a permis de tester plein de choses, et surtout d’écrire de nouveau en anglais…

Pull en coton et soie, Sous-vêtements en soie, Fendi.
Pantalon et brassière en soie, Fendi.

M. Quel lien entretiens-tu avec cette langue ?
E. 
Les premières chansons que j’ai écrites à 13 ans étaient en anglais, comme toute la musique que j’écoutais. Quand j’ai rencontré mon manager quelques années plus tard, il m’a conseillé de m’essayer au français, conscient qu’il est beaucoup plus facile de vendre ce type de projet en France (et il avait raison). J’ai vraiment adoré écrire en français ! Ça m’a permis d’aiguiser ma plume, et je continue d’ailleurs. Mais j’imagine qu’au moment des 1min2génie, j’avais besoin de changement, et l’anglais est revenu de manière spontanée. Après ça, j’ai eu envie de créer quelque chose pour que mon public comprenne que j’étais en train de faire une vraie transition. C’est là qu’on a eu cette idée de série de vidéos TikTok dans lesquelles je reprends des titres français que je traduis en anglais. Et là encore, le concept a plu : j’ai gagné 80 000 abonnés en quelques mois sur TikTok ! C’est comme ça que, petit à petit, mon nouvel EP a commencé à prendre forme.

M. Moment in Time est composé de six titres produits par six beatmakers différents. Quel a été le processus créatif ?
E.
À l’issue du confinement, je suis allée à la rencontre des beatmakers avec lesquels j’avais travaillé sur les 1min2génie.
J’ai d’abord rendu visite à David Spinelli,
avec lequel on a terminé le morceau qu’on avait commencé : c’est avec lui que “Blue” a vu le jour. Ce morceau a été l’élément déclencheur, il m’a boostée. Ensuite, j’ai rencontré les autres beatmakers (RABBITS, Dennis Neuer, Vito Bendinelli, Timsters…), et les choses se sont faites naturellement. Au bout d’un moment, j’avais trois chansons dont j’étais assez fière (“Blue”, “Princess” et “Silence”), et je me suis dit qu’il était temps de clipper “Blue”. Avec Meïr Salah, on a imaginé ce plan séquence assez simple, qu’on a tourné sur un golf, à la tombée de la nuit (à la “blue hour”). On était en mode système D, on n’avait plus Universal et ses gros sous [rires]. Mais ça nous a permis d’être créatifs : quand tu n’as pas d’argent, tu prends le temps de faire les choses de façon plus maligne, c’est là que souvent les idées intéressantes émergent.

M. Tu as d’ailleurs développé un univers visuel très cohérent pour cet EP, notamment au niveau de ton stylisme, avec cet uniforme d’écolière…
E.
À mes débuts, on m’a beaucoup reproché d’être “trop scolaire”, “trop sage”. J’ai donc eu envie, pour ce premier projet en indé, de détourner les codes, d’adopter cet uniforme et d’en faire quelque chose de pas du tout scolaire. Je voulais transformer ces reproches, et ce que j’ai pu percevoir comme une faiblesse, en une vraie force.

M. C’est une approche que l’on retrouve également dans les textes de l’EP : tu y abordes des sujets souvent douloureux, comme pour mieux les digérer et les accepter. Notamment dans “Blue”, où tu parles ouvertement de ta carrière…
E.
J’y aborde pour la première fois la phase de dépression par laquelle je suis passée. C’est la chanson qui m’a permis de commencer à exprimer des ressentis personnels, sans honte, comme ces paroles : “Still a babe at 26, with no money and no success”. Je n’aurais jamais été capable de dire une chose pareille il y a encore quelque temps. Il faut pouvoir assumer quand même, d’annoncer haut et fort : “Bon les gars, j’ai 26 ans, mon projet ne marche pas, je n’ai pas d’argent, pas de succès !” [rires] Dans cette chanson, j’essaie de chercher du sens. Et cette quête traverse tout l’EP.

Top en soie, Pantalon en soie à motifs O’lock, Sac « Fendi O ’lock Swing » en toile FF, Fendi.
Top, jupe et sous-vêtements en coton et soie, Fendi.

M. Tu cherches aussi du sens dans l’amour, un thème que tu abordes dans “Tears for Breakfast”, “Don’t Speak” et “4D”…
E. 
Les deux premières parlent de la même rupture. Je les ai écrites il y a six mois, au moment où mon copain m’a quittée après cinq ans de relation. D’ailleurs, c’est la première fois qu’un projet contient des chansons faites il y a moins de six mois ! Et je trouve ça cool, parce que je pense que les gens peuvent ressentir que je vis encore ce dont je parle. “4D” est un peu plus ouverte et moins centrée sur moi, dans le sens où elle parle de désir et de relations virtuelles. Je parle aussi de mes rapports avec ma mère sur “Silence”… Il n’y a pas de thème général, mais c’est un projet très introspectif.

M. Qu’en est-il de “Moment in Time” ?
E. 
Cette chanson est un peu particulière. Je l’ai écrite à la fin d’un séminaire de cinq jours à Berlin, où j’avais fait une session studio par jour avec un producteur différent… autant te dire que j’étais K.-O. [rires] Ce jour-là, j’avais une session avec Dennis Neuer, et on avait quatre heures pour pondre quelque chose. Il s’est mis au piano, et les deux premières phrases qui sont sorties de ma bouche sont devenues les premiers mots de “Moment in Time”. C’est la chanson la plus rapide que j’ai jamais écrite, et c’est peut-être celle qui est la plus aboutie ! En tout cas, sur l’EP, c’est ma préférée. On pourrait croire qu’elle parle de la fin d’une histoire d’amour, mais elle évoque en vérité le début du sentiment amoureux ; ce qui est rigolo, parce que je l’ai écrite à une époque où j’étais moi-même à la fin d’une relation – j’avais peut-être envie de revivre ces moments… Mais clairement, ça n’a pas marché [rires].

M. Pourquoi avoir donné à l’EP le nom de cette chanson ?
E. 
Parce que sur toutes celles qui le composent – hormis “Silence”, qui est la seule que j’ai écrite il y a plusieurs années –, il y a eu cette notion de spontanéité et de focus sur le moment présent. Chaque titre représente un instant éclaté dans le temps… J’ai du mal à l’expliquer, mais j’ai l’impression que la création de ce projet s’est étalée sur une timeline un peu étrange, où chaque titre a eu son moment.

M. On a le sentiment que tu as énormément évolué dans ta manière de créer ta musique avec ce second EP, qu’il y a quelque chose de plus spontané, avec un grand désir de collaboration… Est-ce qu’on peut dire que Moment in Time marque un renouveau artistique pour toi ?
E.
 Oh oui ! D’ailleurs, en remplissant ma biographie sur les plateformes de streaming, les membres de mon équipe ont écrit qu’il s’agissait de mon premier EP ! [rires] Quelque part, ça fait sens : c’est le premier que je bosse en indé, en anglais, avec autant de monde… Et puis, au niveau des sonorités aussi, ça change. J’ai écouté pas mal d’hyper pop au moment de sa création, résultat, quand j’arrivais en studio, j’étais en mode : “Venez, on fait des trucs chelous !” [rires] “Silence” n’a pas d’instru, par exemple. Sur “Blue”, il y a un côté liquid drum and bass un peu étrange… Il y avait clairement une envie d’expérimenter de nouvelles choses.

M. Quel genre d’expérimentations prévoies-tu pour la suite ?
E.
Une fois Moment in Time achevé, je me suis interrogée : “Après cet EP où tu es allée dans tous les sens, est-ce que tu n’essaierais pas de retravailler comme avant, avec moins de gens ?” Et puis, j’ai réfléchi deux minutes et… pas du tout ! [rires] Je vais continuer à faire de la musique avec plein de personnes différentes, parce que c’est beaucoup trop inspirant. Récemment, j’étais à Londres et en Allemagne, où j’ai fait une chanson avec un featuring qui sort très bientôt… Et puis, il y a aussi mes potes de Paris, avec qui il faut que je continue de créer. Ce nouvel EP m’a permis de rencontrer des gens que je n’avais pas forcément touchés à mes débuts, et je pense que d’autres collaborations très intéressantes vont arriver. J’ai hâte de voir où elles me mèneront.

PHOTOGRAPHE : Fiona TORRE / STYLISTE : Dimitri RIVIERE / TALENT : EUGENIE / COIFFURE : Anne Sofie BEGTRUP @ Wise & Talented / MAQUILLAGE : Annabelle PETIT @ Wise & Talented / ASSISTANTE STYLISTE : Héloïse BOUCHOT / ASSISTANT LUMIERE : Lucas GRISINELLI