M. Quel lien entretiens-tu avec cette langue ?
E. Les premières chansons que j’ai écrites à 13 ans étaient en anglais, comme toute la musique que j’écoutais. Quand j’ai rencontré mon manager quelques années plus tard, il m’a conseillé de m’essayer au français, conscient qu’il est beaucoup plus facile de vendre ce type de projet en France (et il avait raison). J’ai vraiment adoré écrire en français ! Ça m’a permis d’aiguiser ma plume, et je continue d’ailleurs. Mais j’imagine qu’au moment des 1min2génie, j’avais besoin de changement, et l’anglais est revenu de manière spontanée. Après ça, j’ai eu envie de créer quelque chose pour que mon public comprenne que j’étais en train de faire une vraie transition. C’est là qu’on a eu cette idée de série de vidéos TikTok dans lesquelles je reprends des titres français que je traduis en anglais. Et là encore, le concept a plu : j’ai gagné 80 000 abonnés en quelques mois sur TikTok ! C’est comme ça que, petit à petit, mon nouvel EP a commencé à prendre forme.
M. Moment in Time est composé de six titres produits par six beatmakers différents. Quel a été le processus créatif ?
E. À l’issue du confinement, je suis allée à la rencontre des beatmakers avec lesquels j’avais travaillé sur les 1min2génie.
J’ai d’abord rendu visite à David Spinelli,
avec lequel on a terminé le morceau qu’on avait commencé : c’est avec lui que “Blue” a vu le jour. Ce morceau a été l’élément déclencheur, il m’a boostée. Ensuite, j’ai rencontré les autres beatmakers (RABBITS, Dennis Neuer, Vito Bendinelli, Timsters…), et les choses se sont faites naturellement. Au bout d’un moment, j’avais trois chansons dont j’étais assez fière (“Blue”, “Princess” et “Silence”), et je me suis dit qu’il était temps de clipper “Blue”. Avec Meïr Salah, on a imaginé ce plan séquence assez simple, qu’on a tourné sur un golf, à la tombée de la nuit (à la “blue hour”). On était en mode système D, on n’avait plus Universal et ses gros sous [rires]. Mais ça nous a permis d’être créatifs : quand tu n’as pas d’argent, tu prends le temps de faire les choses de façon plus maligne, c’est là que souvent les idées intéressantes émergent.
M. Tu as d’ailleurs développé un univers visuel très cohérent pour cet EP, notamment au niveau de ton stylisme, avec cet uniforme d’écolière…
E. À mes débuts, on m’a beaucoup reproché d’être “trop scolaire”, “trop sage”. J’ai donc eu envie, pour ce premier projet en indé, de détourner les codes, d’adopter cet uniforme et d’en faire quelque chose de pas du tout scolaire. Je voulais transformer ces reproches, et ce que j’ai pu percevoir comme une faiblesse, en une vraie force.
M. C’est une approche que l’on retrouve également dans les textes de l’EP : tu y abordes des sujets souvent douloureux, comme pour mieux les digérer et les accepter. Notamment dans “Blue”, où tu parles ouvertement de ta carrière…
E. J’y aborde pour la première fois la phase de dépression par laquelle je suis passée. C’est la chanson qui m’a permis de commencer à exprimer des ressentis personnels, sans honte, comme ces paroles : “Still a babe at 26, with no money and no success”. Je n’aurais jamais été capable de dire une chose pareille il y a encore quelque temps. Il faut pouvoir assumer quand même, d’annoncer haut et fort : “Bon les gars, j’ai 26 ans, mon projet ne marche pas, je n’ai pas d’argent, pas de succès !” [rires] Dans cette chanson, j’essaie de chercher du sens. Et cette quête traverse tout l’EP.